Avec L’Échine du diable, Guillermo Del Toro nous ramène au temps de la Guerre Civile espagnole pour un conte cruel et étrange
Synopsis : Le jeune Carlos, fils d’un républicain mort à la guerre, arrive dans un orphelinat niché au cœur d’un désert espagnol. Il y trouve tout un tas d’éléments étranges, dont un obus trônant au milieu de la cour, un directeur passionné d’alchimie, un homme à tout faire terrorisant mais surtout, le fantôme d’un ancien pensionnaire hantant les lieux…
L’Échine du Diable est un savant mélange de thriller, de film fantastique et de chronique sur l’enfance. L’action se déroule dans un orphelinat perdu au cœur d’un désert espagnol, à l’époque où la guerre civile déchirait le pays. Un lieu parfait pour le mélange des genres à l’œuvre dans le film. Ce désert sec et aride d’abord, évoquant le western. Cet orphelinat baroque ensuite, évoquant les vieux films d’horreur comme ceux de la Hammer, ou encore les Giallo italiens, comme Suspiria. A ces lieux, s’ajoutent ces petits éléments surréalistes disséminés un peu partout, comme la jambe de bois de la concierge, l’obus éteint dans la cour, l’eau croupie couleur d’ambre ou ce fantôme qui rôde dans l’établissement. Des éléments esthétiques et étranges, qu’on saurait relier à une autre influence du réalisateur : le cinéma surréaliste de Luis Bunuel, notamment sa période mexicaine avec Los Olvidados.
Autant d’influences participent à faire de L’Échine du Diable, un film de fantômes non plus au sens propre, mais au sens figuré. Car au-delà de la chasse aux fantômes sur fond de guerre civile, ce que le futur réalisateur de Crimson Peak nous offre là, c’est la transcription d’un souvenir irréel et étrange. Il faut comprendre par-là que L’Échine du Diable fait référence aux souvenirs d’enfance mêmes de Del Toro, et notamment à ses années au pensionnat. Une époque décrite dans ses interviews comme « terrorisante ». On en a un aperçu ici, niché entre cette galerie de personnages ambigus, ce pensionnat aux allures gothiques et cette couleur orangée qui imprègne le film. Ce dernier élément est crucial, car il amène un autre sens de lecture au film. En effet, dans l’Échine du Diable, la couleur sert d’enveloppe à ce qui nous est conté, pour donner à cet univers du passé l’aspect d’un souvenir déformé, à mi-chemin entre le ressenti et l’angoisse. Ce qui fait des couleurs un ingrédient finalement essentiel à l’Échine du Diable, puisque mêlant le souvenir et l’imaginaire. De la même façon que le film lui-même mêle des enjeux liés à l’enfance et à l’âge adulte, l’innocence et la violence. D’où cette couleur orangée, ni agressive ni chaleureuse, mais plutôt sèche, à l’instar de l’ambiance générale.
Cette dualité présente dans la couleur, on la retrouve également dans le cadrage, très souple, très vivant, et donnant à l’orphelinat cette touche tordue, quasi expressionniste. La caméra passe partout, espionne, vient incarner le fantôme, ou l’angoisse du personnage… Ainsi, c’est une caméra omnisciente similaire à celles caractérisant le cinéma hollywoodien du début du 21ème siècle, avec des films comme Matrix, Dark City ou Fight Club. On notera par ailleurs que l’expressionnisme des décors s’efface devant celui des couleurs et du cadrage, contrairement aux premiers films expressionnistes caractérisés par le soin apporté aux décors. Une façon moderne en somme, d’amener le fantastique au cinéma, et non le cinéma au fantastique. Reste à ces inspirations expressionnistes, une inspiration gothique en la présence de la bande-son, composée par Navarrette. Cette dernière, à grand renfort de chœurs et de timbres éthérés, évoque autant les films de la Hammer que ceux de Tim Burton.
Un seul regret néanmoins, dan ce tableau : le dessin souvent grossier des personnages. Car, si Guillermo Del Toro est un symboliste aguerri, le message qu’il tient à faire passer efface parfois la subtilité de la composition. Ses personnages sont ainsi souvent réduits à un trait, à une dimension. Le scénario et les enjeux permettent une progression dans notre connaissance de ces derniers, mais le fond de leur motivation, et de leur personnalité, restent infiniment simplistes. Dommage, il ne manque pas grand chose aux personnages de l’Échine du Diable pour être complexes, mais en grand démiurge de l’école hollywoodienne, Guillermo Del Toro tient un peu trop à fédérer le public pour risquer de le laisser s’échapper.
En définitive, L’Échine du Diable, c’est un film à connaître pour saisir le chaînon manquant entre les films d’épouvante caractérisant la première partie de carrière de Del Toro, et les films de monstres à effets spéciaux qui en caractérisent la seconde.
L’Échine du Diable : Bande-annonce
L’Échine du Diable : Fiche Technique
Réalisation : Guillermo Del Toro
Scenario : Guillermo Del Toro, Antonio Trashorras et David Munoz
Interprétation : Eduardo Noriega, Marisa Paredes, Frederico Luppi, Fernando Tielves
Photographie : Guillermo Navarro
Montage : Luis de la Madrid
Musique : Javier Navarrete
Costumes : José Vico
Production : Pedro Almodovar, Bertha Navarro et Alfonso Cuaron
Société de production : El Deseo SA
Distribution : Warner Sogerfilms SA
Durée : 107 minutes
Genre : Thriller, Fantastique
Récompenses : Grand Prix d’argent au Festival du Film Fantastique d’Amsterdam 2002, Prix du Jury et de la Critique Internationale au Festival de Gérardmer
Date de sortie : 20 avril 2001
Espagne – 2001
Auteur : Arthur Suldoch