Veiller sur elle est le 4e roman de Jean-Baptiste Andréa publié par la superbe maison d’éditions l’Iconoclaste. C’est aussi le prix Goncourt 2023. Une petite pépite qui se lit lentement, car on ne découvre pas toute une vie en une nuit… Surtout quand dix années peuvent paraître une seconde, ou inversement. Ou encore quand le monde est vu à travers ces yeux-là, ceux de Mimo, qui veillent sur celle qui, une nuit, a surgit tel un fantôme dans un cimetière.
Veiller sur elle est hautement romanesque. Dès les premières lignes, le personnage se dessine, flamboyant, mystérieux et bien trop humain. On le découvre alors que sa vie le quitte, que sa légende est faite. Construite entièrement par l’auteur, la destinée de Michelangelo Vitaliani n’en traverse pas moins l’Histoire de l’Italie au 20ème siècle. Une histoire où la politique et la religion se mêlent habilement. Mimo voudrait ne s’occuper d’aucune des deux, mais pourtant, en tant que sculpteur approuvé par le régime et dont les commandes émanent des églises, il se retrouve au centre de toutes les confrontations et les grands nœuds de l’époque. Son personnage fait écho, dans la mort qui le prend alors que débute le récit, à celui créé par le jeune romancier Marien Defalvard dans Du temps qu’on existait (Grasset, 2011). Du dernier souffle jaillissent les souvenirs… « Bien sûr que j’essaie de dire quelque chose. J’ai vu l’homme voler de plus en plus vite, de plus en plus loin. J’ai vu deux guerres, des nations sombrer, j’ai cueilli des oranges sur Sunset Boulevard, vous ne croyez pas que j’ai quelque chose à raconter ? » s’exclame, en silence cependant, Mimo dès la page 12.
C’est à la page 70 pourtant que la vie de Mimo bascule : « la forme se leva lentement, s’arrachant à la dalle, et avança d’un pas hésitant vers moi (…) ». Ce tourbillon surgit un soir d’un tombeau et dont le prénom vient encore aux lèvres de Mimo le jour de sa mort, comme un dernier souvenir d’elle lancé au monde, qui ne la comprend pas (confusion entre violon et Viola). Cette rencontre et amitié entre Mimo et Viola est centrale bien qu’ils passent une grande partie du roman séparés. Viola est d’abord un élan de vie quand c’est Michelangelo qui va finalement vivre sa vie. Viola ne décollera jamais, elle comprendra pourtant le monde bien mieux que Mimo, entraîné dans le siècle sans recul, car voulant « tout vivre » à l’excès. A travers les livres qu’elle lui fait lire, ses réflexions et l’obsession que Mimo développe pour Viola, il s’ouvre au monde et tente de raisonner au cœur de son travail artistique.
Plus qu’une histoire de lutte des classes (Mimo et Viola ne viennent pas du même monde et n’auraient jamais dû se rencontrer, le récit de leur premier face à face est d’ailleurs épique), Veiller sur elle est une rencontre loin des romances habituelles. C’est une vie en duo, en « jumeaux cosmiques » selon Viola. Quand on apprend à se retourner vers l’autre pour lui porter attention, quand on revient sans cesse à cet être sans pour autant vivre collé à lui. Veiller sur elle est aussi la naissance d’un artiste. Sa mère dira de lui à la naissance « il sera sculpteur » d’où le choix de son prénom en écho à un autre. L’œuvre de sa vie finira cachée. Qu’importe Mimo n’a cessé de sculpter, de faire naître la vie, le mouvement dans la pierre même. C’est d’ailleurs autour de la question de l’illusion que l’écriture de Jean-Baptiste Andréa est la plus émouvante : entre l’illusion d’une vie forcément riche parce que riche d’argent, celle d’une vie d’artiste passée à copier les maîtres, dont il faut forcément s’affranchir (la Pietà que Mimo critique très jeune) ou encore celle d’une fille qui se transforme en ourse. La question du regard est centrale dans cette œuvre. Les désillusions sont aussi nombreuses : pour les relations humaines, l’époque, le rapport à soi, au corps, au monde et … à la politique fasciste autour de laquelle Mimo gravite.
Tout Veiller sur elle gravite, quant à lui, autour d’un lieu. Pietra d’Alba où Mimo est abandonné par sa mère, tout petit, à un oncle violent et sans talent. C’est à ce lieu toujours qu’il revient. Le roman est rempli de références artistiques, imprégné d’une époque, d’un mode d’appréhension du monde qui pousse à vivre plus fort, plus loin, sans oublier de s’élever au-dessus de la pensée préconçue. Les villes deviennent des personnages où l’anti-héros s’immerge et tente de se construire, tout en revenant sans cesse à la source de sa vie, Viola qui est attachée à Pietra d’Alba jusqu’à le personnifier.
Une œuvre riche et palpitante à l’écriture soignée faite d’un « détail, un de ces tout petits riens dont on fait des révolutions ». Des petits riens aussi fabuleux que découvrir les peintures de Fra Angelica à la lueur des éclairs, mais surtout à travers les yeux de Mimo habités par ceux de Viola, la passionnée.
Fiche technique : Veiller sur elle
Auteur :Jean-Baptiste Andrea
592 pages
Éditeur : L’ ICONOCLASTE
Date de sortie : 17 août 2023
Fnac-Roman 2023
Goncourt 2023