En pleine période de confinement, quoi de mieux que de se perdre dans les méandres du genre cinématographique qu’est le huis clos. Dans cette optique, la rédaction du Magduciné vous donne ses 10 huis clos préférés allant de La Corde à Garde à vue…
Fenêtre sur Cour d’Alfred Hitchcock
En ces temps de confinement, Fenêtre sur Cour du grand Alfred Hitchcock est une parfaite illustration de ce mécanisme antinaturel qui contraint les hommes dans leur liberté, et qui leur retourne la tête. Un fait divers et dramatique récent a montré un homme commettre des actions terroristes, sous le prétexte inadmissible qu’il ne supporte pas le confinement. Dans le cas de L.B Jefferies, alias Jeff (Impeccable James Stewart), l’impact de ce huis clos forcé est un voyeurisme exacerbé, puisque son horizon se limite à ce qu’il voit depuis la fenêtre à l’arrière de son appartement, étant confiné sur une chaise roulante à la suite d’un accident qui lui a brisé une jambe. Il se met donc à espionner ses voisins avec un énorme téléobjectif, une paire de jumelles, ou ses propres yeux, en fonction de ce qu’il veut voir. Il commence à se raconter des histoires, plus ou moins avérées d’ailleurs, à partir de ce qu’il voit et de ce qu’il ne voit pas, comme un vrai metteur en scène , en somme. Avec Jeff, c’est non seulement Alfred Hitchcock qui s’adonne au voyeurisme, après tout une composante naturelle du cinéma, mais également le spectateur, qui ne voit la réalité qu’à travers les yeux de ce personnage, et qui est entraîné de facto à penser comme lui.
Béatrice Delesalle
12 hommes en colère de Sidney Lumet
En quoi le huis clos peut-il être symptomatique d’une délibération entre jurés ? En clerc, Sidney Lumet va mettre l’espace (le tribunal) au service de son propos (une remise en cause du système judiciaire). Douze hommes en colère se déroule le temps d’un après-midi caniculaire, dans la salle de délibération d’une Cour pénale. Douze personnes sont réunies pour se prononcer sur la culpabilité d’un jeune homme accusé de parricide, avec entre leurs mains le pouvoir coercitif de l’envoyer en prison, voire à la potence. Lumet va en profiter pour questionner la subjectivité et les stéréotypes des jurés, mettre en exergue l’humanité d’un héros animé d’un doute cartésien (Franklin Davis), mais surtout portraiturer ce qui préside à une justice expéditive. La salle de délibération est exiguë, étouffante, inhospitalière. Les jurés n’attendent qu’une chose : livrer leur verdict, fondé sur des impressions et non des faits, pour enfin retourner à leurs vaines occupations. Les dispositifs de mise en scène se mettent alors au diapason : on se joue de la profondeur de champ et des focales, on les ajuste à loisir, on accorde une attention exacerbée à la composition des plans, au cadrage et à l’espace, ce dernier apparaissant de plus en plus resserré, comme s’il acculait graduellement les jurés. Le plafond semble s’abaisser, les murs se rapprochent, la chaleur esquinte les corps. Si Douze hommes en colère est un tour de force, c’est avant tout parce que son maître d’œuvre érige le huis clos en sujet expressif. Le jury fait peu de cas d’un jeune inculpé de dix-huit ans ; il n’aspire qu’à fuir un endroit où règnent la chaleur et la promiscuité.
Jonathan Fanara
Shining de Stanley Kubrick
Shining, le chef d’oeuvre de Stanley Kubrick, est l’exemple parfait du huis clos d’horreur. Cette adaptation du roman de Stephen King est devenue culte par ses scènes d’horreurs graphiques et d’explosions de la folie du personnage de Jack Torrance (Jack Nicholson). L’histoire se déroule dans l’hôtel Overlook, situé au milieu des montagnes enneigées du Colorado. Un décor spacieux et luxueux mais bâti sur un ancien cimetière indien. Engagés pour la saison hivernale à garder l’hôtel, Jack, sa femme Wendy, et leur fils Danny, deviennent les nouvelles victimes des fantômes qui hantent cet hôtel. C’est à travers Danny, possédant le Shining, que les âmes tourmentées se manifestent, offrant ainsi au film des scènes effrayantes d’apparitions de jumelles en sang. Mais ce huis clos affecte particulièrement Jack, sombrant petit à petit dans la folie. Déçu par l’écriture stérile de son roman, il devient irascible envers sa femme. Sa violence et son alcoolisme refont surface lorsque le fantôme de l’ancien gardien, qui aurait tué sauvagement sa femme et ses enfants, vient lui rendre visite. Le cauchemar atteint son apogée lorsque Wendy provoque les démons de Jack. Une scène de ménage dans les escaliers qui se transforme en violente poursuite à la hache devenue culte, mais aussi une fin funeste pour Jack dans le labyrinthe enneigé. Un film d’horreur mémorable qui nous avertit de la menace des vacances en famille dans ces lieux isolés.
Céline Lacroix
La Corde d’Alfred Hitchcock
Tuer ? Un bout de corde suffit. Mais après ? Si la logique post-mortem veut qu’on se débarrasse du cadavre après un meurtre, n’est-il pas plus excitant d’en conserver le corps mais de seulement le dérober à la vue ? Car ce qui n’est pas présent aux yeux peut pourtant se révéler là, quelque part… et se faire sentir. Bien que David semble le grand absent de cette soirée, il est pourtant là, sous nos yeux. Le huis clos n’est pas sans rappeler l’univers du théâtre, et La Corde l’illustre à merveille. S’inspirant de la pièce Rope de Patrick Hamilton, Hitchcock a voulu relever le défi de “filmer” une pièce de théâtre. Son premier film en couleurs était un projet ambitieux, grande prouesse technique pour l’époque en matière de plans-séquences. Quoiqu’on en dise, le film reste soixante-dix ans après un incontournable du genre ! A mi-chemin entre le drame et la comédie noire, La Corde fascine autant qu’il indigne. Savant mélange d’intelligence, de suspens et de cynisme, le film tiraille son spectateur. D’abord témoin du crime, il deviendra ensuite le complice de cette entreprise machiavélique sans pour autant s’y réduire, se délectant de la perspicacité du professeur Rupert Cadell, interprété par un James Stewart savoureux, et du crescendo de tension que le huis-clos permet. Dans cet unique lieu où l’étau se resserre, la fuite est impossible : il faut faire face. Un conseil, chers confinés : méfiez-vous des malles et des terribles secrets qu’elles peuvent renfermer.
Audrey Dltr
Alien de Ridley Scott
L’équipage du Nostromo n’est pas forcément un modèle à suivre en matière de confinement : elle accepte à son bord une bestiole étrange qui s’est collée au visage d’un des membres d’équipage. Une décision qui n’est d’ailleurs pas dénuée d’arrière-pensée… En attendant, la bestiole se révèle être un tueur invincible et surtout invisible.La mise en scène de Ridley Scott joue sur un double sentiment de huis-clos : l’équipage est enfermé à l’intérieur d’un vaisseau, qui lui-même est isolé au milieu de l’espace. L’extérieur n’existe donc pas et ne constitue en aucun cas une possibilité d’échappatoire. Il reste donc à affronter un xénomorphe dénué de sentiment qui décime l’équipage au compte goutte. L’angoisse née du sentiment d’enfermement est encore renforcée par une mise en scène qui joue sur l’étroitesse des couloirs, créant un étouffement. D’autant plus que le monstre parvient parfaitement à se fondre dans le décor. C’est un tuyau, là, à l’arrière-plan ? Ah ben non, c’est le crâne du tueur. La réalisation joue énormément sur ce que l’on voit, ce que l’on croit voir et surtout ce que l’on voit trop tard. Ridley Scott parvient ainsi à faire le huis-clos parfait, mélangeant sentiment de confinement et chasse au monstre.
Hervé Aubert
Misery de Rob Reiner
Qui n’a jamais rêvé de rencontrer son artiste favori ? En tout cas Annie en rêvait. La femme incarnée par la terrifiante Kathy Bates souhaitait plus que tout se retrouver près de Paul Sheldon, un auteur de romans à succès. C’est voeu exaucé : Paul Shedon va se réveiller chez elle, les jambes cassées. Pour le meilleur et pour le pire ? Surtout pour le pire. Adapté du roman culte de Stephen King, Misery offre un huis-clos frissonnant. Pas de fantômes, d’êtres démoniaques, de vampires ou de sorcières. Non, juste une infirmière un peu trop admiratrice de son auteur préféré. Au sein de ce récit, Rob Reiner déroule un survival entre quatre murs et fait du huis-clos une prison plus psychologique que physique. Certes, Paul est bien enfermé à double tour chez Annie. Mais quelle est la folie dont Annie est-elle même prisonnière ? Quel amour inconsidéré porte t-elle à un auteur qu’elle ne connait pas ? Comme des poupées russes, les prisons (mentales ou physiques) rentrent dans les autres une à une. Au point où même à l’air libre, Paul reste définitivement emprisonné au plus profond de lui-même.
Roberto Garçon
Garde à vue de Claude Miller
Maître Martinaud est convoqué le soir du 31 pour une affaire de double viol pour laquelle il est suspecté. En face de lui, raide comme la justice, l’inspecteur Gallien décortique le témoin qui devient rapidement à ses yeux le principal suspect. Sans alibi et sans une femme aimante, qui n’en profiterait pas pour lui faire payer, il est petit à petit enserré dans un huis clos le prenant par la gorge. Le face à face devient inévitable, entre l’inspecteur joué par Lino Ventura et le notable, qu’interprète Michel Serrault, qui obtiendra le césar du meilleur acteur pour cela. Presque 40 ans plus tard, le chef d’oeuvre du regretté Claude Miller résonne encore, et témoigne de la solidité d’un script et d’un casting qui assument le risque premier du cinéma moderne, le fléau du théâtre filmé, en dévoilant des personnages et une situation parlants pour tous. Certes, la caméra est bien posée, l’esthétique proprette du film tranche avec des choix moins minimalistes qui essaieraient de nos jours de plus repousser les murs de ce commissariat, dans lequel la quasi-totalité de cette histoire se déroulera. Mais Garde à vue, c’est aussi l’enfermement du regard, la captation d’une intention et d’une conscience que ce script embarque avec eux tous. Et pour cela, il reste et restera un grand classique du huis clos.
Romaric Jouan
Snowpiercer de Bong Joon-Ho
S’il s’est moins imposé dans le paysage cinéphile que d’autres films de son réalisateur (Memories of Murder et récemment Parasite), Snowpiercer n’en dégage pas moins une étrange folie née de la rencontre de plusieurs imaginaires. Adapté d’une bande dessinée française (Le Tranceperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette) par un cinéaste coréen et produit par le tristement célèbre Harvey Weistein, un tel projet ne pouvait qu’être détonnant pour le meilleur et pour le pire.
Se télescopent dans un train fantôme explosif l’esprit tordu et engagé de Metal Hurlant, la folie carnavalesque du cinéma coréen et le savoir faire brutal d’Hollywood. Réflexion sur la lutte des classes, sur les rapports de genre, sur l’humanité et sa folie intrinsèque tout autant que sur la puissance cinétique du film post-apocalyptique et remake déguisé du Mécano de la Générale, Snowpiercer est un peu tout cela en même temps. Au risque de se perdre parfois dans la multitude de thèmes abordés simultanément.
Bong Joon-Ho utilise à fond les ressources de son espace clos pour brouiller nos repères spatiaux et philosophiques, au point qu’un passage de flambeau improvisé suivi d’un coup pied retourné résume en quelques plans la pensée marxiste. Sans parler de cet improbable duel d’un wagon à l’autre, profitant de l’occasion d’un virage…Grand moment de mise en scène s’il en est. En tout cas, on a pas fini d’épuiser les interprétations de cet objet composite, véritable blockbuster pour intellectuel de gauche en manque d’adrénaline. Une seule certitude : quand les revendications du peuple roulent sur les rails de l’indifférence bourgeoise, mieux vaut faire péter la machine.
Vincent B.
Le trou de Jacques Becker
Le Trou de Jacques Becker, sorti en 1960, fait aujourd’hui partie des plus grands films français, à l’unanimité. Un huis-clos qui n’en est pas vraiment un, ou plutôt qui en fait une mise en abîme. Cinq prisonniers partageant la même cellule vont creuser un trou sous le parquet, débouchant sur des sous-sols, eux-mêmes donnant sur un puits qui, une fois creusé également, atteint les égouts de Paris – et donc leur surface. Sans aucun accompagnement musical, et sur près de 2h15, le film fascine et crée une tension de tous les instants : face au temps qui manque et se délite au milieu des nuits de creusage, face au bruit pouvant les trahir, face aux gardes qui font leur ronde – à la fois devant la porte et dans les sous-sols – et puis face à eux-mêmes. Les différents espaces deviennent aussi bien des refuges que des lieux d’exposition potentiels. Et c’est là que le huis-clos éclate autant qu’il se conserve : chaque minute qui passe rapproche d’un nouveau lieu (de la cellule au sous-sol, du sous-sol aux galeries, des galeries au puits…), mais instaure à chaque fois un nouveau huis-clos où chaque lieu à ses propres codes, sa propre matière, ses propres dangers, et est en quelque sorte une nouvelle prison d’où il faut s’échapper en recommençant du début (un nouveau mur à percer, de nouveaux outils à confectionner). Autre paradoxe : regagner la cellule, au moment de la vérification matinale, sonne chaque jour à la fois comme une libération (plus besoin de « tricher », plus rien à cacher) et en même temps comme un éternel retour à la captivité. Ce paradoxe est savamment stimulé tout au long du film : plus ils approchent de la liberté, plus les prisonniers sont en danger ; dès qu’ils reviennent au point de départ, ils recouvrent une forme de « sécurité ». Bien d’autres aspects font du Trou un chef-d’œuvre du cinéma, mais puisque c’est de huis-clos dont nous parlons, c’est avant tout cette science de l’espace et ce dualisme perpétuel entre fuite et enfermement, dont on ne saurait souligner assez les mérites.
Jules Chambry
Assaut de John Carpenter
Il faut attendre quarante minutes, le temps que les différents personnages parviennent au Precinct 13, pour qu’Assaut devienne véritablement un huis clos. La grande idée de Carpenter est de transformer un lieu a priori sûr, un commissariat de Los Angeles, en un piège mortel pour ses occupants. Lesquels ne devraient, pour la plupart, pas même être là : l’ironie sert ici de révélateur de l’équilibre instable sur lequel repose toute vie. Littéralement coupés du monde, sans téléphone, sans électricité, sans voisinage, les personnages sont assaillis par une horde de criminels dont on ne sait rien, si ce n’est qu’ils sont prêts à tout. Le huis clos forcé pousse les personnages à faire équipe pour (s’en) sortir. Et il s’agit ici de policiers et de criminels… L’absurdité de la situation dans laquelle se retrouve le lieutenant Bishop avant même l’attaque (il est là pour une nuit, pour dépanner), amplifiée par la violence gratuite d’assaillants quasiment surnaturels, donne lieu à un huis clos d’autant plus prenant que tous ses ingrédients, a priori peu probables, sont mis en place lentement, sur un temps narratif pourtant très bref. Un huis clos de ce genre doit nécessairement permettre aux spectateurs de s’identifier aux personnages : Carpenter y parvient non en donnant des informations biographiques à leur sujet, mais par une construction narrative implacable et une mise en scène oppressante. Précisément ce qui en fait un grand huis clos de cinéma.
Victor A.