F.R.I.E.N.D.S : Révolutions et déceptions d’une sitcom

Le 22 Septembre 1994, le premier épisode d’Insomnia Cafe passe sur NBC. Insomnia Cafe, c’est ainsi qu’a failli s’appeler « F.R.I.E.N.D.S ». 10 saisons, 6 personnages iconiques, des répliques cultes, 236 épisodes de 22 minutes qui ont marqué deux générations. 27 ans plus tard, des millions de personnes ont regardé l’épisode spécial de la réunion. Entre nostalgie et déception, retour sur une série marquante du petit écran.

La sitcom est l’un des genres les plus anciens de la télévision. Certaines ont beaucoup marqué le petit écran, qui petit à petit avait commencé à remplacer la radio en termes de média et l’audimat est devenu une course frénétique. Ainsi, plusieurs séries se concurrencent : The Cosby Show, Madame est servie, Une nounou d’enfer, Mariés, deux enfants, Seinfeld, le Prince de Bel Air…jusqu’à ce qu’arrive F.R.I.E.N.D.S.

Synopsis : Cinq amis sont réunis dans un café lorsque soudain rentre une mariée en fuite, couverte de pluie. Elle, c’est Rachel Green. Rachel est l’amie de lycée de Monica Geller, cheffe cuisinière, et n’est autre que le crush inavoué de Ross, un paléontologue pédant divorcé de son épouse qui le quitte pour une femme. Rachel se retrouve sans toit pour avoir laissé son ex-fiancé devant l’autel et se retrouve à vivre sous le toit de Monica en attendant de trouver une solution à sa situation.

Le pitch est juteux à souhait, et pour l’époque et pour la sitcom révolutionnaire à plus d’un titre. Le casting, l’histoire, le cadre, les répliques, tout est si bon que trente ans plus tard, les fans sont encore là. Nous allons étudier de près pourquoi cette série est une sitcom réussie et révolutionnaire pour son époque, nous dirons quel a été son impact après sa sortie et son arrêt mais aussi pourquoi, en 2021, elle a apporté quelques déceptions.

F.R.I.E.N.D.S : une sitcom comme une autre

Au niveau de son format, F.R.I.E.N.D.S n’est pas si différente de ce qui passait au même moment. La sitcom comporte des éléments relatifs à ce qu’on pourrait comparer à du « théâtre filmé ».

Le cadre

Il y a des décors fixes faits en studio comme pour une Nounou d’enfer par exemple. Dans le cas de F.R.I.E.N.D.S, c’est le café « Central Perk » et l’appartement de Monica qui sont des décors réguliers. Ensuite, il y a l’appartement des garçons Joey et Chandler, certains lieux de travail des personnages (restaurant, musée, locaux de Ralph Lauren, etc…) et les lieux de date des personnages. Dans les saisons qui suivent, certaines scènes en extérieur sont prises comme les rues de New York, Londres, et la plage par exemple. Mais l’aspect reste très minimaliste.

Le format des épisodes

Les sitcoms de l’époque tournaient autour de 25 ou 23 minutes, mais le format de 22 minutes adopté par Friends est le plus repris depuis la célébrité du show. Parmi les séries qui adopteront ce format : How I met your mother qui s’est hissé en 2005  juste au moment où F.R.I.E.N.D.S se finissait, Mon oncle Charlie, Big Bang Theory ou That 70’s show.  En toute honnêteté, nous en ignorons la raison. Peut-être cela permet-il de faire des coupures publicitaires plus facilement à raison de deux ou trois fois et de maintenir le public en haleine.

Peut-être cela n’est qu’un format idéal pour les histoires courtes et parfois détachées que les sitcoms adoptent. Bien que dans F.R.I.E.N.D.S, les épisodes se suivent concernant certaines thématiques comme le mariage de Ross qui est en deux parties, ou même les transitions entre chaque saison qui maintenaient en attente l’audience, nous avons droit à des épisodes assez détachés et espacés dans le temps. Par exemple, en l’espace de quelques épisodes, Rachel est déjà au 4e ou 5e mois de grossesse sans qu’on le remarque.

Situational comedy

Concernant le comique des sitcoms, celui privilégié est le comique de situation, comme dans la tradition du théâtre classique. Les situations drôles dans lesquelles se mettent les personnages par pure bêtise ou à cause de circonstances atténuantes sont parfois à la limite de l’absurde.

Par exemple, Chandler qui rompt de manière chaque fois plus exécrable avec Janice, Ross qui bute sur le nom de la future mariée « Emily » durant la prononciation de ses vœux, en l’appelant « Rachel », Monica et Chandler qui couchent 7 fois d’affilée ensemble en une nuit à Londres et qui tentent de repousser l’arrêt de l’expérience dans l’avion de retour car étant en « eaux internationales », ou parce qu’ils sont encore « sur l’heure de Londres ». Ou Phoebe qui devient la mère porteuse de son propre frère…ce sont des situations inattendues qui ont bien fait rire.

Les rires pré-enregistrés

Les épisodes comportent des rires enregistrés mais remixés et parfois modifiés, comparés à d’autres séries, procédé qui peut être un tantinet lourd. Il est légitime de se demander si ces rires pré-enregistrés sont là pour qu’on comprenne ce qui fait rire ou pour nous y forcer car certaines blagues ne sont pas vraiment drôles.

Ces rires proviennent assez souvent de l’audience qui riait durant l’enregistrement des épisodes, ou lors de projections lorsque les épisodes incluaient des tournages en extérieur. F.R.I.E.N.D.S utilise les deux procédés et les rires seraient remixés pour la diffusion à la télévision.

Ce procédé se retrouve partout même dans les sitcoms les plus récentes comme Big Bang Theory ou 2 Broke Girls. La seule qui échappe de peu à la règle est Brooklyn 99.

Le sujet des épisodes

Les épisodes tournent autour de la vie sentimentale et la carrière professionnelle des personnages : Rachel qui découvre ce qu’est le travail après une vie privilégiée où on lui demandait juste de se trouver un mari, Monica qui connait des hauts et des bas en tant que cheffe ou Joey qui cherche à percer en tant qu’acteur et qui est obligé pendant les périodes de disette d’accepter des jobs alimentaires comme jouer les centurions à Las Vegas ou le lutin à Noël, sont tout autant de galères qui montrent l’évolution des personnages.

Quant à la vie sentimentale, et bien, tout le monde aura le béguin l’un pour l’autre au moins une fois, même le temps d’une réalité alternative ou d’un flashback. Après l’interminable relation on again/off again de Rachel et Ross, les difficultés qu’a Chandler avec les femmes, ou la relation avec un homme plus âgé qu’a Monica, nous sommes parfois surpris par ce qui aurait pu arriver entre Rachel et Chandler lorsqu’elle était fiancée à Barry, ou Phoebe et Ross lorsque celui-ci a divorcé…

 

La Révolution F.R.I.E.N.D.S

La série a beaucoup fait évoluer le genre de sujets qu’elle traite, car de fait, les autres séries étaient bien plus orientées pour la famille. Certains sujets étaient donc traités avec prudence et du point de vue des adultes. On évitera les allusions trop explicites au sexe par exemple. Nous pensons notamment à toutes les séries du type « Une Nounou d’Enfer » qui se focalisaient beaucoup sur les rapports à la famille et entre les parents et les enfants. Cela restait regardable avec enfants et parents.

Ici, la bande traitée est celle d’amis avec un ton très moderne. Ils ont entre 25 et 30 ans, ils parlent de leur vie sentimentale avec moins de tabous qu’à l’époque de la série. Mais surtout, la révolution pour l’époque est de parler de sujets totalement éludés.

La communauté LGBT

Tout d’abord, l’homosexualité de l’ex-femme de Ross et la mise en scène du mariage avec sa partenaire où c’est lui qui la mène à l’autel est peut-être la plus belle scène de la série. Ce n’est pas juste montrer la vie du ménage qui était important, mais bien l’union de ces deux personnes. La seule autre union homosexuelle visible à l’écran date du…Rocky Horror Picture Show. Mais il y a aussi le fait que le père de Chandler soit gay.

La sexualité de Monica, Rachel et Phoebe

Mais encore, la sexualité des filles n’est pas montrée ni jugée comme honteuse. On montre que la contraception est importante avec l’expérience de Rachel, tombée enceinte à cause d’un préservatif défectueux. Mais jamais au cours des 10 saisons, Monica, Phoebe ou Rachel ne sont humiliées pour leur vie sexuelle. Il y a beaucoup d’indépendance dans la portraiture d’une Rachel qui recommence en bas de l’échelle comme serveuse, puis dans une boîte de mode, mais aussi comme mère célibataire. C’est pareil pour Phoebe qui réussit à sortir de la rue et à maintenir un train de vie convenable, simple et stable et qui épouse un homme d’un milieu différent, mais qui l’accepte avec tout son vécu. Pour Monica, elle sort avec un homme plus âgé qu’elle et si cela est au début peu accepté par les parents de celle-ci, elle fait fi du « qu’en dira-t-on » et garde cette relation pendant un long moment.

Ce qu’apportent Chandler, Ross et Joey

Chandler Bing est de loin l’un des personnages les plus hilarants de la série avec un background familial spécial : une mère écrivaine qui assume une sexualité épanouie à un âge avancé et un père gay. Mais ce qui est encore plus intéressant dans son cas (mis à part son sarcasme), c’est qu’il est drôle pour le spectateur et pour ses amis (notamment Joey) mais il n’a absolument pas confiance en lui. Son sarcasme lui permet de relativiser et de ne pas se laisser heurter, notamment par les râteaux qu’il se prend par les femmes. Chandler est pourtant aussi celui qui fait de son mieux, puisqu’il a fait des cours de danse pour pouvoir assurer pendant la première danse à leur mariage. Il ne se défile pas devant ses responsabilités lorsqu’il est avec Monica. C’est une réelle évolution qu’il connaît, si l’on compare le mauvais traitement de Janice…

Il est aussi important de citer le côté sensible de Ross, qui par cet aspect va contre l’image macho de l’homme qui se doit d’être fort, viril et ne montrer que la colère comme émotion. Concernant Joey Tribbiani, celui-ci a beau venir d’un background italo-américain assez viriliste, il est le garçon le moins menacé pour sa virilité. Il a testé le maquillage, le rasage, l’épilation des sourcils et les sous-vêtements féminins pour mieux se glisser dans la peau de ses personnages de films et de pièces de théâtre. Il en a fait une expérience comme une autre pour appréhender ses personnages et se découvrir lui-même.

En cela, les trois garçons sont de bons exemples à suivre. Ils sont juste humains avec leurs insécurités et leur simplicité qui deviennent un prétexte à se découvrir et à se laisser l’espace de se découvrir.

 

30 ans plus tard…

Il y a quelques années, des polémiques ont émergé concernant le traitement de certains personnages dans la série. Homophobie, transphobie, racisme, sexisme, grossophobie, tout le mal en a été dit. Mais qu’en est-il vraiment ?

Le traitement de l’homosexualité et de la transidentité dans la sitcom

Le ton de la série à l’époque était révolutionnaire. Parler d’homosexualité par exemple était plus qu’original. Mais il est vrai que le traitement de celle-ci n’est pas très élégant. Les propos de Chandler et de Ross sont vraiment homophobes, voire très lourds. Les blagues sur la nounou homme interprété par Freddy Prinze Jr. sont redondantes à souhait par exemple.

Les blagues sur le père de Chandler qui serait transgenre ne manquent pas : il court les petits jeunes et n’arrive pas à cacher son pénis sous sa robe comme le dit son ex-épouse, de quoi ridiculiser un personnage qui n’a même pas le temps de se défendre, faisant de lui un phénomène de foire plus qu’un être humain. De plus, l’ambiguïté de genre avec une voix qu’on ne saurait dire féminine ou masculine, l’absence de pronoms pour nous aider à parler du personnage en termes corrects n’aident pas. Nous ne savons pas si le personnage se pense comme « il », gay et travesti, ou simplement « elle ».

Une série raciste ?

Dans la majorité des épisodes, il n’y a quasiment que des acteurs blancs. Les 6 personnages principaux le sont, leurs love interests le sont aussi en majorité. Seules deux exceptions pour Ross qui sortait avec une paléontologue asino-américaine puis une chercheuse afro-américaine. D’ailleurs, une blague sur elle incluait l’alcoolisme dans la communauté afro-américaine, ce qui ne devrait pas vraiment prêter au rire. Et elle était dans le stéréotype de l’« angry black woman » qui est un stéréotype faisant de la femme noire un individu agressif.

Les personnes non-européennes sont généralement des figurants ou des personnages qui n’ont qu’un rôle temporaire : il y avait le majordome de la famille Bing, qui était d’origine asiatique, un voisin afro-américain qui chantait tous les matins, le médecin d’origine sud-asiatique qui soignait Joey à l’hôpital… Autrement, les personnages non-européens se comptent sur les doigts d’une main et très peu d’inclusivité a été montré durant les 9 saisons…

Sexisme

Concernant le sexisme, le personnage le plus concerné reste Ross. Par exemple, il fait une liste des qualités et des défauts de Rachel pour savoir s’il veut être avec elle ou pas. Et l’un des « défauts » de Rachel est qu’elle est serveuse… Ce mépris pour elle en la comparant à Julie qui était chercheuse est ignoble. Mais Joey aussi est assez controversé puisqu’il envisagerait tout le temps les femmes comme des cibles à conquérir. Peut-être la ligne de dialogue la plus douteuse reste sa comparaison de Ross en cuillère et des femmes en plusieurs parfums de glace…

La grossophobie

La grossophobie est peut-être la plus généralisée des tares de cette série. Ici, il n’y a pas d’excuses. Les blagues sur les gros dans F.R.I.E.N.D.S sont absolument terribles. Ils sont stéréotypés comme bêtes, ne parlant que de nourriture, en mangeant continuellement à l’écran, en étant ridicules, en ayant un sens du style douteux et négligé.

Le mot « fat » ou gros est dit d’une manière constamment méprisante, notamment par Chandler en parlant de Monica lorsqu’il la rencontre. Et même si les deux parties de l’épisode « ce qui aurait pu se passer » dans la saison 6 sont touchants en montrant que Monica et Chandler se seraient quand même mis en couple et qu’il y avait de l’attirance entre eux, ils restent ce qu’on appelle des « freak ». Elle est grosse et il est un geek, deux catégories plus que méprisées dans les séries télé depuis des années.

Conclusion

F.R.I.E.N.D.S est aujourd’hui citée comme une des « meilleure série de tous les temps », avec un score de 94% sur Rotten Tomatoes. Cette sitcom a eu un grand retentissement car elle recycle un genre télévisuel déjà ancien pour créer une série originale.

Elle respecte les codes du genre avec son format et son esthétique, mais détonne dans le paysage en créant un univers dans lequel les personnes du même âge que les personnages se reconnaissent. Avec bienveillance, la série a parlé de sujets assez nombreux et importants passés sous silence à l’époque: l’homosexualité, la transidentité, le sexe, la gestation pour autrui, l’ambition, les mères célibataire et l’adoption.

Mais si pour l’époque, cela était une révolution, tant dans le format que dans les thèmes, aujourd’hui, certaines scènes et certains dialogues ne peuvent plus vraiment être accueilli avec le même ton. Ces mêmes sujets sont sources de polémique, peut-être à juste titre, car à l’époque de la série, ces thèmes n’étaient pas encore normalisés. Il faut néanmoins se dire que ce qui faire avancer certaines causes est de remettre en question les supports de divertissement que nous consommons. F.R.I.E.N.D.S est la preuve qu’un programme télévisuel peut être une source d’influence en étant le témoin d’une époque.

Fiche technique

Créateurs: David Crane, Marta Kauffman

Nombre d’épisodes: 236 épisodes

Saisons: 10

Durée: 22 minutes

Musique: The Rembrandt, Marta Kauffman, David Crane

Acteurs principaux: Lisa Kudrow, Jennifer Aniston, Courteney Cox, Matt LeBlanc, Matthew Perry, David Schwimmer

Pays: Etats-Unis

Années: 1994-2004

 

Sources pour rédiger cet article:

Sitcom -wikipédia- ; Friends -wikipedia- ; « Friends » : série problématique, en avance ou témoin de son époque ? -RTL-Pour les jeunes qui la découvrent, la série Friends est sexiste, homophobe et grossophobe -slate- ; «Friends» est-elle la série qui a fait sombrer la civilisation occidentale?, Pauline Thomson -slate- ;  Friends -rotten tomatoes-; crédit image -IMDb- ; Friends -IMDb- ; angry black woman –wikipedia