Do you speak Desplechin ? Si oui, alors son nouveau film, Les Fantômes d’Ismaël, est totalement pour vous, un film brillant des mille feux de ses références littéraires et cinématographiques, mais un film trop foisonnant, partant dans trop de directions, et où le cinéaste en donne plus qu’il n’en faut.
Synopsis : À la veille du tournage de son nouveau film, la vie d’un cinéaste est chamboulée par la réapparition d’un amour disparu…
L’homme qui en savait trop
Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin est le film d’ouverture, hors compétition, de la Sélection Officielle du Festival de Cannes 2017. On retiendra les mots Hors Compétition, car ils caractérisent de manière tellement juste le nouvel opus du roubaisien.
Existant dans deux formats différents, VO/VF comme le cinéaste les a définies lui-même, le film sera vu en France dans une version compatible avec la diffusion toutes les deux heures en multiplexes, et à l’étranger puis plus tard en DVD, dans sa version originale, non expurgée si on peut dire. L’auteur dit dans un interview récent accordé aux Inrocks d’une version « pour ceux qui parlent déjà le Desplechin » ! Pourtant les quelques 200 minutes de la VF sont déjà suffisamment foisonnantes, Desplechin parlant lui-même de 5 films en un.
La scène d’ouverture prend par surprise : une discussion dans le clair obscur d’une taverne entre quelques diplomates d’un autre temps qui devisent sur un de leurs mystérieux camarades, un certain Ivan/Dedalus, interprété ici par un Louis Garrel dont le crâne rasé pour les besoins de son rôle de Godard dans le Redoutable de Hazanavicius, prête l’air lunatique qu’il faut à cet étrange diplomate/espion. Le même espion qui a déjà disparu mystérieusement en Russie dans Trois souvenirs de ma Jeunesse, le précédent film du cinéaste. Car comme d’habitude, le film fait partie de la sorte de continuum que constitue son œuvre. Les prénoms valsent d’un film à l’autre, les personnages aussi, et les acteurs ne sont pas en reste, Mathieu Amalric en tête…
Assez vite cependant, on se recentre sur Ismaël (Mathieu Amalric), un homme de cinéma qui fait un film à propos de son frère Ivan, cité ci-dessus. Ismaël est une personne exaltée dont la femme Carlotta (Marion Cotillard) a disparu depuis plus de 21 ans, et qui essaie de se reconstruire auprès de Sylvia, sa nouvelle amoureuse (Charlotte Gainsbourg). A l’unisson avec le père de Carlotta, ils ne se consolent pas de cette perte. Le retour de Carlotta, surgissant de nulle part sur la plage de Noirmoutier, achève de le retourner complètement. Mettant en abyme ses histoires, le film dans le film, les actions parallèles, les nombreuses digressions, Arnaud Desplechin a l’ambition de nous amuser, de nous dérouter, mais au risque de nous perdre. Autant ces va-et-vient incessants entre le passé et le présent (« le présent c’est de la merde » dira Ismaël à un moment du film) étaient très lisibles, voire très délimitées dans le très beau Trois Souvenirs de ma Jeunesse, autant le film passe ici de Douchanbé à Roubaix, d’un espace temps à un autre, des scènes de tournage à la vraie vie dans un maelström étourdissant et assez foutraque.
Il faut donc bel et bien parler le Desplechin pour réussir à voir au-delà de toute cette fougue et comprendre l’intégralité de son dispositif. Charlotte Gainsbourg est remarquable dans le rôle de la copine astrophysicienne qui a la tête dans les étoiles et qui couve sous des dehors austères une passion dévorante. Mathieu Amalric est égal à lui-même, un génial acteur qui n’a pas de limites pour interpréter un génial personnage qui n’a pas de limites. Mais les références littéraires et cinématographiques sont si nombreuses, les fantômes de Desplechin si multiples, qu’il faut sacrément s’accrocher pour le suivre, au point de perdre toute possibilité de se laisser emporter par l’histoire. Carlotta, le fantôme en chef, l’absente revenue, un personnage complexe, peu aimable et pure en même temps, achève de rendre le film fatigant. L’interprétation de Cotillard, très « fille » à dessein selon les desiderata du cinéaste, tombe à côté au regard du jeu de Gainsbourg et d’Amalric, tout en chuchotements bergmaniens.
Et pourtant, Les Fantômes d’Ismaël aurait pu être un film passionnant. Ainsi, Desplechin théorisant à travers Mathieu Amalric sur le Lavender Mist de Jackson Pollock peut paraître comme une posture, ou un vrai régal que nous offre ce cinéaste cultivé. Ses folles digressions sur les perspectives, sur le cinéma, sur l’amour, le judaïsme et tutti quanti sont passionnantes prises une à une, mais l’ensemble est, comment dire, too much. Peut être cette amputation d’une bonne demi-heure de la VF explique le déséquilibre qu’on ressent à propos du film.
Les fantômes d’Ismaël : Bande annonce
Les fantômes d’Ismaël : Fiche technique
Réalisateur : Arnaud Desplechin
Scénario : Arnaud Desplechin, Léa Mysius, Julie Peyr
Interprétation : Mathieu Amalric (Ismaël Vuillard), Marion Cotillard (Carlotta), Charlotte Gainsbourg (Sylvia), Louis Garrel (Ivan), Alba Rohrwacher (Arielle / Faunia), László Szabó (Bloom), Hippolyte Girardot (Zwy)
Musique : Grégoire Hetzel
Photographie : Irina Lubtchansky
Montage : Laurence Briaud
Producteurs : Pascal Caucheteux, Vincent Maraval
Maisons de production : Why Not, Wild Bunch
Distribution (France) : Le Pacte
Récompenses : Sélection officielle, film d’ouverture Hors compétition, Cannes 2017
Durée : 105 min. (Version courte)
Genre : Drame
Date de sortie : 17 Mai 2017
France – 2017