Pour débuter ce mois de mars placé sous le signe de la musique au cinéma, quoi de mieux que de se pencher sur le cas John Ford, un cinéaste qui a toujours donné à ses partitions une place de choix, au moins aussi importante que les dialogues et les images.
Introduction
Le cinéma a ceci d’unique qu’il synthétise volontiers tous les autres médiums artistiques, accouchant parfois d’œuvres d’art totales. Les plus grands films s’accompagnent souvent d’une bande-son tout aussi mémorable, où images, paroles et sons jouent de concert pour délivrer un langage polyphonique et polysémique. On aurait tendance à se reposer sur ce que nos yeux contemplent et ce que les dialogues racontent, mais ce serait oublier que la musique, sous toutes ses formes – chantée, sifflée, murmurée, jouée, qu’elle soit intradiégétique ou au contraire extérieure au récit –, est porteuse de sens à une échelle invisible : la musique percute l’âme directement, et c’est parce que sa rencontre avec notre for intérieur se fait à l’insu de notre conscience qu’elle génère si facilement l’émotion. Elle est là sans qu’on n’y appose une réflexion, une méfiance, et ainsi on se livre sans bouclier à la pluie de ses flèches harmoniques.
Le travail du son et de la musique au cinéma est donc d’autant plus complexe qu’il doit permettre à la partition d’être entendue, en filigrane, sans être trop insipide pour ne susciter aucun sentiment à son égard, ni trop intrusive pour ne pas sombrer dans la cacophonie. Un savant dosage qui relève davantage de l’intuition et de la sensibilité du créateur que d’une équation miracle. Chez John Ford, cet assortiment entre les images et la musique paraît d’un naturel déconcertant : chaque mélodie résonne comme une évidence, chaque chant s’inscrit dans un contexte historique, religieux, dramatique, si bien que la musique est pour le récit autant un catalyseur qu’un inhibiteur. Et si s’arrêter sur la dimension musicale de l’œuvre de John Ford semble aussi instinctif, c’est que les séquences dédiées à la musique sont légion et que, d’un film à l’autre, on se surprend à reconnaître une mélodie – autrefois jouée à l’harmonica, ici au violon, plus tard a cappella. Ces récurrences bien entendu volontaires et loin d’être alourdissantes participent de l’étonnante cohérence d’ensemble d’une filmographie pourtant fleuve, avoisinant les cent cinquante films pour un héritage d’à peu près quatre-vingt-dix métrages aujourd’hui. L’occasion ici, l’espace d’un dossier, de dérouler sa pellicule et de se délecter de son solfège.
I – John Ford, une personnalité musicale
Devant la caméra comme en coulisses, la musique a toujours joué un rôle important pour John Ford. Elle n’est en aucun cas réduite à un fond sonore, un simple « accompagnement » comme on qualifie souvent les mélodies subordonnées aux images ; la musique est tout aussi importante que les images, voire que les dialogues. Ford lui-même disait qu’il préférait de la bonne musique à de mauvais dialogues – bien qu’il n’accouchât jamais de « mauvais dialogues », de toute façon. Avec Ford, la musique a un sens, et notamment dans ses westerns où elle évoquait irrémédiablement la tradition, la nostalgie d’une époque plus simple et moins emprise au désespoir, une époque où l’Amérique était encore une terre gorgée de promesses, d’aventures et d’inconnu, où chaque prairie verdoyante s’étalait paisiblement sur des kilomètres, en attendant que quelque pionnier passant par là vînt l’apprivoiser.
Parmi les membres de la John Ford Stock Company, nom que l’on donne au groupe d’acteurs et plus généralement d’artistes ayant souvent participé aux films du réalisateur américain, on trouve le nom de Danny Borzage, frère de l’illustre Frank Borzage, qui collabora à treize reprises avec John Ford. D’abord acteur, Danny Borzage devient rapidement un incontournable non pas devant la caméra, mais sur les plateaux de tournage, où il assure la partie musicale ô combien importante ; lui-même jouera de l’accordéon lors des funérailles de John Ford. On lui doit entre autres les partitions de Les Raisins de la colère, La Chevauchée fantastique et Deux durs à cuire.
Mais dans les films de John Ford, la musique ouvre des bulles atemporelles, dans lesquelles le tragique comme le comique sont permis ; elle souligne sans cesse l’humanité des personnages et tisse des liens puissants entre eux (voire avec le spectateur) : malgré le destin qui les accable, les dangers qui les guettent, la musique est toujours une source de bonheur et de relativisme quant à la condition humaine bien souvent misérable. Transcendant les films et l’évolution thématique de son réalisateur, la musique conserve une constance et une consistance rarement observées au cinéma : de ses débuts en 1917 jusqu’à son dernier film en 1966, l’âme de l’œuvre de John Ford est éminemment musicale. Sa personnalité, ses obsessions, son ancrage religieux, ses tourments historiques, tout Ford est cristallisé dans sa musique.
II – Un ancrage historique
Si l’on devait résumer en un mot toute la puissance que joue la musique chez John Ford, ce serait sans doute le mot « lien ». En effet, celle-ci sert toujours à relier les hommes : entre eux, avec leurs ancêtres, avec l’histoire, avec eux-mêmes. Le plus évident est d’abord cet ancrage historique que tous les films de Ford partagent : la musique offre une peinture invisible de l’Amérique et ses paysages, elle illustre ses grands combats, ses dynamiques, ses mouvements de populations, la nostalgie de certaines générations à l’égard de précédentes. Comment y parvient-elle ? En réinvestissant sans cesse des mélodies bien connues, entrées dans la culture populaire et l’inconscient collectif de l’ouest américain, qui parlent à toutes les catégories sociales et évoquent par leur seul entonnement un passé lourd d’histoire, de sang, de triomphes et de défaites. Aussi les personnages sont-ils souvent émus lorsque résonnent ces thèmes musicaux, presque toujours intradiégétiques parce qu’ils ne surgissent pas au hasard, mais sont l’expression de leurs propres émotions. Ces séquences musicales paraissent la plupart du temps improvisées, spontanées, et par là authentiques ; cela tient à un serviteur sortant son harmonica, à une colonne militaire soufflant dans ses trompettes, à un passant armé d’une guitare de fortune, ou simplement à n’importe quel être humain se mettant à chanter. Les instruments eux-mêmes sont ainsi ancrés dans une géographie, le Far West, et offrent des sonorités qui plongent directement la mélodie dans l’imaginaire commun lié à cette région.
Par exemple, la chanson « She Wore a Yellow Ribbon » peut être entendue aussi bien dans La Charge héroïque que dans Le Massacre de Fort Apache, créant un lien, déjà, entre ces deux films de cavalerie, mais manifestant surtout un même patriotisme loin de n’être qu’un simple nationalisme, en tant qu’il participe d’un devoir de mémoire envers les pionniers et tous ceux qui se battirent pour fédérer les États d’Amérique. Les chants militaires sont monnaie courante chez John Ford, de « Army of the free » à « When Johnny Comes Marching Home », ils soulignent la fraternité des hommes et sont source de motivation avant de s’engager dans le combat. Au contraire, dans Le Convoi des braves, la traversée du désert est empreinte de chants nostalgiques, qui traduisent plutôt la désolation : les personnages sont à la fois effrayés par la menace indienne qui les poursuit, et mélancoliques devant l’arrachement forcé à leurs terres ; un déracinement les menant à un destin inconnu. On remarquera tout de même que John Ford n’oublie pas ses origines irlandaises, auxquelles le film Quand se lève la lune rend hommage à travers le chant traditionnel « Rising of the moon ».
Par ailleurs, chanter peut aussi permettre de faire honneur aux êtres exceptionnels (on pense à « Oh My Darling Clementine » ou « The Man Who Shot Liberty Valance »), et donc d’élever les personnages au rang de héros. Dans dans Rio Grande, les soldats poussent la sérénade pour fêter l’arrivée de la femme du sergent, affichant à la fois leur admiration pour cette dame et leur loyauté envers leur chef. C’est cette même loyauté qui interrompt le dîner du Massacre de Fort Apache entre les familles de John Wayne et de George O’brien, embourbé dans les formalités et les bonnes manières, et où des soldats – encore eux – surgissent à l’improviste et détendent l’atmosphère en chantant. C’est encore le cas dans Ce n’est qu’un au revoir, où un sergent sur le départ se fait surprendre par ses hommes venus chanter leur dévotion et leur amitié tardives ; un moment touchant pour cet homme vieillissant qui mit tant d’années à être accepté par les siens.
De ces quelques exemples, on retiendra la volonté de faire l’éloge des grands hommes par la musique, dans la mesure où les chants servent souvent à parler des légendes, des mythes, en tant qu’ils se transmettent et touchent donc plusieurs générations, perpétuant la mémoire de ces personnages héroïques. En guise de dernier exemple, qui est peut-être le plus frappant pour illustrer ce point, prenons Le Monde en marche : le film conte la vie d’une famille au fil de plusieurs générations, et comment les affaires ou les guerres ont transformé leur monde. Les individus changent, mais tous sont liés par une mélodie qui, dès qu’elle est jouée par l’un des membres de la famille, fait retomber sur les épaules des autres tout le poids du temps et de l’histoire. La musique devient, dans ce film, comme un gène supplémentaire, un héritage qui coule dans les veines des personnages de Ford et les lie de près ou de loin à une même histoire – celle de l’Amérique.
III – Un langage invisible
Comme nous le précisions plus haut, John Ford sait que la musique est un langage parfois plus « parlant » que les mots, aussi s’en sert-il de moteur lorsque le récit arrive dans une impasse, ou de ressort dramatique et psychologique. Bref, le cinéaste américain fait dire à la musique ce que les images et les dialogues taisent, créant une autre couche de signification.
Dans Le Corsaire de l’Atlantique, une scène de danse permet de créer un décalage entre la légèreté de l’instant et la tension sous-jacente prête à exploser à l’insu des personnages : les officiers de la marine américaine font escale dans une taverne pour prendre du bon temps, sans savoir que leurs ennemis allemands s’y cachent et que la chanteuse en train de les distraire est une espionne cherchant à faire baisser leur garde. C’est une technique qui sera maintes fois reprise au cinéma : créer une ambiance joyeuse et naïve pour que le surgissement de la violence soit d’autant plus frappant. Mais en 1931, à l’époque du film en question, il faut se dire que c’est encore assez inédit.
De la même manière, la séquence de chant de Mogambo est tout aussi amère : derrière les grands sourires et les airs enjoués, on sent la jalousie et l’hypocrisie du triangle amoureux éclater silencieusement dans les regards ; et finalement, ce moment trivial devient un véritable tournant dans la quête de séduction des personnages. La manipulation à travers la douceur de la musique est une technique souvent exploitée par Ford : dans La Poursuite infernale, une danseuse de cabaret pousse la chansonnette pour déconcentrer Henry Fonda, en pleine partie de poker, et en profiter pour regarder son jeu et avertir son adversaire. Mieux, dans La Chevauchée fantastique, les protagonistes se font voler leurs chevaux alors qu’ils se reposent dans une auberge, à cause d’une servante dont le chant en apparence anodin sert en réalité à couvrir la fuite des voleurs.
Mais John Ford est encore plus fort lorsqu’il fait passer, par la musique, des indices quant à la psychologie même de ses personnages. Dans le méconnu – mais non moins excellent – Arrowsmith, un mari obsédé par son travail délaisse sa femme dans une bâtisse perdue quelque part dans l’Afrique coloniale. Celle-ci sombre progressivement dans la maladie et la folie paranoïaque, et les chants des travailleurs noirs se font de plus en plus faibles à mesure qu’elle bascule. En jouant simplement avec le fond sonore, Ford illustre mieux l’isolement progressif qu’avec n’importe quel mot.
Et comment ne pas parler de La Prisonnière du désert, dans lequel le parcours psychologique de John Wayne est conté par le thème principal du film, « Ride Away », l’une des plus remarquables bandes-son extradiégétiques de l’œuvre de John Ford, qui sert ici ni plus ni moins de narrateur à l’histoire. Ouvrant le film et le concluant, cette chanson exprime à la fois la boucle dans laquelle est enfermée le personnage de Ethan (à savoir de repartir chevaucher seul, inexorablement), et en même temps la rédemption que chaque tour de piste laisse entrevoir un peu plus. Une mélodie magnifique, un air entraînant, et une chanson finalement indissociable de son film et de son personnage dans l’imaginaire collectif.
IV – Dialoguer avec les morts
Si comme nous l’avons vu, la musique parvient à relier les personnages entre eux, mais aussi avec l’histoire de leurs ancêtres, c’est qu’elle possède une puissance magique capable de nouer le dialogue avec l’au-delà, de relier les morts aux vivants. D’où un nombre incalculable de scènes d’enterrement, de recueillement, de communion religieuse, éminemment musicales. On chante après la mort, mais aussi juste avant, comme si la musique servait aussi bien d’extrême onction aux mourants que de rémission aux survivants.
Dans Mary Stuart, alors que les troupes s’organisent pour renverser la reine, celle-ci se retranche dans sa chambre avec ses suivantes et son fidèle ami qui entonne une chanson parlant d’espoir et d’amour… juste avant d’être assassiné. De même dans La Mascotte du régiment, alors qu’un soldat un peu benêt se meurt dans son lit d’hôpital, victime de la guerre et de la folie des hommes, il demande à l’une de ses seules amies, l’une des seules qui l’accepte comme il est, une simple enfant, de l’accompagner vers le ciel en reprenant le célèbre « Auld Lang Syne », un chant qui promet aux deux amis de se retrouver un jour. On pense également à Steamboat Round the Bend, où Duke, en attendant d’être pendu pour meurtre, reçoit la visite de sa fiancée et joue, à la scie, « Home, Sweet Home », une chanson rappelant le souvenir d’un doux foyer qui n’est plus, et que les autres détenus fredonnent avec lui comme par solidarité. Ces scènes sont toujours de grands moments d’émotion, parce qu’elles font office de rites préparatoires à la mort, permettant à ceux qui trépasseront de se confesser auprès de leurs proches, et à ces derniers d’accompagner des êtres chers jusqu’à la dernière minute. Et si John Ford habille constamment la mort de musique, c’est parce qu’il sait que c’est la seule chose qui puisse apaiser l’âme dans ces moments-là.
Ainsi, presque chaque film possède sa scène d’enterrement, accompagnée d’une lecture de la Bible ou d’un chant religieux (le plus souvent, l’émouvant « Shall We Gather At The River »). C’est le cas dans La Prisonnière du désert, comme dans beaucoup d’autres, à l’image du Fils du désert : trois voyous en fuite sont bloqués dans le désert par une tempête, et découvrent alors un chariot abandonné dans lequel une femme, mourante, donne la vie à son bébé de justesse ; ils décident de lui rendre hommage et promettent de protéger l’enfant. Ici la musique fait office de pacte entre deux personnages, de promesse qui survit au trépas de l’un et bouscule le destin de l’autre.
Car une fois la mort survenue, la musique ne perd en aucun cas de sa puissance. Dans Judge Priest, il y a cette scène bouleversante où monsieur Priest est assis sur une chaise, son valet jouant de l’harmonica, pendant qu’il regarde deux amoureux discuter et qui lui rappellent sa jeunesse, mais surtout sa femme disparue, et sur la tombe de laquelle il continue de se recueillir pour lui raconter ses journées. Ici la musique devient un compagnon de route, un avatar du passé qui éveille la nostalgie et prévient du désespoir de la solitude.
Enfin, on peut évoquer rapidement La Taverne de l’Irlandais, dans la mesure où même si la mort n’est pas le sujet de la séquence en question, la musique y joue la même puissance divine de protection et de communion des âmes. Le temps d’un Noël, et ce malgré la tempête qui menace l’église de s’écrouler, tout le village se réunit pour chanter en chœur, comme si rien ne pouvait arriver aux personnages et que tant qu’ils continueraient à chanter, la mort serait tenue à distance et ils seraient protégés des intempéries. Là encore, c’est une scène qui suspend le fil du récit mais dégage une puissance émotionnelle incroyable.
V – Le triomphe de l’humanisme
Finalement, toutes ces analyses mènent au noyau substantiel du cinéma de John Ford : l’humanisme. La musique n’y déroge pas, et célèbre elle aussi la chaleur humaine au fil des longs-métrages. Qu’elle soit intégrée au récit ou superposée aux images lors du montage, la musique est toujours un porte-étendard de l’humanité dans ce qu’elle a de plus absolu, de plus beau et de plus léger, et ce malgré la gravité des événements racontés. Que l’on soit face à des salauds immoraux, à des enfants rêveurs ou des vieillards nostalgiques, la musique parvient toujours à extraire des personnages cette substantifique moelle commune à tous les hommes. Là est le lien ultime que nous recherchions depuis le début. Il n’est plus simplement question d’histoire, de liens familiaux, de fraternité militaire, de solidarité face à la mort ; il s’agit tout compte fait d’une même recherche dissimulée derrière des acceptions particulières : la quête de l’humain.
Up the River dépeint le quotidien d’une prison et de ses détenus. John Ford, comme Kubrick le fera plus tard dans Les Sentiers de la gloire, propose une scène poignante de représentation musicale devant les visages sévères de ces voyous qui s’adoucissent, les larmes coulent, et soudain brille dans leurs yeux une humanité perdue. La musique offre à ces prisonniers une échappatoire momentanée : à la froideur carcérale de leur habitat se substitue la chaleur du partage. Cette utilisation de la musique comme délivrance à l’enfermement n’est pas rare non plus : le « sergent noir » du film éponyme est en état d’arrestation pour un meurtre qu’il n’a pas commis, accusé avant tout pour la couleur de sa peau ; ses soldats, convaincus de son innocence, chantent ses louanges et le libèrent symboliquement, lui rendant justice à travers leur chanson.
Ce qu’il y a de si fort, dans ces scènes, c’est leur universalité. Qu’on les regarde aujourd’hui, il y a cinquante ans ou dans un siècle, que l’on se sente concerné par l’histoire des États-Unis ou qu’elle laisse indifférent, que l’on s’identifie aux personnages ou que l’on ne les apprécie même pas, peu importe : ces moments musicaux touchent à quelque chose de plus profond. Lorsque la famille des Raisins de la colère arrive dans un camp de passage, les personnages se réunissent avec d’autres fermiers ayant tout perdu également et partagent un moment de joie, si rare dans ce contexte et compte tenu des malheurs de leurs vies. Même disposition dans Les Hommes de la mer, où un groupe de marins s’arrête dans un bar pour fêter son retour sur la terre ferme et porter un toast, en musique, à des amis disparus ; une scène poignante pour ces gaillards qui, finalement, craquent. Encore, dans Les Sacrifiés, un groupe de soldats de la marine attend d’être envoyé en mission en sachant qu’elle pourrait être fatale ; pris d’amitié pour une infirmière, ils décident d’organiser un repas et de chanter en son honneur, faisant retomber la tension des combats.
Dans ces trois exemples, l’humanisme reprend le dessus sur la réalité de la guerre, de la famine, – de la vie. L’espace d’un instant, tout le reste ne semble plus avoir d’importance, toutes les souffrances sont oubliées et même jugées futiles comparées au simple fait d’être en vie et de partager un moment de bonheur collectif.
Conclusion
Après ce long examen, qui se voulait le plus exhaustif possible pour rendre compte à la fois de l’immense richesse de la filmographie de John Ford et de l’omniprésence de scènes musicales, on se rend compte qu’il est difficile de donner une seule direction à l’utilisation de la musique dans cette œuvre fleuve. Si l’humanisme est une dimension transversale qui s’observe autant dans la musique que dans les dialogues et la mise en scène en elle-même, le mot à retenir n’a pas changé : celui de lien. Si se plonger dans la chevauchée fordienne est aussi passionnant, si revoir des films que l’on connaît déjà par cœur ne lasse jamais, si réentendre les mêmes musiques et les mêmes chants dans de nombreux films a quelque chose d’aussi bienfaiteur, c’est que le spectateur, à force de parcourir ces films, se sent entièrement investi et intégré à cette grande famille cinématographique. On incorpore les codes, on retient les visages d’acteurs de plus en plus familiers eux aussi, on se rappelle certains paysages que l’on redécouvre sous des angles nouveaux, et on sent évidemment résonner en soi-même ces mélodies du passé qui ne cessent d’actualiser l’inconscient.
Et finalement, faire partie de la grande famille de John Ford, c’est ne jamais pouvoir s’en défaire. À l’image des fils de Qu’elle était verte ma vallée, revenant au domicile familial sous les yeux brillants de larmes de leur mère, après de longs mois passés sans donner de nouvelles, l’amateur de John Ford est toujours un peu ému à l’idée de rentrer chez lui, de retrouver Ethan, Clementine, Wyatt, M. Priest et tant d’autres, et de chanter avec eux la symphonie de leurs aventures.