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Une aventure de Buffalo Bill et L’Ange et le Mauvais Garçon : la domestication du héros de l’Ouest

Elephant Films a récemment publié une poignée de westerns, dont nous avons sélectionné sinon les meilleurs, du moins les deux plus « classiques ». Tournés à dix ans d’écart, Une aventure de Buffalo Bill (Cecil B. DeMille) et L’Ange et le Mauvais Garçon (James Edward Grant) figurent assurément parmi les meilleurs représentants du style et sont menés par deux légendes, Gary Cooper et John Wayne. Leur point commun ? Motivés par une bonne étoile féminine, leurs héros accomplissent avec difficulté – et non sans sacrifices – la transition d’une existence marquée par l’aventure et la violence vers la paix et la civilisation. Leur destin symbolise avec brio la douloureuse édification de la société américaine à travers ses conflits formateurs (guerre de Sécession, guerres indiennes) et modernes (les deux guerres mondiales). 

Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman/1936) : légende d’un temps révolu

Synopsis : À la fin de la guerre de Sécession, les marchands d’armes décident d’écouler leur stock auprès des tribus indiennes, sans se soucier que cela va fragiliser la paix. C’est le douteux Lattimer qui prend la tête des opérations. Buffalo Bill, démobilisé après la guerre, veut maintenant goûter au calme avec son épouse Louisa. Mais retrouver son vieil ami Wild Bill Hickock le pousse à reprendre du service, le temps d’escorter un groupe de soldats…

Réalisé en 1936 par le légendaire Cecil B. DeMille dont c’est le neuvième film parlant, Une aventure de Buffalo Bill pâtit d’une traduction française trompeuse, car si Buffalo Bill (interprété par James Ellison) y joue un rôle important, son protagoniste est un autre mythe de l’Ouest, Wild Bill Hickok, interprété par le non moins mythique Gary Cooper. Le film s’amuse d’ailleurs à multiplier les figures historiques particulièrement populaires dans l’imaginaire américain, puisque celle qui complète le trio de personnages principaux est Calamity Jane, jouée par Jean Arthur. L’œuvre fut un triomphe à sa sortie et est aujourd’hui considérée comme un des meilleurs westerns des années 30 – voire de tous les temps. Un plébiscite en aucun cas usurpé, tant le génie de la mise en scène de DeMille est au service d’un scénario riche et nuancé qui, en fictionnalisant quelque peu les liens réels ayant existé entre ces trois héros, aborde d’autres facettes du « roman historique » américain, notamment les relations tragiques entre l’homme blanc et l’homme rouge.

Le point de vue du film sur la cohabitation avec les Amérindiens interpelle dès la première séquence, qui a lieu dans le bureau du président. La guerre de Sécession vient de s’achever, Abraham Lincoln part assister à une représentation théâtrale (lors de laquelle il sera assassiné). Parmi les hommes de pouvoir restés seuls dans l’antre du pouvoir, un débat naît au sujet du sort à réserver à toutes les armes qui ont été fabriquées, mais ne trouveront plus preneur à présent que le conflit est terminé. La cupidité l’emporte sur la morale lorsqu’un industriel propose de les écouler auprès des Indiens, au risque de compromettre une paix fragile. Cette critique initiale trouvera son pendant dans la représentation nuancée et respectueuse des tribus indiennes. La guerre, inéluctable, met ces dernières aux prises avec les héros, mais jamais le film ne verse dans le manichéisme.

Une aventure de Buffalo Bill met en accusation non pas un des deux belligérants, mais la violence de la guerre en tant que telle, et ceux qui soufflent sur les braises de la discorde par intérêt personnel. Il interroge également les motivations de ceux qui s’épanouissent dans un climat d’insécurité. Les vendeurs d’armes sèment le chaos sans se soucier des conséquences, les Indiens se battent par nécessité de survie, les soldats américains font leur devoir, mais qu’en est-il de tous les autres ? Ces aventuriers qui battent les pistes en quête de sensations fortes, que recherchent-ils ? C’est la question que soulève Une aventure de Buffalo Bill en introduisant dans le contexte historique le récit intime d’un trio de légendes et sa façon de s’adapter au monde nouveau qui s’ouvre. Deux vétérans de l’armée de l’Union se retrouvent par hasard : si Wild Bill Hickok (Gary Cooper) est toujours un dur à cuir qui ne cherche qu’une occasion de confirmer la réputation qui le précède, Buffalo Bill Cody (James Ellison) s’est, quant à lui, marié et souhaite « se ranger ». Le duo retrouve plus tard l’inénarrable Calamity Jane (Jean Arthur) qui, derrière ses tenues masculines et son air bravache, ne souhaite qu’une chose : regagner le cœur de Wild Bill et démarrer une nouvelle vie loin du tumulte et de la violence. Mais en redevenant tragique (une guerre fratricide débute alors que la précédente vient de s’achever), l’Histoire semble donner raison à Wild Bill, qui n’hésite pas à saisir le prétexte pour poursuivre une existence qu’il ne parvenait de toute façon pas à abandonner. Pendant tout le film, Jane tentera de le détourner du destin funeste qui attend tous ceux qui ont vécu leur vie les armes à la main. Même l’ami Buffalo Bill finira par être lancé à ses trousses pour tenter de le faire rentrer dans le rang. En vain : Wild Bill est un homme d’une ère de tempête et de fureur, il disparaîtra en même temps qu’elle. Son sacrifice ultime se fera bien sûr au nom de la justice, scellant définitivement sa place dans le panthéon des figures populaires nationales.

SUPPLÉMENT 

Précisons d’abord que ce nouveau master restauré d’excellente qualité est proposé en deux versions : la version française d’époque de 101 minutes et la version originale intégrale qui inclut douze minutes de plus. Inutile de préciser sur quelle version nous vous conseillons de jeter votre dévolu…

L’unique bonus – outre la traditionnelle bande-annonce – consiste en une présentation fort intéressante par le toujours inspiré Jean-Pierre Dionnet. Le producteur et scénariste français qualifie sans détour Cecil B. DeMille de « plus grand cinéaste américain », malgré ce qu’il qualifie de « défauts humains » (même si on apprécie la liberté d’expression dans ce genre d’exercice, condamner les positions conservatrices de DeMille nous semble à la fois anachronique et inadéquat dans ce contexte). Dionnet souligne ainsi la richesse d’une œuvre qui évolua de l’avant-gardisme sophistiqué au classicisme pur. La qualité du travail du cinéaste s’explique notamment par sa collaboration étroite avec de grands directeurs artistiques qui dessinaient ou peignaient tous les plans, ainsi qu’avec les comédiens, notamment à l’occasion des scènes de foule, qu’il maîtrisait à la perfection. Dionnet s’intéresse ensuite aux personnages réels dépeints par le film, notamment Calamity Jane (personnage incroyable, aux multiples facettes, auquel le cinéma a consacré une vingtaine de longs-métrages) et Buffalo Bill (l’homme le plus célèbre de son temps et l’objet d’un véritable culte). Enfin, Dionnet évoque la carrière et la talent de Jean Arthur et Gary Cooper. La première, qui apparaît la même année dans L’Extravagant Mr. Deeds de Capra, eut une carrière en progression constante, de ses premiers rôles de jeune ingénue à des interprétations beaucoup plus riches et complexes. Quant à Cooper, Dionnet lui réserve le même sort paradoxal qu’à DeMille : s’il critique ses convictions idéologiques, il le qualifie de plus grand acteur américain. Le spécialiste a évidemment raison de souligner la modernité du jeu de Cooper, qui inventa une forme de underplay qui, paradoxalement, lui permit d’incarner n’importe quel type de personnage. Dionnet n’oublie pas de mentionner la présence furtive d’Anthony Quinn dans le rôle d’un jeune Indien, une des premières apparitions à l’écran du comédien qui épousera l’année suivante la fille adoptive de DeMille ! On peut regretter que le remake du film tourné en 1966 (par David Lowell Rich) ne soit pas mentionné, ainsi que, de manière générale, l’absence d’autres suppléments pour un tel classique, dans ce qui demeure néanmoins une édition très recommandable.

L’Ange et le Mauvais Garçon (Angel and the Badman/1947) : un simple fermier

Synopsis : Quirt Evans, ancien adjoint du célèbre Wyatt Earp et manieur d’armes hors-pair, est blessé par un groupe d’individus dangereux. Il est recueilli par une famille et découvre avec étonnement qu’elle prône la non-violence. Penny, la jeune fille de la fratrie, ne laisse pas Quirt indifférent. Mais leurs manières de voir les choses demeurent difficilement compatibles. Quirt va devoir choisir entre vengeance et amour…

On retrouve dans cet autre classique du western, tourné en 1947, un héros semblable à celui de Wild Bill Hickok dans Une aventure de Buffalo Bill. Interprété par une autre légende de l’écran, John Wayne, le personnage de Quirt Evans est, à l’instar de Wild Bill, précédé d’une réputation ombrageuse. Les deux hommes illustrent à quel point la moralité de ceux qui vivent dangereusement ne tient qu’à un fil. Les prouesses de Wild Bill lui valent autant d’admirateurs que d’ennemis, il évolue en permanence dans une zone grise qui lui attire la méfiance de l’armée et même de son ami Buffalo Bill, un autre aventurier et gunman de renom mais qui est resté résolument du bon côté de la ligne rouge. Cette dernière est un tracé aux contours mal définis, une limite que l’on franchit parfois sans s’en rendre compte. Ancien associé du mythe Wyatt Earp, Quirt Evans est, quant à lui, passé du mauvais côté il y a plusieurs années, après avoir abattu un homme au cours d’une rixe de saloon. Questionné sur ses motivations par le marshal, Quirt ne sait que répondre : ces choses-là arrivent dans l’Ouest sauvage, tout simplement.

Le sort différent de ces deux protagonistes ambigus tient à l’époque de sortie des films. Tourné au lendemain du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, L’Ange et le Mauvais Garçon se devait d’offrir une rédemption à son héros sous forme de sortie du cercle vicieux de la violence. Le salut de Quirt lui est offert par Penelope (Gail Russell), la fille d’une famille de quakers qui ébranle ses convictions par son charme, mais aussi par ses croyances religieuses diamétralement opposées à tout ce qu’il a connu jusqu’alors. Traqué par un vieux marshal roué qui rôde autour de lui comme un félin, à l’affut du moindre faux pas, Quirt renonce in extremis au fameux standoff final, symbole évident d’un basculement de mentalité. Le marshal a beau continuer à espérer un dérapage, Quirt l’assure, « à partir de maintenant, je ne suis qu’un fermier » !

Le film fut réalisé par James Edward Grant, un auteur de nouvelles et scénariste qui contribua en cette dernière qualité à une cinquantaine de films. Grant fut surtout un ami proche de John Wayne, avec lequel il collabora sur douze projets. De fait, L’Ange et le Mauvais Garçon porte la marque de Wayne, pratiquement de tous les plans, et de son expérience avec John Ford, dont Grant imite l’épure scénaristique et l’humanisme des personnages animés par des valeurs simples et honorables. Sans parler du décor de Monument Valley et de la présence de Yakima Canutt en tant qu’assistant-réalisateur en charge des scènes de cascade. Ces dernières sont cependant nettement plus rares que chez Ford, le film se concentrant avant tout sur la rencontre, amoureuse (on a rarement vu Wayne embrasser autant sa partenaire à l’écran !) autant que philosophique, entre un « homme mauvais » (même si Wayne n’apparaît jamais comme un personnage négatif aux yeux du spectateur) et un « ange » qui lui montre une nouvelle voie dans la vie.

Plus modeste dans ses intentions que la plupart des « grands » westerns de l’époque, L’Ange et le Mauvais Garçon se révèle néanmoins un grand film dans son traitement de l’image du gunslinger de l’Ouest, présenté non comme un symbole désincarné de virilité mais dans son intimité humaine, dégageant un portrait profond et touchant. En outre, John Wayne, Gail Russell et Harry Carey (dans le rôle du marshal McClintock) sont parfaits dans leurs rôles respectifs, ce qui ne gâche rien.

SUPPLÉMENT

A l’instar d’Une aventure de Buffalo Bill, cette édition ne comporte qu’un seul supplément, mais il est de qualité, puisqu’il s’agit d’une présentation du film par l’enseignant en histoire du cinéma Nachiketas Wignesan, que l’on retrouve toujours avec autant de plaisir.

Wignesan reprend en introduction une question perfide souvent posée au sujet de L’Ange et le Mauvais Garçon : « y a-t-il un réalisateur à ce film ? » Le spécialiste rappelle ainsi la proximité de Grant avec Wayne dont il se contenta de « signer » plusieurs projets, ainsi que les références évidentes aux westerns classiques de Ford. Néanmoins, l’œuvre de Grant se distingue en se concentrant sur l’évolution de son héros, l’affranchissement de la violence, le sentiment amoureux, le quotidien, les non-dits. Bref, « tout ce qu’on ne montre pas d’habitude dans les westerns ». Autre particularité, le film est pratiquement dépourvu d’antagonistes, limités à une menace peu prégnante et, surtout, peu marquante. Wignesan rappelle que le Duke était à l’époque sous contrat avec Republic Pictures, un studio modeste (mais loin d’être inintéressant !), car il avait connu une passe difficile, mais il devint soudain une énorme star et voulut renégocier son contrat, trouvant finalement un accommodement avec son employeur tout en continuant à tourner pour lui. Enfin, le professeur en histoire du cinéma souligne à juste titre l’intérêt du personnage du marshal, sorte de figure de la fatalité qui court derrière l’ancien hors-la-loi, pour finalement le sauver et garantir sa rédemption, dans un finale ô combien symbolique. 

Suppléments des éditions combo Blu-ray/DVD : 

Une aventure de Buffalo Bill

  • Le film par Jean-Pierre Dionnet
  • Bande-annonce d’époque
  • Dans la même collection

L’Ange et le Mauvais Garçon

  • Le film par Nachiketas Wignesan
  • Bande-annonce d’époque
  • Dans la même collection

Note concernant les films

4.5

Note concernant l’édition

4