11 ans après la parution du 1e tome de Blue Giant, le voici enfin adapté en long-métrage animé. Sorti en février 2023 au Japon, il a été projeté au Festival d’Annecy et au Festival du Film Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) la fin de cette même année. L’engouement est tel que lors de sa sortie officielle le 6 mars 2024, les salles affichent complet pendant la première semaine. Retour sur une sortie hautement attendue dans l’hexagone.
Synopsis : Dai Minamoto est un lycéen qui s’éprend du Jazz. Après son diplôme, il monte à Tokyo pour devenir « le plus grand joueur de Jazz du Monde ». Habitant chez son ami Tamada et travaillant sur les chantiers, le soir il s’entraîne au saxophone jusqu’à l’épuisement. Sa rencontre avec Sawada Yukinori, un pianiste au doigts d’or est fatidique pour notre héros. C’est ainsi que naîtra le trio JASS…
Un nekketsu typique
Le film est un nekketsu. Ce terme désigne les mangas généralement pour garçons dont le but est l’initiation du héros à quelque chose. Blue Giant n’est pas l’initiation de Minamoto au Jazz, mais son ascension comme musicien. Si le film de deux heures nous a épargné l’initiation du personnage et ses premières notes au saxophone, il nous le montre de manière différente : pendant les solos musicaux du personnage, sous l’aspect de magnifiques plans peints, ou sous forme d’interviews d’individus l’ayant côtoyé.
Dai est aussi un héros typique de shônen d’apprentissage. Il est optimiste, croit que son travail l’amènera toujours là où il le faudra et a un peu de chance insolente. Il réussit quand même à monter un groupe et se produire sur une petite scène en arrivant à Tokyo en à peine quelques mois et à même se produire sur la plus grande scène de Jazz Tokyoïte du film en l’espace d’une année en partant de zéro !
Dai Minamoto n’a donc rien à envier à Son Goku, Olivier ou Naruto. Il a le même rêve qu’eux, la même personnalité, à la différence près que tout se passe sur la scène musicale.
Les Trois Mousquetaires de JASS
L’équilibre de JASS, le groupe formé par Dai, Sawada et Tamada est assez énigmatique. Bien qu’il soit le héros, Dai n’engloutit pas les deux autres co-équipiers juste car le film suggère que c’est son aventure. Sawada est le maître à penser du groupe. Il cumule le travail, le talent et l’expérience dans le domaine musical puisqu’il joue du piano depuis 14 ans. Il est le marketeur du groupe, il décide de leur image, tout autant que de la composition musicale. Autant dire que si ce n’est pas lui qui dirigeait, le groupe n’irait nulle part. C’est lui qui sait où se produire, comment se faire voir par la critique et comment monter sur la scène de niche qu’est le Jazz tokyoïte.
Dai est le personnage principal mais il est l’équilibre parfait entre la passion et le travail. Il ne joue du saxophone que depuis 4 ans et pourtant son entraînement spartiate l’aurait amené là où il est aujourd’hui. La scène d’entrée du film est une démonstration de sa rigueur : lui, jouant du saxophone dans la neige de son Sendai natal, quitte à en avoir mal à la bouche à cause du froid et du givre. On ne peut pas faire plus nekketsu-esque ! Son optimisme est ce qui soude autour de lui son groupe, mais aussi son public. Il n’irait pourtant pas très loin sans Sawada qui est un vrai maître à penser dans l’univers du Jazz. Pourtant, on sait que c’est lui qui ira loin, presque à contrecoeur par rapport aux deux autres membres du groupe, dont la vie n’est pas aussi simplement tracée.
Tamada est l’élément surprise de notre trio. Il n’est pas si intéressant que cela au début de l’histoire. Mais le jour où il décide qu’il veut devenir batteur et intégrer le groupe, il fait montre d’un sérieux et d’une discipline fidèles au nekketsu. Il est aussi le héros de cette histoire parce qu’il a réussi l’exploit de maîtriser un instrument en très peu de temps par le travail. Il n’a ni le talent de ses camarades, ni leur expérience et pourtant, il mérite vraiment qu’on s’attarde sur lui. Son exploit est la clé de voûte du film sans cela, Dai et Sawada n’auraient pas pu jouer. Cela, beaucoup de gens semblent l’oublier.
Que du bon ! Enfin presque…
L’esthétique du film est fluctuante. La technique oscille entre dessin traditionnel en 2D et 3D. Le fait est que le procédé de CGI (Computer Generated Imagery) n’est pas toujours harmonieux, ce qui fait que l’on passe d’une image en 2D magnifique à une sorte de personnage en pâte à modelée qui répète des mouvements un peu saccadés. Vous aurez l’occasion de le constater durant les épisodes de concerts du film. De fait, ce qui est également bizarre est que cela est très aléatoire. Certains passages de solos musicaux sont par exemple très fluides et harmonieux, puis c’est l’inverse qui arrive. C’est notamment pendant les solos de piano de Sawada ou de batterie de Tamada que le constat est flagrant.
Autrement, l’image est saturée de bleu. Le ciel, les immeubles, les lumières de Tokyo le soir, les néons des clubs de jazz bien évidemment, sont de ce bleu cobalt très reposant. Mais contrairement à ce que cette couleur renvoie en général, elle est sereine, et non déprimante. Le jazz, la soul, le blues, sont les enfants du Gospel et des Negro Spirituals. Ce sont des genres musicaux nés au sein des communautés afro-américaines du Sud et de leurs ancêtres qui chantaient durant leur labeur dans les champs de sucre et de coton.
En anglais, « being blue », « blue monday », ou avoir le « blues » sont des expressions qui désignent le fait d’être déprimés ou que le lundi soit déprimant. Mais ici, le bleu est celui du surnom donné à Dai, « Blue Giant », qui désigne une étoile bleue. Une étoile qui brûle ou plutôt comme le bleu d’une flamme : c’est le bleu de la passion, non celui d’un sentiment triste. C’est aussi un renvoi immédiat au nom du manga, à son univers musical, au nom du club de renom où les personnages veulent jouer : le So Blue. Lorsque la couleur bleue s’estompe, les personnages perdent l’espoir qui les caractérisent, comme en atteste la chute de Sawada, démoli par les critiques de TYLER.
La composition musicale
Quant à la musique, il est clair que si nous ne sommes pas spécialistes de jazz, la majorité des morceaux sont très bons. Ils sont signés de la jazzwoman japonaise Hiromi Uehara qui est une sommité du jazz au Japon. Elle a dit dans une interview que l’énergie de certaines des personnes qui l’inspirent, lui vont « droit au coeur » et dans ce cas de figure, elle est idéale à incarner la sonorité musicale de Dai qui dit vouloir passer ses émotions par son instrument.
Sa composition est dynamique et le duo saxophone/batterie est vraiment intéressant quand un groupe n’a plus de pianiste. C’est presque bizarre que cet élément majeur du groupe qui manque n’impacte pas réellement le succès de Dai et Tamada, et au contraire plaise même plus. Tous les goûts sont dans la nature évidemment, parfois de notre côté, nous avons relevé une légère cacophonie dans l’ensemble musical du film qui nous l’a fait mettre sur pause assez souvent pour reposer nos mirettes. MAIS nous devons dire qu’en général, la composition musicale du film est tout bonnement époustouflante, notamment sur le morceau N.E.W. qui donne le « la » à la performance.
Nous ne souhaitons pas entrer beaucoup plus loin dans l’intrigue du film, car cela risquerait de retirer tout le sel de cette expérience à nos chers lecteurs. Mais bien que nos critiques puissent apparaître dures, Blue Giant n’aurait pas pu être une sortie plus idéale avec la fin de l’hiver. Le film est aussi un meilleur format d’adaptation que la série car nous pensons que l’aspect musical n’aurait pas été aussi abouti que sur ce format de deux heures. Aussi, nous espérons que les suites Blue Giant Explorer et Blue Giant Supreme verront le jour dans la décennie. Ainsi, nous vous encourageons très fortement à aller le voir. Il est digne d’intérêt et d’une suite.
Bande-annonce : Blue Giant
Fiche technique : Blue Giant
Réalisateur : Tachikawa Yuzuru
Basé sur le manga original d’Ishizuka Shinichi, Blue Giant édité par Shougakugan et par Glénat en France
Studio : NUT
Directeur artistique : Togo Kasumi
Directeur de photographie : Hirayanagi Satoru
Musique : Hiromi Uehara
Durée : 120 min
Date de sortie française : 6 mars 2023