L’Étrange Festival: des films de toutes les époques et des 4 coins du monde

A l’occasion de son troisième jour, l’Étrange Festival continue sa compétition et a débuté trois de ses cycles, chacun consacré à des réalisateurs aux univers en tous points différents : Shôhei Imamura, Andrzej Zulawski et Frank Henenlotter.

Le Pornographe (1966) lance le bal de la rétrospective dédiée au japonais double-palmé Shôhei Imamura. Il s’agit de son premier film réalisé hors des studios Nikkatsu (qui restent tout de même coproducteurs), mais surtout d’un scénario qui profite d’un excellent point de départ pour offrir un regard aiguisé sur l’état du Japon d’après-guerre : L’industrie balbutiante du cinéma érotique étant une nouvelle forme de capitalisme, il aurait pu être vu comme l’une des conséquences néfastes de l’influence américaine sur l’archipel, et la mainmise des yakuzas dans cette nouvelle économie aurait elle aussi méritée d’être soulignée. Il n’en sera rien. Au mieux, la place ambiguë que tient la pornographie dans la culture traditionnaliste nipponne aurait pu être sujet à une satire sociétale acerbe. Là encore, il ne faudra pas compter dessus. Imamura se limitera à la vie privée de son rôle-titre, qui certes relèvera d’une certaine hypocrisie quant au regard porté sur ses activités professionnelles, mais qui est traité avec un tel manque de rythme, une difficulté à faire ressentir la moindre émotion et une narration si mal construite que le résultat s’apparente finalement à une soupe sans queue ni tête et affreusement soporifique. En somme, un échec qui avait de quoi laisser craindre le pire pour la suite de la carrière du cinéaste.

7 mois après le décès d’Andrzej Żuławski, et alors que l’Etrange Festival avait décidé de l’inviter à l’occasion d’une rétrospective qui lui serait consacrée, celle-ci s’est fatalement muée en hommage, en présence de plusieurs de ses collaborateurs dont le compositeur Andrzej Korzyński. Le cycle débute logiquement par son premier film, La Troisième Partie de la nuit, réalisé en 1971. Sa façon de dépeindre la Seconde Guerre Mondiale pour en faire un récit biblique est propice à un récit ésotérique et psychologiquement éreintant. Mais son scénario est également teinté d’inspirations personnelles puisque le personnage principal de scientifique devenant, par la force des choses, résistant est directement tiré d’un ami de son père. Ses innombrables aller-retours entre le présent et le passé, qui vont jusqu’à faire s’entrecroiser les divers axes temporels, rend la narration difficile à suivre, et parfois même impossible à décrypter. Un parti-pris qui prendra sens dans une conclusion apocalyptique dans laquelle on comprend que cette première réalisation est, sur le fond comme sur la forme, la matrice de toute la filmographie qui suivra.

La rétrospective consacrée à Frank Henenlotter débute elle aussi par son tout premier film, qui le fit aussitôt connaitre des amateurs de cinéma bis : Frères de Sang, réalisé en 1982. En présence de celui que l’on nomme « le pape de la 42ème rue », ce retour sur le succès inattendu d’un projet qui aurait dû rester un délire personnel au budget dérisoire (35 000 $) en dit long sur la forte demande du public des années 80 en termes de cinéma d’exploitation. Avec son pitch fantastique résolument absurde et ses effets spéciaux en carton-pâte, cette comédie cradingue n’aurait de toute façon pas pu se prétendre commerciale mais rentrait parfaitement dans les critères des midnight movies à la mode à l’époque et ouvrait la voie au succès international d’Evil Dead l’année suivante. Et même si le réalisateur prétend que son film n’a aucun sens, qu’il serait vain d’y chercher la moindre signification, il serait dommage de ne pas remarquer qu’il dresse une peinture de sa ville (New-York) où rien ne semble avoir échappé à une forme de décadence morale, rapprochant ainsi son long-métrage d’un Taxi Driver, mais avec un panier en osier à la place du taxi. Encore une fois, cette vision du monde désenchantée ainsi que ce gout pour le trash et l’organique loufoque deviendront les leitmotivs du réalisateur et la clef de sa réputation.

A coté des rétrospectives, les avant-premières continuent puisque nous vient d’Argentine une exclusivité mondiale:

A chaque année son lot de films horrifiques à sketchs. Cette année, Terror 5 nous vient d’un collectif de jeunes réalisateurs argentins qui se sont mis d’accord sur un point de départ à priori prometteur : Faire se concrétiser durant une même nuit et dans une même ville plusieurs légendes urbaines et ne pas chapitrer le scénario en faisant se succéder les histoires les unes après les autres mais au contraire adopter une construction de film choral pour assurer la cohésion de l’ensemble. Pas de chance, les quelques pistes suivies par chacun des récits se révèlent toutes être vaguement tirés de classiques plus ou moins récents du genre, mais sans jamais rien y apporter ni même réussir à tirer le moindre effet efficace de leurs références respectives. On ne peut que regarder avec dédain comment chaque réalisateur est parti de son côté, allant signer son lamentable segment, jamais effrayant mais avec lequel il espère tenir un minimum de place dans le montage final (car la réparation est loin d’être égalitaire). Seul point commun entre le résultat de leur réalisation respectives : ils se sont tous fourvoyés, nous laissant dans l’espoir que leurs récits iraient converger vers une conclusion en guise d’apothéose explosive. Au contraire, le moment où se rencontrent enfin les amorces de scénario encore en cours (certains étant morts dans l’œuf bien avant) n’est en fait qu’une excuse pour ne pas donner de réelle fin à celles-ci, et tout tombe pitoyablement à plat.

Rédacteur