Sorti il y a tout juste 43 ans, en 1975, Les Dents de la mer ne se contente pas d’être un chef d’œuvre. Ce film va bouleverser la production cinématographique et ouvrir la voie à une nouvelle forme de cinéma de divertissement.
Spielberg, maître du suspense
Tout d’abord, ce film, le deuxième film de cinéma de Spielberg après Sugarland Express (Duel, sa première œuvre, est un téléfilm), montre la grande maîtrise technique du réalisateur.
Les Dents de la mer est clairement divisé en deux parties. La première se déroule à terre, dans la station balnéaire, et insiste sur le suspense là où la seconde partie, en mer, lorgnera plutôt du côté du film d’aventures.
Spielberg, qui a bien retenu les leçons hitchcockiennes, joue beaucoup avec ses spectateurs, surtout par rapport à ce qu’il montre ou pas à l’écran. Ayant compris que ce que l’on ne voit pas est pire que ce que l’on voit, il retarde le plus possible l’apparition du requin, laissant ses personnages en dresser un portrait des plus terrifiants. Toutes les recherches menées par Brody (Roy Scheider) aboutissent à l’idée que le requin est une machine à tuer quasiment surnaturelle, attiré par le sang, avalant tout ce qui passe à sa portée, impitoyable et dénué de sentiments. Les questions de Brody sur sa longévité (2000, 3000 ans ?) renforcent encore cet aspect fantastique d’un animal transformé en un monstre marin mythologique. Le clou reste le départ du bateau, filmé à travers les mâchoires d’un requin, comme une confirmation que les personnages se jettent, littéralement, dans la gueule du loup.
Spielberg s’amuse à jouer avec les nerfs de ses spectateurs. La scène de la fête nationale est, à ce titre, un exemple. Le montage, le sens du rythme, les fausses pistes, le sentiment de danger permanent, la volonté de ne pas en faire trop, le requin qui reste invisible, une terrible caméra subjective et la musique de John Williams, tout se mêle pour faire une grande réussite.
C’est au milieu que le film prend une autre direction, sans pour autant perdre de son unité. Embarquant les trois personnages principaux sur un bateau, il paraît inverser les règles du jeu : jusque là, c’était le requin qui chassait, et maintenant il est chassé. Du moins théoriquement, mais le cinéaste va vite insister sur la situation très précaire des trois « chasseurs », dont le bateau semble en bout de course. Quant au requin, plus que jamais il apparaît comme un monstre.
Avec beaucoup de subtilité, le scénario instaure des moments plus calmes, des scènes plus légères, voire même comiques mais qui, immanquablement, se concluent par une image qui rappelle le danger imminent. Tout ce procédé permet aux acteurs de montrer l’étendue de leur talent, en particulier Robert Shaw, absolument formidable dans le rôle du vieux loup de mer.
Une date dans l’histoire du cinéma
Ce film va aussi lancer toute une mode dont on voit encore les effets de nos jours. Outre diverses suites aux qualités déclinantes, il faudra compter sur des Shark Attack et autres Peur Bleue, de Renny Harlin, sans oublier les inénarrables Sharknado ou Sharktopus. Le requin va devenir la vedette de toute une production cinématographique, parfois suppléé par ses collègues Piranhas.
Alors, certes, Les Dents de la mer est une immense réussite, mais il ne se contente pas d’être un chef d’œuvre. Bien entendu, il va lancer la carrière de Steven Spielberg, qui enchaînera par la suite avec Les Rencontres du troisième type et se permettra même d’auto-parodier la scène d’ouverture des Dents de la Mer dans son film 1941.
Plus largement, le milieu des années 70 est la période où les cinéastes de ce que l’on appelait le Nouvel Hollywood vont s’affirmer : en 72 c’était Coppola qui signait Le Parrain, quand un an plus tard Scorsese réalisait Mean Streets ; et deux ans après Les Dents de la mer, ce sera à Lucas d’intervenir avec Star Wars. Ceux qui, jusqu’à présent, étaient des petits trublions du cinéma américain, vont imposer leurs méthodes et devenir les maîtres du jeu, transformant le cinéma hollywoodien.
En bref, en lançant la mode des blockbusters, Les Dents de la mer va marquer l’histoire du cinéma. Cependant, la qualité de sa réalisation et du scénario placent ce film bien au-dessus des productions habituelles du genre, à la fois une référence et un chef d’œuvre.
Les Dents de la mer : bande-annonce
Les dents de la mer : fiche technique
Titre original : Jaws
Date de sortie originale : 20 juin 1975
Nationalité : Etats-Unis
Réalisation : Steven Spielberg
Scénario : Peter Benchley, Carl Gottlieb, d’après le roman de Peter Benchley
Interprétation : Roy Scheider (Brody), Richard Dreyfuss (Hooper), Robert Shaw (Quint), Lorraine Gary (Ellen Brody), Murray Hamilton (le maire Vaughn)
Musique : John Williams
Photographie : Bill Butler
Décors : John M. Dwyer
Montage : Verna Fields
Production : Richard D. Zanuck, David Brown
Société de production : Zanuck/Brown Productions, Universal Pictures
Société de distribution : Universal Pictures
Budget : $ 8 000 000
Genre : aventures
Durée : 124’