Derrière Hugo Kant se cache Quentin Le Roux, un compositeur, arrangeur et musicien multi-instrumentiste phocéen. Dans le monde cloisonné du trip-hop français, il est désormais reconnu comme l’un des artistes les plus talentueux de sa génération. Rencontre avec celui qui manie les samples et les ambiances avec une dextérité chirurgicale.
Vous décrivez votre musique comme étant « cinématique », c’est-à-dire de l’ordre du mouvement. Qu’entendez-vous par là ?
Pour ma part, je n’essaie pas de faire spécialement une musique cinématographique, ni ne la décris comme telle, mais puisque ma musique est essentiellement instrumentale, elle est souvent perçue comme évocatrice et un bon support à l’image et à l’imaginaire. Elle a été décrite par certains chroniqueurs comme « cinématographique ». Surtout le premier album, qui était assez contemplatif. Et il est vrai que j’aime le pouvoir évocateur de la musique, son pouvoir de suggestion d’atmosphères, et ça se ressent dans mes compostions, qui sont souvent des invitations au voyage.
Dans quelle mesure le cinéma a-t-il pu vous influencer dans vos créations ?
Je pense que le cinéma, comme la littérature, m’ont influencé dans le sens où j’ai pris goût à l’immersion dans une autre ambiance que notre quotidienneté, le plaisir du voyage imaginaire qui nous permet de ressentir d’autres vécus. Dans mes créations, je garde en priorité les éléments qui invitent à cette possibilité d’évasion. Au cinéma, les musiques sont très variées, puisant dans des registres très différents. Ce qui est également mon cas, étant sensible à différents styles de musique : classique, trip-hop, rock, jazz, world, trad, reggae, etc. J’écoute de tout, et utilise ce tout quand je joue et compose. Après, j’ignore si c’est le cinéma à proprement parler qui influence mes créations. Le pouvoir évocateur de la musique précède le cinéma. Mais quand je compose, je me laisse porter par le son d’un instrument, et ce qu’il évoque en moi amène la suite.
Outre Le Dictateur de Charlie Chaplin, quels autres films avez-vous samplés ?
Il y a le discours du sénateur Robert Byrd contre la guerre en Irak, que j’ai découvert dans le documentaire Le Monde selon Bush, de très courts extraits de Brazil, Noblesse oblige, Dracula, The Black Hole, Le Livre de la jungle…
Dans quels buts recourez-vous à ces échantillons sonores issus du cinéma ?
Hormis le discours de Chaplin dans The Great Dictator, qui porte un message fort que je voulais transmettre, le reste des samples est utilisé pour l’ambiance qu’ils peuvent induire dans le spectre musical, en rapport avec la thématique du morceau. Comme dans « Entering The Black Hole » ou « The Eye » où je voulais un univers sidéral, spatial. Ils sont parfois utilisés également pour compléter le morceau avec un message que je cautionne comme dans « Thou Shalt Not Kill ». Pour des instrumentaux, cela permet de faire entendre des voix, de superposer deux espaces-temps dans une composition sans aller dans la chanson à texte. J’utilise aussi des échantillons de voix qui ne sont pas issus du cinéma mais d’enregistrements réalisés spécialement pour la production musicale avec les licences correspondantes.
Avez-vous déjà collaboré à des films, séries ou téléfictions ?
Non, pas encore de collaborations à proprement parler. Les morceaux existants sont régulièrement utilisés dans des montages pour des vidéos sur le net et parfois dans des productions indépendantes comme Le Film de Léa, sorti en 2015, ou le documentaire Les Voleurs d’Echo, sorti en 2018, dont j’aime bien la bande-son d’ailleurs. Avec Christophe Ménassier, le deuxième membre de Picture Shop et gérant de Home K One, je collabore de temps à autre pour proposer des musiques de publicité en tant qu’instrumentiste/compositeur.
Est-ce une chose à laquelle vous songez néanmoins ?
Cela ne fait pas partie de mes priorités. J’aime bien la liberté de pouvoir gérer mes périodes de travail, sans délais imposés, prendre du temps pour préparer mes concerts, mes prochains albums, mes collaborations, et la latitude que j’ai dans la direction artistique, faire de la musique pour elle-même. Mais ce pourrait être une expérience intéressante selon les conditions de création. Si c’est pour faire de la musique au mètre, des recettes prêtes-à-écouter, faire comme tel ou tel morceau, ou être trop dirigé, ça ne m’intéresse pas de travailler sur un long format et d’y passer du temps. Par contre, m’adapter à une histoire, des rythmes, des ambiances, pour un film ou un spectacle, serait effectivement un travail qui m’intéresserait… Un jour, si l’opportunité se présente.
Lesquels de vos morceaux imagineriez-vous dans une bande-son au cinéma ?
Beaucoup de mes morceaux pourraient intégrer une bande-son, notamment dans le dernier album, avec des morceaux comme « Black Moon », « Low Gravity » ou bien « Emi » avec son côté minimaliste. À vrai dire, le cinéma offre tellement de possibilités musicales que probablement tous les morceaux pourraient faire partie d’une bande-son, quitte à être retravaillés pour mieux s’y adapter.
Avez-vous un compositeur favori au cinéma ?
Non, pas vraiment. D’ailleurs, souvent, je ne fais pas attention aux compositeurs ! Je me laisse porter par le film, la narration. Un peu comme si je laissais mon travail de musicien/compositeur de côté. Je ne remarque pas la musique, à part si elle est très marquée, mise en avant, ou si elle dénote, si je la trouve exceptionnelle ou si je la trouve ridicule ou mal montée, mal mixée, et elle me fait alors sortir du film. Parfois, je découvre une musique en l’écoutant séparément du film. Je l’avais entendue, mais pas écoutée. Récemment, j’ai redécouvert le thème de Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Jon Brion par exemple. Pour revenir à la question, bien sûr, parmi les compositeurs les plus connus qui m’ont marqué, il y a Ennio Morricone, dont la musique est presque devenue un style à part entière, ou encore Lalo Schifrin, avec sa musique très seventies. Parmi les mastodontes des compositeurs de musiques de films, il est difficile de passer à côté de John Williams, qui s’inspire de nombreux compositeurs de musique classique et a composé la musique de nombreux classiques du cinéma, comme Star Wars. Je n’écoute pas sa musique en dehors des films, mais il fait partie des compositeurs de musiques de films incontournables.
Selon vous, qu’est-ce qui fait une bonne partition au cinéma ?
Une partition qui participe à la création des atmosphères et des émotions. Une partition qui ne se remarque que quand elle doit se remarquer. À chaque film, chaque séquence, sa partition. Shining ne serait évidemment pas le même film avec la partition de Chat Noir, Chat Blanc, et vice versa. La bande-son participe à créer l’ambiance et emporter le spectateur dans les émotions et l’univers désirés. Selon moi, la bonne partition d’un film est celle qui crée l’ambiance sonore adéquate. Après, il y a une question d’esthétique, à chacun ses affinités musicales et ses blocages. L’esthétique musicale d’un film jouera forcément sur mon appréciation finale. Par exemple, j’aurais plaisir à écouter Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud y compris sans regarder le film. Certains films vont mettre en avant des musiques pour elles-mêmes, comme Broken Flowers, The Wall évidemment, et tous les films où la musique est l’un des personnages principaux.
Quel biopic musical vous a particulièrement marqué ?
J’ai beaucoup apprécié Walk The Line sur Johnny Cash quand je l’ai vu. Il y a aussi l’inévitable Amadeus de Milos Forman.