Le xénomorphe est le monstre mythique du film Alien de Ridley Scott et de toute la franchise qui va en découler : monstre dont la figure mythologique provient du plasticien Hans Ruedi Giger. Avec sa taille gigantesque et son enveloppe humanoïde, son squelette imposant et androgyne, son immense boîte crânienne, sa mâchoire à la forme phallique, et sa rapidité dans la mise à mort, cette créature a été le centre des cauchemars de toute une génération.
Sauf qu’à l’instar du Predator de John McTiernan, le xénomorphe n’est pas qu’une bête assoiffée de sang que l’on jetterait dans l’arène du slasher pour tuer tout ce qui bouge. Non, les deux créatures ont cette même capacité à s’extirper de leur imagerie iconique, SF et monstrueuse pour s’accorder avec leur environnement brumeux et devenir le symbole des limites d’une humanité moribonde. Mais soyons francs, cette franchise Alien, connue de tous, n’a pas toujours enfanté que des ersatz prodigieux, et la production cinématographique a vu parfois l’Alien devenir le simple jouet récréatif des nauséeux Alien Vs. Predator : où la figure de la peur ne devient plus qu’une figurine marketing d’une violence industrialisée.
Une peur claustrophobe : celle de l’inconnu et de la dangerosité incessante
Qu’on ne s’y trompe pas : l’aura même de ce personnage bestial trouve son origine avec le film de Ridley Scott. Le cinéaste utilisera son protagoniste de la meilleure des manières avec sa mise en scène minimaliste, et va faire de lui une figure de la peur : une peur de l’inconnu et de l’invisibilité dans un huis clos suffocant. Faire un film de SF avec un monstre incroyablement colossal que l’on ne voit presque jamais, voilà toute l’intelligence de Ridley Scott quant à son traitement de la peur et de l’oppression : le xénomorphe est un fantôme qui hante les esprits, un spectre qui innerve une atmosphère rocailleuse et sinistre, un danger perpétuel et sauvage qui peut surgir dans n’importe quel couloir ou chaque recoin du vaisseau spatial, le Nostromo. Il est la progéniture d’une nature sombre que l’Homme ne contrôle pas et ne soupçonne pas, un peu comme l’était le requin dans Les Dents de la Mer de Steven Spielberg. Il est le tombeau et la faucheuse d’une humanité qui se croit supérieure : un esprit vengeur, bestial qui vient protéger son habitat naturel. Cette idée de faire de lui un être invisible voit naître ce sentiment de peur et de terreur : que ce soit les personnages humains du film ou même le spectateur en lui-même, l’imagination est mise à contribution. Quoi de mieux que l’inconscient pour matérialiser la peur ?
Il ne fait qu’un avec l’espace et le vaisseau tortueux d’Alien : un caméléon doté d’une intelligence prodigieuse qui sait se muer en prédateur manipulateur et attentif à la moindre défaillance humaine grâce à une qualité d’adaptation supérieure à celle de l’Homme. Foisonnant, l’univers du xénomorphe sera marqué par sa rencontre avec le personnage tout aussi mythique de Ripley : rencontre qui servira à construire les fondations d’une franchise parfois bancale (le 4ème film, celui de Jean Pierre Jeunet et son humour balbutiant) mais captivante par les questionnements sur la violence, la création, la sexualité, la tragédie, l’identification, l’iconisation de la SF ou même de la gestation maternelle. Une mythologie aux reflets qui divergent d’un film à l’autre, d’un cinéaste à l’autre : là où le premier film ne contenait qu’un monstre, le deuxième film, sous la houlette de James Cameron avec ses effluves de guerre du Vietnam, voit une dizaine de monstres partir au combat, au travers d’une surenchère d’action propice à la mise en scène spectaculaire de son auteur. Dans Alien 3 de David Fincher et son ambiance sépia, désespérée et claustrophobe, le xénomorphe sera le réceptacle d’une peur horrifique : moins portée sur la tension et le mutisme de l’angoisse mais plus sur le surgissement d’une violence sanguinolente et primitive. Mais dans l’opus de Ridley Scott, c’est l’apparition de cette peur paranoïaque, cette peur presque chimérique qui tétanise et déploie la majesté du film. Il est ce 8ème passager que l’on ne connait pas et qui signera la perte de presque tout un équipage.
Une peur démystifiée : Ridley Scott pris de folie
Que ça soit sous sa forme adulte (le xénomorphe), « enfantine » (le Chestburster) ou sa forme presque embryonnaire (Facehugger), son imagerie, son physique, sa capacité à réduire l’humain en cendres, ses scènes mythiques, sa monstruosité cynique et créatrice d’un univers SF marquant l’Histoire, font de cette créature une ode au cinéma et ses émotions primitives créant de ce fait, une mythologie tentaculaire. Cependant, depuis peu la franchise renait de ses cendres avec le retour aux « sources » de Ridley Scott, qui s’avère être en pleine réflexion sur la notion de création et de créateur dans Prometheus et Alien Covenant : diptyque aussi désolant que passionnant car la peur a changé de camp et de visage. Ridley Scott se plonge dans le nihilisme le plus total et détruit toute la mythologie dont il fut l’un des fondateurs. Le xénomorphe, créature élégante et ténébreuse, ne devient qu’une bête qu’on agite comme un chien errant ou une marionnette numérisée, vorace et désarticulée. La créature perd alors toutes ses caractéristiques de classe naturelle.
La menace, la véritable, celle qui devient l’épicentre de cet nouvel horizon prôné par la franchise, c’est l’humain et ses propres créations : représentée à la fois par le personnage robotique de David et ses sbires de xénomorphes : le docteur Frankenstein et ses monstres. Le passager intrus n’est plus la créature mais c’est David : sorte de demi dieu qui déteste l’humanité, qui voit en eux une imperfection qui n’est pas digne d’être respectée. C’est la révolte de l’intelligence artificielle qui dépasse sa propre mission contre ceux qui l’ont méprisé. Le cinéaste déplace alors le centre de gravité de la peur : Ridley Scott est David et David est Ridley Scott. C’est le halo d’un cinéaste qui détruit son héritage, qui saccage une entité cinématographique mythique avec Alien Covenant : film malade, mais éclatant, fascinant de misanthropie qui démystifie l’aura de ce qui fut créé précédemment. Qui crache sur le symbole d’une génération, d’une peur disparue, d’une créature qui s’efface et qui se transforme en simple instrument de la mort. Un blasphème provocateur mais étant le produit d’une excentricité aussi égocentrique que magnétique. Une boucle bouclée ?