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J.K Rowling à l’école du tweet

Vincent B. Redacteur LeMagduCiné

Après J.K Rowling auteure d’une saga à succès, voici J.K Rowling auteure de tweets fumeux. Une mutation pas si étonnante dans ce monde sur-connecté, mais qui n’est pas sans éveiller quelques polémiques de rigueur. La seule question étant : pourquoi ?

Quel est le problème avec J.K Rowling ? Comment l’auteure d’une saga vendue à des millions d’exemplaires dans le monde, traduite dans presque toutes les langues, est-elle devenue en quelques années la risée du web ? Pour quelqu’un qui à grandi avec ses livres, attendant frénétiquement la sortie d’un nouveau tome en librairie jusque dans ses années lycées, cela fait un peu mal au cœur. Nous sommes beaucoup à apprécier J.K Rowling, et parfois à lui pardonner ses erreurs de jugement quant à la manière de continuer son œuvre. Oui l‘Enfant Maudit ressemblait à une mauvaise fan-fiction, et la sortie du jeu Hogward Mysteries sur mobiles avait tout du coup marketing mal foutu, retardant encore plus la sortie d’un vrai jeu vidéo Harry Potter digne de ce nom. Mais est-ce suffisant pour évacuer d’un revers de manche tout un univers qui aura fait rêver des millions d’enfants ?

L’affaire qui nous intéresse est un peu plus complexe que ça. D’ailleurs, si l’on compare aux grands scandales littéraires de l’histoire, elle apparaît même complètement nulle. À l’occasion de la sortie DVD/Blu-ray des Crimes de Grindelwald, Rowling précise la relation entre les deux personnages majeurs que sont Dumbledore (Jude Law) et Grindelwald (Johnny Depp), confirmant ainsi ce que tout le monde savait déjà : les deux sorciers sont homosexuels et ont eu une relation intense. Une manière peu subtile de faire taire les polémiques qui avaient entachés la sortie du film, suite à une interview de David Yates, le réalisateur, qui déclarait que cette relation, sortant des canons hollywoodiens, ne serait pas « explicite » à l’écran.

Malheureusement pour l’auteure, loin de calmer les foules, cette mise au point déclenchera des réactions à fleur de peau. Entre les comiques de service qui s’amusent à parodier ces révélations (par exemple « Ron est en fait transsexuel », au hasard) et d’autres qui s’offusquent de voir une auteure de jeunesse essayer de draguer diverses communautés (LGBT, racisés, juifs, etc.) de manière un peu artificielle, il apparaît difficile de faire le tri. Le genre de micro-tempête dont Twitter s’est fait la spécialité depuis plusieurs années.

Nous pourrions laisser tomber, et dire que ce genre de polémique est finalement la rançon du succès. Il est normal qu’après avoir séduit des millions de lecteurs, d’autres arrivent pour dire tout le mal qu’ils pensent de vous. Ce n’est pas forcément de la jalousie ou de la mauvaise foi, nous avons tous en horreur cette œuvre admirée par tous qui nous laisse de marbre ou nous agace. Celui qui écrit ces lignes par exemple n’a toujours pas réglé ses comptes avec Stanley Kubrick, la trilogie du Parrain et la carrière de Zack Snyder. Donc voir des critiques de Harry Potter, et de ce qui en découle, n’est pas forcément étonnant. D’autant que ça fait plus de vingt ans que les « potterheads » nous rabattent les oreilles avec le génie de Rowling, on peut comprendre que ça donne des envies de meurtre (même symbolique). L’auteure elle-même n’est pas exempte de maladresses dans sa manière de garder la main mise sur son univers, en témoigne cette histoire idiote sur PotterMore, à propos de sorciers européens qui apprennent la magie au amérindiens, avec un bon relent de colonialisme à la clé.

Mais que reproche-t-on exactement à J.K Rowling ? L’évolution ou la construction de son univers pourrait être discutée de bien des manières : utilisation d’un héros blanc hétéro opérant comme un sauveur de l’humanité (classique), développement un peu forcé autour d’une prophétie sortie de nulle part au tome cinq, utilisation racoleuse de l’imagerie du troisième Reich pour confirmer la méchanceté des méchants… tous ces petits clichés qui ternissent un peu le plaisir d’une œuvre foisonnante et, avouons-le, assez marrante à lire (d’ailleurs, la dimension comique des livres et des films parait trop souvent mise de côté dans les analyses diverses qui pullulent sur le web). Mais non, l’attaque sort finalement du champ de la création elle-même. Ce qui est critiqué, c’est la figure publique de Rowling. Pas J.K Rowling auteure d’une saga de fantasy populaire pour enfants, mais J.K Rowling tweetant ses opinions politiques, se cachant derrière son univers pour assener une vision assez partiale du monde, divisée entre « populistes » et « éclairés », « gentils » et « méchants », « pro » et « anti ». Une milliardaire qui voit le monde comme elle imagine son école de magie : divisé en quatre maisons, appliquant pour la vie entière une étiquette (« Courageux », « intelligent », « sympa », « méchant ») dont il apparaît difficile de sortir.

Alors oui, appliquer des étiquettes « progressistes » après coup peut paraître tout à fait opportuniste, et révéler tardivement qu’un personnage était en fait homosexuel ne change pas en profondeur l’œuvre originale, puisque la sexualité n’était pas vraiment le sujet des aventures du jeune sorcier. Tout au plus cela relève de l’anecdote, du petit détail sympa. Sauf que cette révélation n’a rien de neuf. Déjà lors de la production des films, l’orientation sexuelle du mentor de Harry avait été révélée. Nous savions ensuite que ce même personnage avait eu une relation de « profonde amitié » avec celui qui deviendra son adversaire. C’était assez pudique, mais à l’époque nous étions assez malins pour faire le rapprochement tout seul. C’était le bon temps, cette époque où une œuvre pouvait encore laisser des zones d’ombres et laisser les lecteurs se faire leur propre opinion.

Les temps ont changé. Facebook, Twitter et toute la bande sont arrivés, et avec eux cette folie de la sur-communication. Aujourd’hui, tout est commenté, partagé, analysé sur internet. Chaque détail de bande annonce, chaque image, chaque ligne de dialogue. Nous pouvons même trouver des vidéos qui vous expliquent la fin des films Marvel, des fois que vous n’auriez pas bien compris la psychologie « hard boiled » d’Ant-man. C’est dans cette logique que s’inscrit J.K Rowling.

Il faut garder en tête cette idée : ce n’est pas elle qui lâche subitement des informations idiotes, ce sont les fans qui en redemandent. L’auteure est dans une logique de réponse à des questions parfois stupides. Lorsqu’un fan lui demande si un élève de Poudlard est juif, pouvait-elle répondre autre chose que « oui, au moins un ». Il est facile de se moquer, mais pouvait-elle répondre l’inverse sans éveiller d’autres polémiques ? Bien sûr que non. On en revient au problème de David Yates et la confusion entre l’implicite et l’explicite. Le premier n’a plus le droit de cité. Tout doit être surligné, précisé, confirmé, pour éviter toute ambiguïté.

La figure de Rowling est ainsi intéressante à analyser, dans le sens qu’elle n’est finalement pas un cas isolé. Aussi plaisante que soit son œuvre, elle est condamnée à devenir non pas une parabole universelle, mais le reflet d’une époque. Cette saga en sept tomes restera une date dans l’histoire de la production de la littérature jeunesse. Ce moment où éditeurs et studios de cinéma se rendent compte que le très jeune public est un marché tout à fait porteur, et ces derniers n’auront de cesse de vouloir relancer la machine. Mais autant Harry Potter tient encore une bonne place dans l’imaginaire collectif, autant les Hungers Games et autres Twillight qui ont suivi semblent déjà poussiéreux dans un monde où tout semble jetable. Rowling paraît avoir des difficultés à admettre que même ses livres peuvent finir sur une étagère, pour ne plus en bouger.

Alors elle tweete, elle monte un blog, et par ces différentes voies, développe son univers, ajoute des précisions, et se perd dans des parallèles historiques douteux ou maladroits. Au même moment, le public qui l’avait portée en triomphe change, évolue, aspire à de nouvelles choses. Dire pudiquement qu’un personnage était « peut-être » homosexuel pouvait encore passer il y a dix ans, mais plus maintenant. Rowling est finalement devenue l’image même de cette élite intellectuelle moralisatrice, qui continue de faire la leçon à une jeunesse qui à déjà trois coup d’avance. Que l’on soit « pour » ou « contre » (aussi absurde que cela puisse paraître), il n’empêche que ces questions sociales (droits LGBT, place des handicapés dans les sociétés, etc.) sont au cœur du débat public. La jeunesse charmée par les matchs de quidditch est aujourd’hui plus politisée, plus consciente de ces nouveaux enjeux qui forgeront le monde de demain. Et les métaphores grossières agitant le spectre du fascisme ne lui suffisent plus. Grindelwald aurait dû être le nouveau Voldemort, conçu pour faire flipper une nouvelle génération, il n’est finalement qu’un nouveau tyran générique, semblant sorti d’un autre temps. À une époque où la lutte contre le terrorisme, les combats pour l’égalité et la sauvegarde du climat sont les nouveaux enjeux majeurs, où les nouveaux méchants ressemblent plus à des banquiers en costumes qu’à des dictateurs à moustache, une telle vision du monde ne peut plus trouver d’écho.

J.K Rowling serait-elle en train de devenir trop vielle pour ça ? Le monde change à toute vitesse, et même Harry Potter n’est pas éternel. Elle devrait finalement passer à autre chose, laisser les aventures de son jeune sorcier résonner différemment dans le cœurs de chacun, sans en forcer l’interprétation, ni toiser ceux qui auraient l’audace d’avoir des opinions politiques différentes. Elle devrait aussi éviter d’aborder son œuvre sous l’angle « sexuel », provoquant un malaise entre le jeune public pas encore éveillé à ces questions, et ses premiers fans plus âgés qui n’ont pas vraiment envie de savoir ça. Et enfin, arrêter d’utiliser son univers fantasmé comme grille de lecture d’un monde beaucoup plus complexe, où les conflits ne se résolvent pas à coups de baguette magique. Mais qui sait, peut-être qu’elle aura sa revanche dans quelques années, quand ceux qui la traînent dans la boue aujourd’hui seront à leur tour mis face à leur contradictions par la génération suivante.

L’histoire n’est pas forcément un éternel recommencement, sauf sur Twitter.

Redacteur LeMagduCiné