Enseignante à l’Université de Paris, Cécile Canut publie dans la collection « Le Mot est faible » (Anamosa) un opuscule portant sur la langue.
En France, la langue a été homogénéisée et fixée entre les XVIe et XVIIIe siècles : Richelieu fonde l’Académie française en 1635, l’Encyclopédie de Diderot voit le jour en 1751, les dictionnaires et les grammairiens ordonnent progressivement le sens et la place des mots, avant que la Révolution française n’impose un usage unique et invariable de la langue et de ses vocables. Pour les Lumières, cette dernière ferait tendre la civilisation vers le progrès et l’universel. Les patois et autres dialectes sont alors de plus en plus souvent considérés comme quantité négligeable. L’école devient le lieu d’apprentissage de l’unicité de la langue. Et des personnalités telles que l’abbé Grégoire ou Talleyrand concourent à unifier les parlers, un processus qui se cristallisera toutefois un peu plus tard, avec la IIIe République (1870-1940).
Une fois ce cadre historique posé, Cécile Canut peut se lancer dans une réflexion succincte et transversale sur la langue, qui nous apparaît tour à tour en tant que marqueur social excluant ceux qui n’en maîtrisent pas les codes, comme une entité aux usages pluriels (langage familier, protocolaire, académique, soutenu…), à l’aune des différentes significations qu’elle enveloppe à travers les cultures ou encore en qualité d’outil collectif d’émancipation lorsqu’elle sert par exemple à verbaliser les doléances de manifestants à travers un discours syndical et/ou politique. Cécile Canut rappelle par ailleurs à quel point l’ordre-de-la-langue instaure son contrôle sur le parler, mais aussi la manière dont les novlangues orwelliennes ont pu devenir une réalité, sous une forme lyophilisée : quand un licenciement devient un plan social, quand les formules demeurent à ce point spécieuses et édulcorées, est-il encore possible de penser le capitalisme sans en travestir les fondements ?
Dans un opuscule aussi clair que passionnant, aidée en cela par son expérience professionnelle, Cécile Canut revient également sur les dialectes africains et la manière dont on les a associés, au cours de l’histoire, au sous-développement, puis opposés aux langues des colonisateurs, supposées être porteuses de progrès. Dans certains pays comme le Mali, le français continue d’être valorisé à l’école, son apprentissage banalisé, la langue de Molière étant liée dans les esprits à l’éducation et l’élévation culturelle (au-delà des considérations politiques). En fin d’ouvrage, il est aussi question des Gilets jaunes, parfois moqués pour leur supposée non-maîtrise des codes linguistiques, mais capables de subvertir la langue pour diffuser leurs messages et s’ériger en êtres pensants et agissants. Au fond, ce qu’il faut retenir de cet ouvrage, c’est que la langue structure notre pensée, elle en pose les contours et en conditionne les horizons. Mais elle s’apparente aussi à un outil culturel, identitaire et politique qu’on emploie à des fins diverses, et parfois pour le pire.
Langue, Cécile Canut
Anamosa, mai 2021, 96 pages