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Les géants en petit format : Viï, de Nicolas Gogol

« Viï » n’est sans doute pas la plus connue par chez nous parmi les nouvelles écrites par Nicolas Gogol. Mais c’est une oeuvre fantastique forte et complexe, où l’on retrouve le talent et les obsessions du grand écrivain.

Après quelques difficultés (son poème Hans Küchelgarten ayant reçu des critiques négatives, il a repris tout le tirage du texte et l’a entièrement brûlé), Nicolas Gogol connaît le succès avec son recueil de quatre nouvelles, connu en français sous le titre Les Soirées du Hameau, paru en 1831. L’auteur a à peine plus de vingt ans et il est félicité par Pouchkine lui-même. Un an plus tard, Gogol publie la suite du recueil et, en 1834, un autre recueil, Mirgorod, conçu comme une troisième partie des Soirées du Hameau.
Ce recueil Mirgorod réunira quatre nouvelles, dont le célèbre texte « Tarass Boulba », ainsi que « Viï » (ou Viy, ou encore Vij, selon les normes de translittération adoptées).
Peu connue en France, « Viï » est un classique très populaire dans la culture russe, où la nouvelle a été et continue à être régulièrement adaptée au cinéma, depuis l’époque soviétique (voir le film de Constantin Erchov et Georgi Kropatchev, un des plus gros succès du cinéma en URSS) jusqu’à nos jours (par exemple La Légende de Viy, d’Oleg Steptchenko, qui connaîtra un tel succès en 2014 qu’il eut une suite). La nouvelle est aussi, officiellement, à l’origine du film Le Masque du démon, de Mario Bava.
« Viï » est une assez longue nouvelle, d’une soixantaine de pages, inspirée d’un conte populaire ukrainien. Nicolas Gogol a d’ailleurs parfaitement transposé dans son texte ce folklore ukrainien qu’il connaissait bien (il est né et a passé son enfance pas très loin de Poltava, dans l’Est de l’Ukraine). Ainsi, l’auteur nous montre des personnages dansant le Trepak (danse folklorique ukrainienne) et, constamment, il fait référence aux réalités quotidiennes de la vie rurale ukrainienne.
La nouvelle « Viï » s’inscrit donc, avant tout, dans un contexte réaliste. Gogol commence son texte par une description, à la fois minutieuse et doucement satirique, de la vie des séminaristes de Kiev. Ces premières pages annoncent, par exemple, celles de la nouvelle sur « La Perspective Nevski », dans les Récits Pétersbourgeois : Gogol fait des portraits humoristiques par une accumulation de petits détails comiques, ce qui lui permet, en peu de mots, de caractériser des personnages, un lieu et une époque.
De ce séminaire vont sortir trois personnages, le rhétoricien Tibère Gorobets, le théologien Haliava et le philosophe Thomas Brutus. Nous sommes en juin, au début des vacances, et ces trois camarades cherchent à rentrer chez eux. Là encore, Gogol parvient, sans faire de grande description, à donner une profondeur à ses protagonistes (sans chercher à les rendre sympathiques, d’ailleurs).
C’est sur cet arrière-fond réaliste que progressivement, par petites touches, va s’installer le surnaturel. Les trois personnages se perdent en pleine steppe et se retrouvent dans un lieu mystérieux qui semble coupé de l’humanité. Plus aucune route. Plus aucune habitation. Aucune trace du moindre passage d’un chariot. Le seul bruit est un lointain gémissement qui ressemble à un hurlement de loup.

La nouvelle « Viï » se divise en deux parties liées entre elles par le personnage principal, en l’occurrence l’un des trois séminaristes, Thomas Brutus. Attaqué par une sorcière qui le chevauche et, littéralement, l’utilise comme une monture pendant une nuit entière, le jeune homme parcourt des contrées mystérieuses.
Ensuite, dans une seconde partie, le même Thomas Brutus est appelé par un seigneur dont la fille est Mourante. Pendant son agonie, la jeune femme demande spécialement ce séminariste pour faire les prières de sa veillée funèbre.
Les deux aventures seront bien entendu liées. Le fantastique prendra de plus en plus d’importance jusqu’à un final grandiose, convoquant toute une série de monstres surnaturels, dont le fameux Viï qui donne son titre à la nouvelle.
Gogol parvient à installer une atmosphère de plus en plus angoissante. La nouvelle est construite sur un crescendo qui culminera avec la dernière soirée passée dans l’église.
« Viï » se déroule dans un contexte fortement religieux. Le protagoniste, bien entendu, est un prêtre, et le cadre où se déroule l’action de la seconde moitié du récit est une église. Il y est surtout question de personnage damné et de combat contre des êtres surnaturels sur lesquels on n’aura jamais d’informations. On peut facilement y voir le duel entre le christianisme et les croyances locales plus anciennes, mais aussi l’expression d’un écrivain profondément marqué par le mysticisme et la présence du mal parmi les hommes.