Stoker de Park Chan-Wook : Transmission du mal et déviance érotique
Synopsis: Suite à la mort de son père dans un étrange accident de voiture, India , qui vient tout juste d’atteindre ses 18 ans, fait la connaissance de son oncle Charlie dont elle ignorait jusqu’ici l’existence. Ce dernier s’installe chez elle et sa mère Evelyn Stoker et va rapidement bouleverser la cellule familiale. La méfiance s’installe, mais l’attirance aussi…
Pour son premier film hollywoodien, le réalisateur coréen de reconnaissance mondiale Park Chan-Wook, connu pour Thirst, ceci est mon sang (2009) mais surtout Old Boy (2004), Grand Prix au festival de Cannes, adapte ici le scénario de Wentworth Miller (l’acteur Michael Scofield dans Prison Break). Avec Stocker, le réalisateur retrouve ses thèmes de prédilection : une histoire de famille, de vengeance et de cruauté. Dès les premières minutes, Stocker est un véritable régal pour les yeux. Au bord d’une route, une fille élancée aux jambes nues, caressée par une brise silencieuse et une caméra langoureuse, observe des brindilles ensanglantées d’un air ingénu. En voix off, elle nous explique qu’elle est différente, qu’elle voit et ressent des choses que les autres ne voient et ne ressentent pas, et que nous ne sommes pas responsables de ce que nous sommes. La lumière du soleil et les couleurs donnent à la scène un caractère très éthéré. Nous voici plongés dans l’ambiance. Dès cette première scène d’une grande pureté visuelle, on sent que le maestro Park Chan-Wook a imposé la collaboration de son directeur de la photographie attitré, Chung Chung-hoon, qui apporte une classe monstrueuse à ce film aussi élégant que sulfureux.
Très vite, le spectateur comprend que les protagonistes semblent enfermés dans des costumes trop parfaits, des décors trop rigides, et qu’India est loin d’être une jeune fille en fleurs. L’arrivée inattendue du frère du défunt va être le premier événement perturbateur de l’intrigue. D’abord sceptique, l’adolescente se laisse apprivoiser par cet énigmatique oncle, ce qui lui permet de découvrir sa véritable nature. Référence directe à Bram Stoker et son Dracula (1897), le titre du film est en fait le nom de famille porté par les personnages. À l’instar du héros de l’écrivain, l’oncle Charlie vampirise son entourage, trouble, et s’immisce très vite dans le tête-à-tête conflictuel d’Indra avec une mère qui ne lui a jamais accordé beaucoup d’attention, et avec laquelle elle entretient des rapports réfrigérants. Or on connaît toute la forte symbolique sexuelle entourant le mythe du vampire. Le trio d’acteurs qui évolue dans ce quasi huit-clos anxiogène est aussi glamour qu’inquiétant. Tout d’abord la livide India, campée par Mia Wasikowska sobre et magnétique, bien éloignée de L’Alice aux pays des merveilles (2010) de Tim Burton, et confirme, après Spring Breakers (2013) qu’une rage inédite anime les jeunes filles. Pour India, c’est le passage de l’adolescence à l’âge adulte décrit de façon brillante par plusieurs petites touches de sensualité à l’érotisme déviant.Ses regards, ses silences, ses moues boudeuses nourrissent le film dépeignant une India solitaire et glaciale, puis une redoutable machine à broyer les cœurs et les âmes. L’acteur Britannique Matthew Goode, vu dans Match Point (2005) et Watchmen (2009) incarne avec brio l’oncle à la fois élégant et énigmatique. Avec son physique de gendre parfait, le spectateur hésite entre méfiance et fascination. Nicole Kidman est elle aussi brillante dans son rôle la blonde hitchcockienne par excellence au trouble lancinant et communicatif. Elle incarne parfaitement la mère, vulnérable et névrosée, mais aussi rivale, séduite par le prédateur et à la recherche du désir consolateur.
Park Chan-Wook parvient à transcender son scénario, somme toute assez classique, par la puissance et l’indéniable beauté de sa mise en scène. L’ambiance est étrange et délicieusement perverse, la mort stylisée, la violence esthétisée, les crimes sophistiqués. Stocker est un thriller psychologique sulfureux, envoûtant et dérangeant. A travers cette promenade macabre, le spectateur ressent l’ombre d’Alfred Hitchcock, à qui les références se multiplient (outre l’influence évidente de L’ombre d’un doute sur la dramaturgie, on aperçoit la douche de Psychose, le piano de Vertigo, un escalier semblable à celui des Enchaînés ou bien encore des oiseaux empaillés comme chez Norman Bates) ou la technicité et le maniérisme d’un Brian de Palma, à qui sont également emprunté la touche fantastique et le travail sur le son. Park Chan-Wook est également un génie du montage, bluffant de maîtrise et d’imagination. Certaines scènes touchent au sublime comme celle de l’improvisation au piano à quatre mains ou la séquence du brossage des cheveux évoquant le thème de la transmission du mal par la simple transition entre la brosse à cheveux de Kidman et les herbes sauvages, Enfin, il faut souligner un montage sonore splendide, primordiale pour l’intrigue, et une musique oppressante tout au long du film d’une grande beauté.
Sur la forme, Stoker est conte morbide et délectable avec une sensualité perturbante. Le problème du film au final, ce n’est pas tant la réalisation de Park Chan-wook que le scénario de Miller. Contrairement à Old Boy, l’intrigue, bien que captivante, est trop simple, bien trop linéaire Le dénouement laisse sur sa faim et casse toute la subtilité précédemment mis en place. Le film nous fascine mais ne parvient pas à nous surprendre. L’influence de la production US se fait sentir et les personnages ont été négligés dans le travail d’écriture. Avec un scénario plus travaillé, sans doute que Stoker aurait pu atteindre le chef d’œuvre. Si Stoker a connu un échec commercial outre-Atlantique, il n’en demeure pas moins une œuvre étrange, dérangeante et diaboliquement fascinante qui s’interroge sur l’origine de la transmission du mal. Pour les amoureux de ce cinéma de la transgression.
Stoker : bande-annonce
Stoker : Fiche technique
Réalisation : Park Chan-wook
Scénario : Wentworth Miller et Erin Cressida Wilson
Interprétation : Mia Wasikowska (India Stoker), Nicole Kidman (Evelyn « Evie » Stoker), Matthew Goode (Charlie Stoker), Dermot Mulroney (Richard Stoker), Lucas Till (Chris Pitts)…
Image : Chung Chung-hoon
Montage : Nicolas De Toth
Musique : Clint Mansell
Direction artistique : Wing Lee
Décors : Thérèse DePrez
Costumes : Kurt and Bart
Production : Michael Costigan, Ridley Scott et Tony Scott
Société de production : Fox Searchlight Pictures, Indian Paintbrush et Scott Free Productions
Distribution :Twentieth Century Fox France
Avertissement : Interdit au moins de 12 ans à sa sortie en salles
Durée : 100 minutes
Genre : Thriller horrifique
Date de sortie : 1er mai 2013
Etats-Unis – 2012