A la découverte du nom de Jean-Pierre Bacri au générique, l’idée d’un film stéréotypé nous vient à l’esprit : personnage bougon, acteur cabotin, comédie généralement drôle, et peut-être un peu convenu. Mais au final, le nouveau film de Michel Leclerc, la Vie très privée de Monsieur Sim, est très typé… Michel Leclerc. Le même genre d’humour féroce que dans le Nom des gens, avec son doux délire, la même forme de comédie réaliste que pour Télé Gaucho, avec son anti-héros…
Synopsis: Monsieur Sim n’a aucun intérêt. C’est du moins ce qu’il pense de lui-même. Sa femme l’a quitté, son boulot l’a quitté et lorsqu’il part voir son père au fin fond de l’Italie, celui-ci ne prend même pas le temps de déjeuner avec lui. C’est alors qu’il reçoit une proposition inattendue : traverser la France pour vendre des brosses à dents qui vont « révolutionner l’hygiène bucco-dentaire ». Il en profite pour revoir les visages de son enfance, son premier amour, ainsi que sa fille et faire d’étonnantes découvertes qui vont le révéler à lui-même…
Quand l’amer monte
Pour autant, le film est une adaptation assez fidèle et réussi du livre de Jonathan Coe « The terrible privacy of Maxwell Sim », un roman pourtant très britannique dont il a fallu transposer à peu près tout pour cette version française. Jonathan Coe, un des des écrivains contemporains les plus lus outre-Manche, au même titre et un peu dans la même veine que Nick Hornby, est reconnaissable pour sa plume très acérée et drôle sur des sujets ultra-modernes (et éminemment british !). On peut avancer sans trop se tromper que le cinéaste a du se reconnaître dans l’écrivain, et dans ce livre en particulier, tant on retrouve leurs deux univers intimement mélangés dans l’œuvre.
François Sim (Jean-Pierre Bacri, magistral, car débarrassé de -certains de- ses tics), « Sim comme la carte » aime-t-il à préciser, est un homme dépressif, incapable de communiquer normalement avec ses semblables. Sa femme Caroline (pétillante Isabelle Gélinas) l’a quitté, son employeur l’a lâché, et quand il profite d’un voyage que Caroline a acheté sur Internet un mois avant de le quitter, c’est seul, et c’est seul qu’il va monter à bord d’un avion qui va l’emmener vers les Pouilles à la rencontre de son père. Dans ces premières minutes, on le découvre très bavard, un vrai moulin à paroles étourdissant, assommant littéralement son voisin de siège (et quel voisin !), une vraie logorrhée à la hauteur de son mal-être.
Cette scène inaugurale donne le ton de cette comédie française très travaillée, à savoir un comique apporté essentiellement par les dialogues truculents à la fois de Jonathan Coe, de Baya Kasmi, la coscénariste et compagne du cinéaste, et de Michel Leclerc lui-même. Le comique traverse le film de part en part, mais également une certaine tristesse liée aux situations vécues par le protagoniste : la solitude extrême (« j’ai 70 amis Facebook» assène-t-il à son voisin), les ruses qu’il emploie pour s’immiscer dans la vie de son ex-femme, la précarité et les concessions qu’il est obligé de faire pour retrouver un travail, les mensonges et les non-dits qui ont façonné sa vie, rien ne prête à rire, vraiment…
Le film, dans le sillage du livre, est bâti comme un road-movie, en PACA et ailleurs, qui permet au cinéaste de confronter son héros à différents personnages : son père, peu désireux de lui tenir compagnie, son ex-femme qui oscille entre mépris et compassion à son égard, Luigia (la toujours très belle Valeria Golino) son amour de jeunesse qui lui a permis de découvrir quelque chose à propos de son père, et dont un carnet resté à son domicile méridional a valu à François de découvrir encore autre chose sur ce père ; des nouveaux collègues stéréotypés aux bornes de la caricature, avec une Carole Franck survoltée à leur tête -qui décidément bonifie avec l’expérience-, Poppy (Vimala Pons) et son oncle Samuel (Mathieu Amalric, faussement affable comme à son habitude), des rencontres de hasard mais d’importance qui l’emmènent à Donald Crowhurst, un navigateur amateur qui a réellement existé et qui a bâti la fin de sa vie autour d’un mensonge lié à une course autour du monde. Les parallèles entre la vie de Crowhurst et de François Sim sont en effet nombreux et évidents, et en découvrant la vie du « navigateur » dans un livre que Samuel lui a prêté, François se découvre, ou plus exactement apprend à se découvrir, et une scène où il lit ce livre comme s’il lisait en lui-même est une des plus émouvantes du film.
La vie très privée de Monsieur Sim est un beau film malgré un problème de rythme ; certaines scènes sont étirées inutilement en longueur, d’autres sont répétitives (celles avec le GPS de la 3008 Hybride flambant neuve qu’on lui a donnée pour aller vendre des brosses à dent bio : la métaphore de l’homme seul et apeuré qui a pour fiancée idéale une voix virtuelle est un peu trop surlignée, et déjà vue en mieux dans le Her de Spike Jonze)…
La vie très privée de Monsieur Sim est un film faussement joyeux. Disparu en mer, à la suite d’une folie suicidaire probablement, Donald Crowhurst a écrit dans son journal ces mots ultimes : « C’est fini, c’est fini. C’est la fin de mon jeu. La vérité a éclaté. » , des mots qui sont repris dans le film et qui résonnent étrangement quand à la fin, on découvre enfin toutes les vérités sur la vie privée de François Sim. Sans en avoir l’air, le film recèle jusqu’à son terme des rebondissements qui au lieu de faire grand bruit, s’insinuent fortuitement chez le spectateur, de manière quasiment hitchcockienne, et redonne un tout autre sens à tout ce qui vient d’être vu. Une mise en scène très intelligente dont la paternité est davantage à attribuer à Jonathan Coe, car on retrouve les mêmes ressorts scénaristiques dans le livre, mais que Michel Leclerc a réussi à transposer dans son film. Malgré ses défauts, une des meilleures comédies françaises de 2015.
La vie très privée de Monsieur Sim – Bande annonce
La vie très privée de Monsieur Sim – Fiche technique
Titre original : –
Date de sortie : 16 Décembre 2015
Réalisateur : Michel Leclerc
Nationalité : France
Genre : Comédie
Année : 2015
Durée : 102 min.
Scénario : Jonathan Coe (roman), Michel Leclerc, Baya Kasmi
Interprétation : Jean-Pierre Bacri (François Sim), Isabelle Gélinas (Caroline), Vimala Pons (Poppy), Sixtine Dutheil (Lucy), Christian Bouillette (Jacques Sim), Vincent Lacoste (Jacques Sim (20 ans)), Félix Moati (Francis), Carole Franck (Audrey), Mathieu Amalric (Samuel), Valeria Golino (Luigia)
Musique : Vincent Delerm
Photographie : Guillaume Deffontaines
Montage : François Gédigier
Producteurs : Caroline Adrian, Fabrice Goldstein, Antoine Rein
Maisons de production : Delante Films, Karé Productions, Rhône-Alpes Cinéma, France 2 Cinéma, Mars Films
Distribution (France) : Mars Distribution
Récompenses : –
Budget : –