Alors que la première semaine du Festival de Cannes s’achève bientôt, LeMagduCine continue son voyage au travers des différentes sections de cette édition 2021. Pour ce troisième rendez vous, nous vous parlons entres autres de Mothering Sunday d’Eva Husson ou même des Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet.
Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet (Semaine de la critique)
Deux pensées contradictoires émergent de l’esprit du spectateur à la vue de ce premier film de Charline Bourgeois Tacquet. Premièrement, celui d’un sentiment de fraicheur insistant. Anais Demoustier, dans ce rôle d’une thésarde qui préfère profiter du moment présent plutôt que de se construire un avenir, est pétillante en tout point et son personnage à la verve incessante permet au film d’échapper au carcan habituel du récit initiatique féminin ou même masculin, sans distinction aucune. En ce sens, la première partie de l’oeuvre, qui marche à la vitesse d’un train, est réjouissante tant par la direction prise par le récit (les amants, la rencontre avec Emilie…) que par la drôlerie des situations (l’accueil des Chinois à l’appartement, le discours de sourds avec le directeur de thèse ou avec sa propriétaire). Mais malheureusement, deuxièmement, quand le trio amoureux central va se former, c’est alors que la pertinence du portrait va s’amenuiser voire même se liquéfier. Donnant droit, alors, à trente dernières minutes, d’une grande sobriété, fines mais terriblement attendues. Cela marque alors une véritable rupture avec cette première introduction : chacun reste bien à sa place, tout est confortable et bien dans le rang, les idylles ne sont que des parenthèses bourgeoises où grand discours larmoyant et bonne conscience de haut standing avancent main dans la main, au travers d’un film qui voudrait s’amuser des clichés bourgeois du cinéma français, mais qui malheureusement, ne fait que les épouser.
Sébastien Guilhermet
Mothering Sunday d’Eva Husson (Cannes Première)
Après Les Filles du soleil, Eva Husson revient à Cannes pour présenter Mothering Sunday dans la nouvelle section « Cannes Première ». Un drame romantique d’époque, prenant place dans les années 1920 et l’Angleterre aristocrate. Une histoire d’amour entre un riche héritier et une servante, contrariée par les frontières sociales et l’omniprésence du deuil. Dès les premières minutes, il y a de quoi craindre le pire : la mise en scène, trop consciente d’elle-même et gratuite dans ses effets, témoigne d’un formalisme bourgeois dont la vanité est à la hauteur de ses personnages. Le final, interminable et insupportable dans ses élans dramatico-contemplatifs, laisse lui aussi un goût amer (et de ridicule) en bouche. Heureusement pour lui, le film gagne en intérêt en son milieu, avec quelques scènes purement dramatiques plutôt réussies (remercions Colin Firth et Olivia Colman pour les interprétations tout en fébrilité et justesse), et un montage alterné convaincant (malgré un potentiel à peine effleuré). Quelques scènes d’intimité entre les deux amants font également preuve d’une certaine simplicité bienvenue, trop rare par ailleurs, et on croit plutôt bien à la passion qui lie Odessa Young et Josh O’Connor. On pense parfois au Reviens-moi de Joe Wright, de part l’époque mais aussi la narration non-linéaire, les thématiques, les personnages… Et on comprend à quel point Mothering Sunday est à des années lumières de l’intelligence de Reviens-moi, faisant preuve d’immaturité dans sa mise en scène et de pathos indigeste. Le naufrage est évité de justesse, notamment grâce au casting, mais le bilan est tout de même assez faible.
Jules Chambry
Piccolo Corpo de Laura Samani (Semaine de la critique)
Film italien bien déroutant que ce Piccolo Corpo de Laura Samani, pèlerinage silencieux où les dialogues se font rares et où la mort sert de moteur à l’action. Agata est une jeune femme venant d’accoucher, dans un village de bord de mer de l’Italie profonde du début du XXe. Sa fille meurt à la naissance, et dans un décorum religieux où le christianisme flirte avec une forme de paganisme mystique, la mort d’un nouveau-né avant le baptême condamne son âme à l’errance éternelle. Déchirée, cette jeune mère décide d’entreprendre un long voyage vers le sommet d’une montagne où un baptême de la dernière chance promet d’offrir à son bébé un prénom, c’est-à-dire un salut. C’est donc un road movie hanté par le traumatisme d’un enfant perdu, dont la mère transporte le corps inerte enfermé dans une petite boîte de bois, et qu’elle porte sur son dos. Sur le chemin, elle fera la rencontre de plusieurs compagnons de route tous plus mystérieux et inquiétants les uns que les autres, et pour lesquels cette boîte, qui est en réalité un cercueil, nourrira fascination et mystère. Piccolo Corpo, comme son titre l’indique, parle d’un « petit corps », d’un corps mort que la vie n’animera jamais, mais pour lequel Agata sera prête à tout. Un corps auquel la nature a refusé un souffle, mais dont la question de l’identité décidera de la valeur même de cette quête éperdue (un mort-né existe-t-il en tant que personne ?). Extension d’elle-même, ce cadavre sera sa croix, et le film n’hésitera pas à mettre le corps – bien vivant – d’Agata à rude épreuve, comme pour compenser (montées de lait, règles, blessures, corps affamé, pieds meurtris…). Une Passion, en somme, vers son Mont Calvaire à elle. Piccolo Corpo possède une ambiance étrange, avec ces paysages italiens – magnifiques – aux allures de Scandinavie (lacs, forêts, montagnes enneigées), avec ces barrières linguistiques entre dialectes locaux incompréhensibles les uns pour les autres, avec ces chants murmurés se substituant aux paroles. Malgré sa courte durée (1h29), la lenteur se faire sentir, les péripéties se répètent un peu trop, et tout est trop énigmatique pour permettre une émotion à la hauteur du drame présenté, avec un final assez attendu qui laisse un goût d’inachevé malgré la beauté indiscutable de la scène. Frustrant.
Jules Chambry
Great Freedom de Sebastian Meise :
Great Freedom laisse une impression particulière : celle d’un rendez vous manqué. Pourtant, ne le cachons pas, on doit concéder au film un bon nombre de qualité. Et pas des moindres. Sa mise en scène, pour commencer et son travail sur la lumière, qui exploite à perfection le milieu carcéral, son espace confiné, le huis clos permanent et sait accentuer idéalement les ombres. On pense parfois, au film Hunger de Steeve McQueen ou au cinéma grandiloquent de Kantemir Balagov (Tesnota ou Une Grande fille). Cependant, malgré un casting qui s’avère au diapason et investi corps et âme, dans cette odyssée moribonde des prisons d’après guerre, le récit patine et c’est peu de le dire. L’histoire de Hans Hoffman, gay et emprisonné d’après guerre à cause de l’article 175 a beaucoup de mal à échelonner ses péripéties et n’arrive pas à faire ressentir le poids du temps : les ellipses narratives sont difficiles à suivre, on passe d’un amant à un autre, d’un cachot à un autre, d’une cellule à une autre, d’une agression à une autre, sans que la moindre émotion ou sensation de perdition ne vienne toucher le spectateur. Loin des Evadés de Frank Darabont, même si ce n’est pas du tout ce qu’on demande à l’oeuvre, Sébastian Meise construit un film d’une sophistication esthétique portée avec aplomb mais dont la longueur et le manque de tenue auront raison de sa capacité à émouvoir, exceptée peut-être sa très belle et symbolique dernière scène.
Sébastien Guilhermet