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« Public » : un concept en mode dégradé

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Le Mot est faible » des éditions Anamosa accueille un nouveau titre, Public, du directeur de recherche au CNRS Antoine Vauchez.

Au croisement des sciences politiques et économiques, certaines notions voient leur permanence sémantique altérée par le temps. Antoine Vauchez ne s’y trompe pas en questionnant le mot public, initialement porteur d’un intérêt collectif exprimé démocratiquement, mais depuis longtemps – au moins depuis Thatcher et Reagan – passé à la lessiveuse du New Management Public et des réformes néolibérales. L’eau, la santé ou le réseau routier constituent autant de « biens » essentiels dont la gestion a été bouleversée, voire transférée, à la suite d’une rencontre avec l’économie de marché. Cela fait dire à Antoine Vauchez que le public s’appréhende désormais comme un « signifiant flottant », malmené par un déficit démocratique ostensible et des considérations technocratiques souvent repliées autour de la mise en concurrence des acteurs économiques.

Les entreprises publiques ne sont plus que des entités hybrides sur lesquelles pèsent les principes managériaux du toyotisme et du lean management. « Les mastodontes de l’économie publique (France Télécom, EDF, la Poste, SNCF, etc.) se sont ainsi transformés en personnes morales de droit privé, détenues par des capitaux majoritairement publics mais gérées comme autant d’actifs privés. Ce faisant, ils sont devenus les vecteurs d’une forme de « privatisation endogène » (ou « interne ») de l’État, diffusant en son sein les méthodes, les normes voire les modèles idéologiques de l’entreprise et des marchés privés. » Et l’auteur de rappeler que la multiplication des agences de régulation n’est qu’une manière euphémique d’entériner le renoncement de l’État au nom d’une concurrence pilotée depuis Bruxelles et érigée en valeur absolue. Les difficultés éprouvées par les gouvernements nationaux à s’opposer au GAFAM n’en est qu’une énième démonstration.

Qu’est-ce que le public à l’heure des critères de convergence européens, du pantouflage, des portes tournantes, de la promotion des marchés privés en lieu et place des services collectifs ? Comment défendre l’intérêt général quand l’intérêt particulier, à coups d’intrusions ou de reconversions, s’invite toujours plus dans l’élaboration des normes ? Ces questions sous-tendent bien entendu l’opuscule d’Antoine Vauchez, qui n’omet pas non plus de commenter l’influence croissante des cabinets de conseil ou la critique quasi pavlovienne des fonctionnaires, tout en rappelant qu’avec Emmanuel Macron, la révolution néo-managériale et pro-business a désormais ses ronds de serviette… à l’Élysée.

Par moments, on croirait lire Frédéric Lordon (l’absence d’alternance politique en raison de règles économiques coulées dans le marbre européen), à d’autres Coralie Lemke (Health Data Hub, gestion des données confidentielles, etc.), mais invariablement, c’est le souci de republiciser et remotiver l’État qui irrigue Public. Loin d’une supposée supériorité des marchés pour créer des incitants. À mille lieues du droit dérogatoire qui protège les grandes sociétés des responsabilités de leurs comportements prédateurs ou écocides. Pour repenser la démocratie, les communs et le collectif. Bref, le public.

Public, Antoine Vauchez
Anamosa, mars 2022, 104 pages

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