Attendue comme une énième adaptation de roman visant un public ado, Les Chroniques de Shannara (d’après la saga du même nom de Terry Brooks) n’a pas la prétention d’être plus que cela.
Not another teen fantasy
Si la présence de MTV à la production ne laisse aucun doute quand au public visé, bien que le choix de la fantasy ultra geek soit plutôt osé vu la réputation de la chaîne, la série a tout de même plusieurs atout dans sa poche qui lui permet de sortir son épingle du jeu. Confiée aux bons soins d’Alfred Gough et Miles Millar, qui s’étaient fait discrets depuis la fin de leur précédent succès Smallville (incontournable des soirées du samedi soir), la série réussit par un étrange jeu de références entrelacées à se construire une identité particulière donnant a cette histoire d’elfes, d’humains et de gnomes combattant les forces du mal un capital sympathie non négligeable.
Rien de bien nouveau coté histoire : L’Arbre protecteur +100 contre les engeances démoniaques se meurt et menace de libérer une armée de démon sur les quatre royaumes (elfes/humains/gnome/troll). N’écoutant que leur courage, qui ne leur dit pas grand chose, la princesse elfe Amberle, le guérisseur sang-mêlé Will et la voleuse humaine Eretria (tous de niveau 1 sauf la voleuse qui serait plutôt un niveau 4) se lancent dans une quête pour sauver le monde du vilain pas beau Dagda-mor (boss final). Autant ne pas mentir sur la marchandise, d’entrée de jeu ça ne vole pas haut, et l’on éprouve rapidement le sentiment d’avoir un produit opportuniste qui tente de ramasser les dernières miettes du mastodonte de Peter Jackson. Mais difficile de bouder son plaisir devant cet univers quand on a passé son enfance à jouer à Warcraft, Diablo, ou à lire de la fantasy sous la couette. C’est finalement ce classicisme assumé du genre qui rend la série attachante avec son récit mêlant enjeux a grande échelle et considérations plus individuelles, quête principale et quêtes annexes. Shannara assume son héritage a fond, allant jusqu’à placer ses décors en Nouvelle-Zélande et recruter John Rhys-Davies (ex-Gimli du Seigneur des Anneaux) pour interpréter le roi des Elfes Eventine. Magie, dragons, démons etc, tout le cahier des charges y passe. Une générosité de bonne aloi, d’autant que les effets spéciaux sont d’une qualité tout à fait honorables.
Shannara n’en oublie pas pour autant de se démarquer de ses aînés en ajoutant une dimension post-apocalyptique assez dépaysante. Contrairement à ses prédécesseur, ce monde ne prend pas place dans une époque ancienne fantasmée mais propose un futur possible après la chute de l’humanité suite à une catastrophe d’origine inconnue. Dans un monde ravagé par l’échec de la COP 57, nos héros évoluent entre les décors grandioses de la fantasy pure et les vestiges de notre époque. Une carcasse de voiture par ici, des zones toxiques de produits chimiques par là… Si des économies de budget trop évidentes peuvent prêter à rire (on ne verra jamais San Francisco en ruine a l’écran), il est difficile de ne pas reconnaître le travail formidable de la production. Les décors sont suffisamment crédibles et minutieux pour que l’on y croit, et les costumes, marquent par leur originalité par rapport aux canons du genre, donnant à chaque ethnie une apparence particulière facilement identifiable. Un peu comme si les armures rutilantes du Seigneur des Anneaux rencontraient les cuirs cloutés de Mad Max. Il fallait y penser, mais force est d’admettre que ça a de la gueule ! Il est important de le noter parce que c’est finalement là que se joue la crédibilité d’un tel univers, et c’est régulièrement cet aspect qui pêche dans les séries de fantasy, préférant souvent le kitch un peu baveux (à l’exception de Games of Thrones éventuellement).
En habiles faiseurs, Gough et Millar partent de cette belle base pour tisser leur récit en piochant ça et là leurs inspirations. On pense au Seigneur des Anneaux bien sur, mais aussi a S.T.A.L.K.E.R (avec les zones irradiées), bref l’univers imaginé par Terry Brooks semble être assez riche pour proposer une série tout à fait divertissante. Plus surprenant en revanche cette greffe d’une dimension teen movie, complètement assumée certes, mais particulièrement risquée, car le genre n’a pas vraiment la côte chez les lecteurs de Tolkien ou les rôlistes confirmés. Il faut dire aussi que l’image du geek a souffert d’une décennie de films présentant cette culture comme un repère de puceau et de pervers polymorphes bedonnant (sympa les mecs). Juste retour de flamme finalement. Toujours est-il que nous pouvons voir notre trio de joyeux compagnons se transformer progressivement en ménage à trois dont le seul moteur semble être l’ambiguïté sexuelle tandis que le spectateur hésite entre la team Eretria ou la team Amberle (faite chauffer les hashtag!). Dur la vie de héros, il faut toujours que deux filles en pince pour toi. Au delà de ce love triangle manifestement imposé par les producteurs, certaines images teen s’incrustent de façon plus intrigante. Les deux rivales règlent leur soucis personnels dans les vestige d’un lycée, les scénariste poussant l’ironie en faisant revêtir à la princesse un blazer de sportif (symbole de popularité ô combien fameux) et ramasser des dès à vingt faces (quand on dit que l’héritage JDR est assumé). Plus tard, au détour d’une péripétie, nous avons carrément droit à une scène de bal, avec en bonus un relooking express d’Eretria qui quitte le temps d’un slow son costume de voleuse bad-ass pour une jolie robe +10 en féminité. Autant le dire tout de suite, si Shannara se fait reléguer au rang de « Game of thrones pour ado », elle l’aura bien cherchée (même si elle ne rechigne pas devant une certaine violence). Et pourtant cet aspect, qui pourrait en rebuter plus d’un, n’est pas si désagréable et apporte un peu d’épaisseur aux personnages et de la nouveauté dans un genre trop souvent soumis à son besoin d’épique. Ces petits écarts de registre font l’effet de petite pastilles pas désagréables et s’intègrent assez bien dans un récit plus classique, sans pour autant devenir le principal point de focalisation des scénaristes.
En plus de la quête principale, la série développe en parallèle d’autres aspects non moins importants. L’intrigue autour de la famille royale et de la succession au trône amène d’autres enjeux. Les pérégrinations du druide Allanon et de son apprenti posent tranquillement les bases pour les saisons à venir et certains épisodes se permettent de sortir un peu du récit pour proposer quelques développements bienvenus de l’univers. L’affrontement avec le bourreau permet d’évoquer les ravages de la guerre tandis que l’histoire autour de la colonie humaine Utopia apporte des éclaircissement bienvenu sur les relation entre les ethnies tout en se permettant ponctuellement une petite touche western pas désagréable. Quelques clins d’œil amusants à l’ancien monde (notamment une vidéo de Star Trek prise par les colons pour un documentaire où Spock passe pour un elfe lourdingue) finissent d’enrichir le tout. Fort de toutes ces possibilités, les scénaristes se lâchent et composent un récit étonnamment riche, divertissant, qui ne souffre d’aucun temps mort, aidés dans leur tâche par un casting assez haut de gamme : John Rhys-Davies bien sûr, mais aussi Manu Bennett (Arrow, Le Hobbit), James Nemar (Django Unchained, Horns) et l’agréable surprise de revoir Ivanna Baquero dans le rôle d’Eretria, qui a bien grandi depuis Le Labyrinthe de Pan.
On aimerait dire que Shannara est une réussite totale et la bonne surprise de l’année, car elle a pour elle cette richesse palpable qui ne demande qu’à être exploitée. Néanmoins, difficile de défendre des choix musicaux parfois douteux, bien que l’effort de sortir des canons de la musique symphonique épique est salué (il y a une chanson de Woodkid à la fin, ça rattrape un peu), ou une réalisation qui va du fonctionnel au très moyen (stop au flash-back avec filtres dégueu!). A l’heure où de plus en plus de séries ont des prétentions cinématographique, la mise en image paraît parfois anachronique, avec son montage à la machette (pour insérer les coupures pubs) et ses nombreuses scènes qui semblent tournées dans le même décors naturel (la plage surtout, c’est souvent la même et ça se voit). Mais même malgré ces écueils qui pourront toujours être rattrapés, la série reste divertissante et vaux mieux qu’une réputation de fantasy à la sauce MTV.
[Fiche technique] Les Chroniques de Shannara :
Titre original : The Shannara Chronicles
Genre : fantasy, aventure, ado
Création : Alfred Gough et Miles Millar, d’après la série littéraire Shannara de Terry Brooks
Production : Farah Films, Millar Gough Ink, Raygun One, Sonar Entertainment, MTV Production Development, Paramount Television
Acteurs principaux : Austin Butler, Poppy Drayton, Ivana Baquero, Manu Bennett, Aaron Jakubenko, Jonathan Rhys-Davies
Musique Felix Erskine,Lukas Burton
Pays d’origine : États-Unis
Chaîne d’origine : MTV
Nb. de saisons : 1
Nb. d’épisodes : 10
Durée : 43 minutes