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Docteur Petiot le maudit, tueur en série et héros

Quand un réalisateur français atypique entraîne son acteur fétiche sur l’illustration d’un des plus célèbres faits divers français, cela donne un mélange des genres au ton très sombre.

Un film original et à part dans l’industrie du cinéma français qui illustre un fait divers connu et met en vedette un des acteurs français les plus polyvalents dans une interprétation très particulière d’un des plus célèbres tueurs en série français.

Un film à part fait par une équipe à part

Depuis ses premières années d’existence, le cinéma s’est largement inspiré de faits réels, notamment les faits divers criminels, que ce soit comme inspiration lointaine ou comme retranscription littérale des évènements. À cet égard, les cinémas britanniques et américains se sont taillés la part du lion, produisant une large proportion des films de ce type et donnant ainsi naissance à des classiques comme Psychose, L’Étrangleur de Boston, Henry, portrait d’un serial-killer, L’Inspecteur Harry ou Le Silence des agneaux. Mais leur homologue français n’est guère en reste et n’hésita pas à illustrer les faits criminels marquants de notre pays à l’instar de Landru et Violette Nozière de Claude Chabrol, Le Trio infernal de Francis Girod sur l’affaire Sarrejani ou encore René La Canne du même réalisateur. Ici, il s’agit de l’affaire dite du Docteur Petiot, du nom de ce médecin qui, durant l’occupation allemande, assassina un grand nombre de juifs en leur faisant croire qu’il allait les aider à s’enfuir pour l’Argentine et en les dépouillant, ainsi qu’un certain nombre de truands de la Gestapo qui désiraient fuir les rigueurs de l’épuration. Jugé, condamné à mort et guillotiné en 1946, Marcel Petiot demeura une grande figure de l’histoire du crime français, comme une sorte d’incarnation de génie du mal inégalé de par le nombre de ses victimes (près d’une trentaine). Il inspira des romans, des bandes dessinées et deux films, un britannique sorti en 1957 et un espagnol de 1973, deux séries B très librement inspirées des faits.

C’est Christian de Chalonge qui s’intéresse à l’histoire et la met en scène. Réalisateur atypique du cinéma français, relativement peu actif (neuf films plus une dizaine d’épisodes de séries télévisées), ce dernier n’hésitait pas à s’attaquer à des thématiques et des genres alors peu abordés dans le cinéma français de cette époque, notamment le post-apocalyptique avec Malevil, adapté du roman de Robert Merle. Pour ce projet, il retrouve son acteur fétiche Michel Serrault, déjà présent dans Malevil, L’Argent des autres et Les Quarantièmes rugissants. L’acteur avait déjà interprété un tueur en série dans Les Fantômes du chapelier de Claude Chabrol. Autant à l’aise dans le registre comique que dramatique, il était clairement l’interprète idéal pour interpréter cette figure ordinairement monstrueuse. Tourné pour un budget modeste, le film connut peu de succès et demeure assez largement méconnu. Il vaut pourtant largement la peine d’être redécouvert.

La figure ambiguë du criminel

De manière attendue, le film repose énormément sur la prestation de Serrault dans le rôle de Marcel Petiot. Il est vrai que l’acteur restitue parfaitement la folie et l’instabilité du personnage, irrépressiblement guidé par l’appât du gain innommable mais également capable de générosité vis-à-vis de certains patients, comme une fillette malade d’une famille pauvre. Travaillant intensément son regard, il réussit le pari de rendre crédible sa prestation pourtant antagoniste, illustrant autant un brave médecin ordinaire qu’un criminel sans scrupule, « une espèce de rencontre au sommet des forces du mal chez un être qui, par ailleurs, montrait le visage d’une personne ordinaire, pouvant côtoyer, voire faire le bien ». Cette prestation provoqua d’ailleurs de nombreuses critiques et semblèrent affecter le public qui avait boudé le film, ce que déplora Serrault, très impliqué dans le projet et par ailleurs coproducteur.

Outre ce traitement du personnage, le ton du film déconcerta beaucoup de monde. Alors que celui-ci s’engage déjà sur une thématique peu abordée dans le cinéma français, il parvient encore à brouiller les pistes en mélangeant les genres. On y trouve du drame social, du film historique, du policier et même du fantastique, notamment avec un traitement du thème du vampirisme. Ce thème apparait dés les premières minutes du film, avant même le générique, lorsque Marcel Petiot assiste au cinéma à un film de vampires symbolisant à lui seul l’expressionnisme allemand, le Nosferatu de Murnau, projection qui le laisse consterné. L’analogie se poursuit ultérieurement lors de déplacements du docteur où ce dernier, apparemment dément, prend des allures de seigneur de la nuit, cape incluse. On peut ainsi y voir une triple facette du personnage, bon docteur, criminel sans scrupule et créature prédatrice extraordinaire. Ce parti pris audacieux confère également une ambiance particulière au film, à la fois très sobre et chargée en émotion, incluant un travail soigné au niveau de la lumière et des jeux d’ombre. Il est vrai que le réalisateur avait déjà fait un film post-apocalyptique tout en conservant ce dernier ancré dans le réel. Tel est également le cas de Docteur Petiot qui demeure fortement rattaché à la réalité sordide et sombre de l’occupation allemande, de la traque policière de la Gestapo et des crimes de masse. On peut aisément y voir un message implicite : ceux que l’on nomme les monstres, notamment les tueurs en série, ne sont guère que le produit de sociétés humaines modernes effectuant le même type de crime à une bien plus grande échelle. Il en est de même des monstres de fiction, vampires et autres loups-garous, qui ne font que refléter de manière fantasmée des criminels et des actes bien réels et ordinaires.

Également film historique puisque traitant de faits réels, le film se distingue par une reconstitution soignée, particulièrement réaliste. Tant dans les costumes que les décors ou même les prestations d’acteur, l’histoire reflète bien le Paris de l’Occupation, bien sûr sous son pire aspect. Le casting, entièrement composé d’inconnus et de seconds rôles à l’exception de Serrault, est également très convaincant, le manque de notoriété des acteurs contribuant au caractère réaliste du long-métrage. Le réalisateur imprime le film de son style, d’une grande lenteur, assez contemplatif, attentif à l’ensemble des détails visuels. Sans être un grand réalisateur, de Chalonge est un très honnête artisan, sachant tirer parti d’un faible budget et imprimer une ambiance singulière. Son tour de force consiste essentiellement à nous intéresser au sort d’un personnage détestable, de fait le protagoniste d’une histoire qui illustre une vision de l’Occupation et de la Libération avec sa part d’ambiguïté et de crimes. Le portrait du docteur tueur en série devient ainsi le reflet de la France de cette époque, la dualité du personnage reflétant l’ambivalence des Français en général, capable autant d’héroïsme et de bravoure que de bassesse et d’horreur, pouvant être aussi bien résistants que collaborateurs. Il s’agit d’un portrait éminemment sombre et pessimiste, par ailleurs assez représentatif de la vision qu’en donnait le cinéma hexagonale de l’époque, avec des films tels que Uranus de Claude Berry ou Pétain de Jean Marboeuf.

Nous avons donc une œuvre assez singulière dans le paysage du cinéma français, mélangeant les genres et abordant un sujet inédit tout en s’inscrivant dans une certaine tradition pour sa manière de traiter son contexte historique.

Bande-annonce : Docteur Petiot

Fiche Technique : Docteur Petiot

Réalisation : Christian de Chalonge
Scénario : Dominique Garnier, Christian de Chalonge
Casting : Michel Serrault, Bérangère Bonvoisin, Aurore Prieto
Production : Ciné Cinq, M.S. Productions, Sara Films
Décors : Yves Brover
Musique : Michel Portal
Photographie : Patrick Blossier
Montage : Anita Fernandez
Genre : drame
Durée : 102 minutes
Date de sortie : 19 septembre 1990