festival-lumiere2017-Wong-Kar-Wai-masterclass

Festival Lumière 2017 : Master Class intimiste de Wong Kar Wai

Sebastien Guilhermet Redacteur en Chef

Monstre sacré du cinéma asiatique, Wong Kar Wai nous fait l’honneur de se pencher sur son passé et les motivations qui l’ont accompagné durant sa carrière, lors d’une Master Class intimiste et marquée par les improbables et délirantes interventions de son chef opérateur Christopher Doyle. Un moment du Festival Lumière 2017 qu’il ne fallait pas rater.

C’est sous une standing ovation que Wong Kar Wai rentre dans la salle du théâtre des Célestins, suite à la succincte mais affectueuse présentation de Thierry Frémaux. Le directeur du Festival Lumière expliquera qu’après avoir primé des artistes européens, français ou même américains, il était normal que le regard du festival se tourne sur le cinéma asiatique, cinéma d’une grande et rare richesse. Le nom de Wong Kar Wai était donc une évidence à ses yeux. C’est alors que la Master Class commence, une Master Class qui sera dédiée surtout à la genèse du réalisateur et à sa jeunesse.

Wong Kar Wai, ému par l’accueil chaleureux du public et fier d’être honoré dans la ville qui a vu « le cinéma voir le jour », expliquera dans un premier temps le voyage difficile qui l’amena de la Chine à Hong Kong, en 1962 lorsqu’il avait 5 ans : lui et sa famille ne parlaient pas la langue et il n’avait pas de famille à Hong Kong.

« Mais pourtant le lien avec la Chine a perduré et je retourne souvent à Shanghai, je me promène souvent dans ses avenues. Ces lieux sont mon berceau. La maison dans laquelle j’ai grandi est toujours là. Je me considère Chinois mais pourtant je connais Hong Kong bien mieux. »

Et de là, le réalisateur conte ses premiers émois avec le cinéma et la découverte de cet art qui marqua un pan de sa vie. Et c’est donc non sans une certaine fierté qu’il nous indique que sa mère est à l’origine de tout cela, notamment à travers un éclectisme assouvi.

« Ma mère a compensé cette absence d’entourage par le cinéma. Elle adorait ça. Elle y allait tous les jours et aimait m’amener voir des films de tous genres, que ce soit ceux d’Hollywood, italiens ou des productions locales. Mon éducation au cinéma s’est faite avec les séances auprès de ma mère. »

Dans une époque où les jeux vidéo n’existaient pas encore, les seules fenêtres culturelles sur le monde proposées à Wong Kar Wai étaient « le cinéma et la radio ». Le fait de vivre sans cesse dans une atmosphère imbibée de cinéma, a été le déclencheur d’une passion et d’une farouche envie de faire du cinéma. Surtout que pour Wong Kar Wai, « Hong Kong est le meilleur endroit pour voir des films », lieu dont les salles présentaient beaucoup de films locaux mais aussi beaucoup de films d’horizons différents qui lui ont ouvert l’esprit. En ce sens là, le cinéaste se remémore une anecdote où jeune, il vit, sans le savoir, un film de Fellini.

Dans un Hong Kong, marqué par le cinéma de genre qui était quadrillé par un cahier des charges précis, notamment dans les productions de Shaw Brothers, il expliqua l’émergence dans les années 70 d’une nouvelle génération de cinéastes d’auteurs qui voulaient sortir des carcans des films à « studio ».

« Inventer un nouveau récit, une redéfinition de la façon dont on faisait le cinéma : prendre les caméras, aller dans les rues, voir de nouveaux paysages urbains, avoir un autre rapport au jeu d’acteurs, et s’approcher d’un style plus direct et proche du documentaire. C’est dans ce contexte qu’un A Better Tomorrow de John Woo a remporté un certain succès. »

Quand il débuta en tant que jeune cinéaste, il était conscient que l’offre cinématographique à Hong Kong était centrée sur les films de gangsters et que cette perspective de films de genre pouvait le séduire. Tout en faisant un cinéma bien personnel qui donnera naissance à As tears go by.

« Plutôt que de parler de deux héros, pourquoi ne pas parler de deux anti-héros, de types paumés qui veulent devenir des héros. J’ai eu la chance de me lancer dans le cinéma à un moment considéré comme l’âge d’or du renouveau du cinéma hongkongais, il y avait un vent de liberté, une envie de faire quelque chose de nouveau, de devenir le nouveau John Woo. »

La Master Class prit alors une autre tournure et s’intéressa au processus de création du réalisateur. Mais le cinéma n’est pas juste un objet vidéoludique dans une salle, c’est avant tout une aventure humaine, qui demande certains sacrifices pour donner le meilleur de soi-même.

« Je n’échappe pas à la trinité obligatoire de l’écriture, du tournage et du montage, mais je ne vois pas pourquoi ça serait dans cet ordre là et pourquoi chacune de ses étapes exclurait les autres. On peut très bien écrire pendant qu’on monte et remettre en question l’ordre de ces étapes-là. »

« Je dois dire que j’ai horreur de l’écriture, car c’est la plus solitaire des étapes. Vous êtes assis sur une chaise, votre seul interlocuteur est une feuille blanche, et vous vous débrouillez seul. C’est pour cela que je repousse cette étape le plus possible. »

Sa manière de fabriquer des films est différente et se veut avant tout être le meilleur moyen pour lui d’exprimer toute la matière créatrice du film. Mais cette obsession féconde pour le perfectionnisme lui fait parfois défaut, et il est parfois obligé de rendre ses films sous la pression des producteurs et même des festivals : avec une anecdote de Thierry Frémaux sur 2046 où le film a été rendu in extremis.

« Ce qui nous anime, c’est que la volonté de s’en tenir à la vision qui est la nôtre, de ne pas vouloir baisser les bras, faire quelque chose différent et de rendre le meilleur de ce que nous pouvons offrir. Nathaniel Mechaly, qui est là, peut raconter comment je l’ai fait venir une semaine à Hong Kong pour l’enfermer dans un studio en lui demandant de terminer la bande-originale de The Grandmaster. Christopher Doyle peut vous raconter comment on s’est retrouvés en Argentine, au bout du monde, on n’avait plus de pellicule. Il a fallu trouver une nouvelle écriture filmique, on ne travaillait qu’avec des plans fixes pour pouvoir nous en sortir avec nos bouts de pellicule et terminer quand même le film. »

Sachant qu’il écrit sans cesse son script, même durant le tournage, ce n’est pas un problème pour lui de collaborer dans ces conditions avec ses propres acteurs car ça lui permet de générer une façon différente de filmer ses personnages. Christopher Doyle, son chef opérateur de toujours, était présent dans la salle et de façon burlesque et émouvante, cria son amour pour Wong Kar Wai. Ce dernier articula son argumentaire sur la particularité de sa relation cinématographique avec ses acteurs.

« Il y a deux façons d’envisager le travail d’un acteur pour qu’il rentre dans un film. Soit vous commencez par écrire un scénario, créer des rôles qui sont des moules et il s’agit pour les acteurs de s’adapter à ce moule, à ce que vous avez préalablement créé pour lui. Il y a un autre rapport aux acteurs, qui est le mien. L’idée est de les observer, de créer un espace dans lequel eux créent et se meuvent. Par exemple, avec Maggie Cheung, il est arrivé pour un film que je considère que ce qu’elle avait à dire, la façon dont elle disait le texte que j’avais écrit, était moins intéressant que la façon dont son corps remplissait l’espace que j’avais créé, donc j’ai supprimé son texte pour la laisser s’exprimer autrement, par le moyen qui était le sien. »

Après avoir fait référence à The GrandMaster, qui symbolise à lui seul toutes les contraintes que peut connaitre Wong Kar Wai durant ses tournages, sur le fait que cette œuvre n’a pas encore de « version  longue », le cinéaste parla un peu plus précisément de l’un des films qui marqua sa carrière : Happy Together et son rapport à la rétrocession qui agissait en Chine dans les années 1997.

« Happy Together, qui se passe à Buenos Aires, semble très éloigné de nos préoccupations locales, mais à travers le sujet des passeports qui faisait partie des paradoxes de la situation de l’époque, le film est parsemé de ces enjeux et cette réalité là a fini par apparaître dans le film. Peut-être aussi que la motivation qui était la nôtre était qu’on ne savait pas ce qu’il allait advenir de nous, après la rétrocession. La censure chinoise allait s’appliquer à Hong Kong. Et donc qu’une histoire homosexuelle ne pourrait peut-être pas se faire. Cela fait partie de ces événements, de ces contraintes qui vous dirigent dans un sens ou dans un autre. »

Finissant sur l’essor de l’espace cinématographique en Chine, Wong Kar Wai voit s’insuffler un nouveau souffle, une nouvelle énergie qui s’instaure chez les nouveaux cinéastes de son pays. Cette note d’espoir et d’enthousiasme est le miroir d’une Master Class qui se déroula avec sincérité et douceur, portant surtout sur Wong Kar Wai et son rapport au cinéma en général. Délaissant un peu les interrogations techniques et les discussions professionnelles, cette conférence permit de mieux connaitre qui se cache derrière ses fameuses lunettes noires.