Force est de constater que Robert Eggers aime raconter des histoires. Dans sa nouvelle odyssée peuplée de vikings, le folklore n’a de cesse d’habiller ses récits et piétine graduellement les marches du tragique-obscur, avec une esthétique de plus en plus homérique.
L’amoureux des contes ésotériques donne une approche abrupte de la légende scandinave de
dans la Geste des Danois, elle-même source d’inspiration pour l’œuvre reconnue de William Shakespeare. Amleth, fils du roi Horwendil, jure de se venger de la mort de son père, lâchement assassiné par son bâtard de frère et de sauver sa mère, capturée par ce dernier.Ici, Eggers savoure l’époque dans laquelle il nous emmène, pleine de crasse et de bestialité qui s’accompagne d’une bande originale médusante. Peu importe le politiquement correct ou les valeurs de société, nous sommes au Xe siècle et les hommes sont enclins à la dominance animale, ce que Eggers a parfaitement représenté au travers de son personnage central. Alexander Skarsgard suinte l’inhumanité par une carrure prédominante et une attitude glaciale, résonance d’un état dans lequel il quitta sa terre natale après la mort de son roi.
Rappelons que celui-ci pour dernier apprentissage, guida son fils vers la transition de l’état animal à celui d’homme, dans une scène cérémonieuse qui suggère qu’un lourd budget ne suffit pas à lisser la patte de l’auteur. En dépit d’une volonté paternelle, Amleth se laissa habité par son désir de vengeance et mis en sommeil son humanité pour que l’ours-loup puisse réaliser sa traque des années plus tard, dans la peau d’un colonisateur barbare.
La kryptonite à toute cette rancœur viking assoiffée de sang se révèle au travers d’Olga, esclave aussi mystique que rusée mise sur le chemin de notre héros afin de lui offrir une dynastie, une sorte d’échappatoire à un destin que le prince prend à cœur de suivre. L’histoire éternelle de la belle et de l’homme derrière la bête ou une petite parcelle d’humanité sous cette armure de testostérone.
Aux portes du Valhalla
Sans surprise (encore), Amleth ne démordra de rien pour nager vers une vengeance promise, qui on ne va pas se mentir, tarde un peu à se concrétiser au cours de cet acharnement ô combien linéaire. Car bien que ce long développement offre une véritable immersion en ce siècle brutal et fascinant, le film s’éternise un peu trop et nous laisse sur une fin plus que méritée.
L’œuvre a pourtant de quoi captiver, avec une esthétique en pleine combustion et des plans obsédants dignes d’un grand cru dont seul Eggers a le secret. Seulement le désir d’exploiter est entaché par ce coulant d’embarras qui distille cette soif d’en faire trop. Une volonté présente mais qui se perd dans ce vaste documentaire slave qui aurait peut-être mérité un peu plus de liberté, une tâche pourtant réussie dans les deux précédents contes du réalisateur.
Toutefois The Northman est un film qu’il est bon de voir, de vivre et de subir, tant la violence et la rage de cette ère sont amenées sans aucun tact, avec son lot de mirages et de sorcelleries. Un véritable monde ouvert mis aux soins de Jarin Blaschke qui nous régale d’un bol d’air frais contemplatif. En d’autres termes, il est important de reconnaître au travers de ses films que Robert Eggers est un cinéaste primordial du XXIè siècle, avec une vision authentique du cinéma de genre qu’on retrouvera incessamment sous peu dans une réinterprétation très attendue du Nosferatu de F.W. Murnau.
The Northman – Bande-annonce
Fiche technique :
- Titre original : The Northman
- Titre québécois : L’Homme du Nord
- Réalisation : Robert Eggers
- Scénario : Robert Eggers et Sjón Sigurdsson
- Musique : Robin Carolan et Sebastian Gainsborough
- Photographie : Jarin Blaschke
- Distribution : Alexander Skarsgård, Nicole Kidman, Claes Bang, Ethan Hawke, Anya Taylor-Joy, Willem Dafoe, Björk, Kate Dickie
- Société de production : New Regency Pictures
- Sociétés de distribution : Focus Features/Universal Pictures
- Pays de production : États-Unis / Royaume-Uni
- Genres : aventure, historique
- Durée : 136 min