Ouvrage collectif placé sous la direction d’Alexis Lévrier et Guillaume Pinson, Presse et bande dessinée, paru aux éditions Les Impressions Nouvelles, s’intéresse, comme son titre l’indique, aux interactions protéiformes entre le monde médiatique et le neuvième art.
La bande dessinée et la presse ont des relations étroites et anciennes. Prenant place et se développant au sein des pages des magazines et des journaux, le neuvième art s’est ensuite penché sur le monde médiatique pour en extirper des personnages-phares – de Tintin à Clark Kent – et des représentations d’une étonnante pluralité. Le recueil d’analyses que nous proposent Les Impressions Nouvelles, placé sous la direction d’Alexis Lévrier et Guillaume Pinson, permet à des experts issus du monde académique de poser un regard inédit et panoptique sur ces moments où la presse et la BD ont eu partie liée. Il faut toutefois noter que si l’ouvrage a le mérite de défricher un terrain quasi inexploré, il ne peut aucunement prétendre à l’exhaustivité, comme en témoignent de nombreuses œuvres pertinentes laissées sur le bord du chemin – de Tokyo Ghost à L’Incal en passant par Six-Gun Gorilla ou Powers. Le lui reprocher serait toutefois malvenu, tant les interactions abondent entre les deux sphères qui nous intéressent.
Le début de Presse et bande dessinée s’intéresse aux origines du neuvième art, et nous renvoie à Töpffer et ses histoires en estampes, puis à Cham et d’autres successeurs. La bande dessinée naît dans un contexte multimédiatique. Les supports, la périodicité adoptée, la grammaire de la presse auront une influence considérable sur les articulations fines de la BD. Ce qu’il faut également comprendre, c’est que les habitudes de lecture préexistent à l’apparition d’une littérature en images, avec tout ce que cela suppose en termes d’édification du neuvième art. Très vite, un rapprochement s’opère entre la caricature, les dessins satiriques ou les images d’Epinal et la bande dessinée naissante, tous multipliant les intersections et reposant notamment sur l’usage de l’humour. La BD dispose alors d’espaces dédiés dans la presse, est mise en cycle et voit des personnages récurrents émerger. Cette « préhistoire » de la BD fait l’objet d’une analyse étayée, très documentée et agrémentée d’illustrations.
Les magazines de bandes dessinées sont ensuite évoqués. Spirou est lancé en 1938, puis Pilote, Vaillant ou encore Bimbo. Le léger Journal de Spirou, aux rondeurs assumées, et le plus sérieux Tintin, emblème de la ligne claire, affichent des tirages sans précédent. Le secteur subit cependant la concurrence des comics et une censure touchant tant au sexe qu’à la violence. Il est rappelé ce que Pilote doit à Astérix, mais aussi, en son sein, la contestation autour de René Goscinny, le travail des jeunes auteurs mis en avant ou encore le départ de Gotlib ou Cabu, le premier fondant d’ailleurs Fluide glacial – tandis que Métal Hurlant sera créé par d’autres anciens de la maison, à savoir Druillet, Giraud et Dionnet. Le Journal de Spirou et Tintin sont directement concurrencés par ces magazines plus radicaux, mais aussi la télévision, qui marche sur leurs plates-bandes. La transition des magazines vers les albums s’accompagnera de phénomènes sous-jacents, parfois regrettables : c’est la fin des rédactions, d’une certaine émulation, mais aussi des périodicités imposées.
Plusieurs personnages nourrissent ensuite les chapitres de l’ouvrage. L’histoire de Barbarella, souvent considérée comme une révolution sexuelle (femme libre) et éditoriale (BD pour adultes), est contée par le menu. Tintin, reporter qui n’écrit jamais, est appréhendé à l’aune de sa mise en circulation avec l’économie structurelle du Petit Vingtième et de son expansion en dehors des vignettes dessinées, par des « transfictions journalistiques ». La structure des planches le mettant en scène, avec des vignettes carrées et une mise en page classique, est également évoquée. Fantasio ou Gaston Lagaffe constituent d’autres journalistes mis en vedette par la BD. Et les auteurs de rappeler que les jeunes lecteurs curieux peuvent s’identifier à ces personnages au plus près de l’actualité et des événements, porteurs de codes culturels et professionnels clairement identifiés – même si leur caractérisation peut fortement diverger.
Un petit détour par les comics permet de se pencher sur deux figures incontournables : Clark Kent/Superman et Peter Parker/Spider-Man. Tous deux sont à la fois membre d’une rédaction journalistique dans leur vie civile et super-héros dont l’identité secrète est jalousement préservée. Ils restituent une part de l’écosystème médiatique et servent d’appoints à une critique ordonnée du monde de la presse. Leur rapport au métier est toutefois très différent : pour Peter Parker, l’activité de photographe est surtout alimentaire, donc non passionnelle, malgré une reconnaissance tardive, tandis que Clark Kent est un journaliste bien établi, valorisé dans son travail. Ces deux exemples mis à part, la presse est généralement représentée à proportion de sa fonction sociale dans l’univers des super-héros. DMZ et Civil War proposent en revanche un portrait du journalisme post-11 septembre amenant une réflexion de fond sur la propagande et la dichotomie vérité chaotique/mensonge lénifiant.
Presse et bande dessinée comporte une réflexion de fond sur la manière dont l’activité journalistique est représentée dans les BD. Ses rédacteurs s’intéressent aussi à des questions connexes. Un chapitre est par exemple consacré à Jean Teulé, qui travaille à partir d’une base photographique renforçant l’authenticité et brouillant les frontières entre photo et dessins. Ses altérations par photocopies et collages situent son travail quelque part entre le reportage et la BD. Plus généralement, l’ouvrage propose une série de textes étayés, qui se complètent les uns les autres, pour décrire au plus près les liens multiples et consolidés entre deux activités dont les rapports ont été intimement mêlés.
Presse et bande dessinée, ouvrage collectif sous la direction d’Alexis Lévrier et Guillaume Pinson
Les Impressions Nouvelles, février 2021, 384 pages