Après avoir lancé son Superman dans Man of Steel, avec les intentions claires de préparer le terrain à un éventuel univers cinématographique DC, Zack Snyder reprend du service pour asseoir cet univers tout en introduisant le célèbre chevalier noir et en l’amenant à se confronter à son homme d’acier.
Synopsis : Craignant que Superman (Henry Cavill) n’abuse de sa toute-puissance, le Chevalier noir (Ben Affleck) décide de l’affronter : le monde a-t-il davantage besoin d’un super-héros aux pouvoirs sans limite ou d’un justicier à la force redoutable mais d’origine humaine ? Pendant ce temps-là, une terrible menace se profile à l’horizon…
God vs Man
Les ambitions du film semblent vertigineuses et, à cause d’une campagne marketing catastrophique, on a l’impression avant même de l’avoir vu qu’on en a trop montré ou que les producteurs veulent trop en accomplir au sein du long-métrage pour son propre bien. L’échec semblait annoncé d’avance et il est aujourd’hui sur toutes les lèvres ou presque. La faute aux producteurs pris de panique et voulant à tout prix rattraper leur concurrent Marvel et lancer leur Justice League au plus vite ? Ou celle du metteur en scène qui n’avait pas les épaules pour un tel projet ? Ou encore celle de l’incompétence des scénaristes qui ne savent plus faire une histoire cohérente et qui se suffit à elle-même car constamment tournée vers la suite pour voir ce qui ne va pas dans le présent ? Un peu tout ça à la fois, sans finalement l’être. Car il est simple de constater l’échec d’un projet, échec défini avant tout par nos attentes déçues. Mais il est bien plus complexe de voir au-delà de ça pour contempler la réussite presque miraculeuse qu’est ce dernier film de Snyder, qui se base plus sur la vision d’un cinéaste et d’une promesse d’avenir que sur l’attente du fan en quête de sensations fortes.
Il devient très vite évident que l’exécution du scénario est maladroite, s’imposant comme une base assez laborieuse à la Justice League, une introduction bancale de Batman et une suite mal amenée de Man of Steel. Pour ce qui est de la Justice League, le film prend des accents de trailer de luxe, livrant des caméos assez insignifiants et quelques pistes de réflexions sur ce qui pourrait être amené et dit dans le futur film. Cet aspect n’est pourtant pas aussi envahissant que l’on pourrait le craindre et même si ça s’inscrit assez mal dans l’ensemble, faisant plus aparté que prolongement du scénario, ce n’est pas si problématique. Sauf concernant le rôle plus « important » de Wonder Woman qui est pour le coup un véritable pétard mouillé, l’amazone n’étant pas suffisamment développée pour avoir une quelconque personnalité ou même justifier sa présence. Après, plus que sa maladresse, c’est la faiblesse d’écriture du scénario qui gêne, notamment dans l’aspect narratif qui entoure Superman. L’introduction de son Némésis, Lex Luthor, est caricaturale et peu convaincante. D’autant que le personnage est lamentable, disposant de dialogues médiocres et d’une psychologie ridicule, montant un plan abracadabrant et bourrés d’incohérences pour justifier sa position de méchant. On regrettera aussi un côté pompeux bien trop appuyé et une sensation de fourre-tout qui entoure l’histoire de Clark, que ce soit avec le retour de sa mère, son travail au Daily Planet ou encore sa relation avec Lois. Tous ses aspects sont peu développés et on a la sensation que l’on passe très vite dessus et que les scénaristes ne savent plus où aller avec le personnage. C’est finalement l’introduction de Batman qui suscite le plus d’intérêt, même si lui aussi souffre d’un univers le concernant qui est peu exploité. Hormis Alfred, particulièrement réussi et très différent de ce qu’on en attendait, rien n’est là pour rendre son monde vivant, cohérent et surtout attachant, laissant une sensation de vide. A trop vouloir jongler entre ses deux personnages, aucun n’a pas vraiment de rôle principal et on finit par avoir l’impression qu’aucun des deux n’accomplit vraiment quelque chose et qu’ils restent en retrait au sein de leur propre film. D’un autre côté, la manière de nous faire revivre le trauma de Bruce Wayne et la façon de gérer ses répercussions sont intéressantes, offrant un personnage plus instable et fascinant que les autres versions faites du Dark Knight jusqu’à présent. Les phases de rêves le concernant en sont presque abstraites et donnent une impression de bizarre mais passionnent par leurs opacités. Traduisant une véritable envie d’élitisme voire même d’autisme, ces scènes étant difficilement compréhensibles pour quelqu’un qui n’est pas connaisseur des comics. Le choix est radical mais indéniablement intéressant. Snyder imprègne sa vision sur lui en le modifiant comme il a modifié son Superman tout en gardant pourtant l’esprit du comics et ce qui fait le cœur de l’individu, pour garder toute sa charge symbolique.
C’est d’ailleurs par sa symbolique et son propos que le film devient au final passionnant et indéniablement réussi. Même si on a le sentiment d’un produit sacrifié sur la narration, ne sachant pas vraiment où aller, s’excusant lourdement pour son aspect « destruction porn » – renvoyant aux critiques faites de la fin de Man of Steel – précisant constamment que les zones de combats sont vides. Et il plonge donc dans un dernier acte expédié, qui amène un Doomsday générique et raté, mais qui pourtant arrive à apporter des développements assez astucieux notamment dans sa manière de renvoyer directement aux comics ou de rapprocher ses deux héros. Il est simple de voir ce qui nous différencie des autres, mais il est beaucoup plus complexe d’admettre ce qui avant tout nous rapproche et c’est dans cette optique que le film s’impose. Il fait de son Batman une figure du fasciste ou du républicain cédant à la peur et à la stigmatisation de l’autre et présente son Superman comme un être sacrificiel, noble et qui assume ses responsabilités, il oppose celui qui cède à la facilité à celui qui se tourne vers la justice. Batman est clairement celui qui aura le plus de développement dans cette optique, Snyder dessine sans le dire et de façon habile une origin story astucieuse et bien pensée du personnage. Superman est avant tout une figure iconisée, monolithique et sans tâche, assumant sa connotation tragique et biblique, il est davantage là pour être le martyr d’un monde en proie à la peur qu’un personnage véritablement en développement. Les interrogations autour du mythe du super-héros sont souvent brillamment amenées et posent une dimension profonde allant jusqu’à interroger la croyance religieuse, le fanatisme qui entraîne à la déification, la peur, la différence et donc la violence. Partant de là pour rebondir sur une dimension politique actuelle traitée avec terriblement de justesse, questionnant un monde terrorisé, portant un point de vue plus humain et terre à terre sur l’Amérique post 11 septembre arrivant à être une réponse parfaite au propos iconoclaste de Man of Steel même si il n’en atteint pas la subtilité. S’intéressant à l’importance des actes – agir n’est pas noble c’est la façon dont on décide d’agir qu’il l’est – il offre un affrontement d’idées bien plus galvanisant et captivant que lorsqu’il laisse parler la violence. Le combat entre Superman et Batman étant au final anecdotique et amené de manière bien trop classique. C’est par son approche idéologique et politique que le tout devient fascinant, s’imposant plus comme une suite spirituelle au Watchmen de Snyder, sans pour autant renouveler ses thèmes ou attendre sa puissance évocatrice.
Le casting est avant tout dominé par un Ben Affleck au sommet. Il livre une prestation toute en retenue, donnant plus de profondeur à son personnage et parvient à irradier l’écran de son charisme. Il offre un Batman très différent de ce que l’on a l’habitude de voir mais qui se montre passionnant sur bien des aspects. Henry Cavill quant à lui est clairement le Superman parfait, mais ici, il a moins à jouer et donne l’impression qu’il est plus en retrait par rapport à Affleck. Il est même éclipsé par Amy Adams, bien plus nuancée et intéressante dans son rôle de Lois Lane qu’elle ne l’était dans Man of Steel. Jeremy Irons impose un Alfred inédit et assez rafraîchissant qui, plus qu’apporter un soutien psychologique et servir de compas de moralité à Batman, prend vraiment part aux événements et apporte des touches d’humour bienvenues. On regrettera par contre que Gal Gadot n’ait rien à jouer, ne pouvant donc pas prouver sa valeur en Wonder Woman, même si on reste impressionné par sa prestance et sa façon de se mouvoir qui est totalement dans l’esprit du personnage. Reste Jesse Eisenberg qui cabotine en Lex Luthor et se montre au mieux ridicule, au pire totalement insupportable. Il n’avait clairement pas les épaules pour le rôle et fait vraiment office d’erreur de casting.
La réalisation sent le chaud et le froid, la photographie a ses fulgurances notamment dans son approche très comics des cadrages et du traitement des couleurs, mais est globalement terne lorsqu’un trop-plein d’effets spéciaux arrive à l’écran. La musique de Hans Zimmer et Junkie XL est peu inspirée et mémorable, à l’exception du thème de Wonder Woman qui change de ce que l’on a l’habitude d’entendre et qui se montre assez exaltant. Dommage par contre que le montage soit raté, enchaînant les scènes sans logique et donnant au film une structure étrange où les coupes se font beaucoup trop ressentir. Un problème qui pourrait cependant être réglé dans la version director’s cut. La mise en scène de Zack Snyder est dans la pure lignée de Watchmen, signant avant tout une oeuvre viscérale et anti-spectaculaire. Elle mise sur une approche lente et abstraite de ses personnages, nous plongeant dans un rêve aux visions obscures, iconiques et picturales. L’ensemble déstabilise et est très loin de ce qu’on pouvait en attendre. On a la sensation d’un film bizarre, hybride mais bourré de personnalité, arrivant à jouer de l’imagerie comics tout en s’en éloignant drastiquement pour offrir quelque chose de personnel mais qui parvient à garder l’esprit, l’ambition et les intentions de ce qu’accomplissent les comics, comme jamais aucun film de super-héros n’était parvenu à le faire et sans prendre ce genre en dérision. C’est ce sérieux inébranlable qui force le respect et qui se montre admirable dans les choix retors du film, qui mise sur la radicalité au risque de perdre le spectateur. Car c’est un film de Zack Snyder avant d’être un film DC. Le metteur en scène reste cohérent avec ses choix et marque le tout avec ses défauts (trop de surenchères) comme ses qualités (il manie l’image avec virtuosité). Offrant des scènes d’action qui parviennent à rester lisibles, énergiques et totalement démesurées. Il arrive à mettre en image un des plus beaux morceaux de bravoures de Batman jamais vu sur grand écran. Une scène incroyable et parfaite pour tout amoureux du Dark Knight.
Batman v Superman : L’Aube de la Justice est un film étrange, maladroit et décevant sur sa narration mais qui, par miracle, parvient à s’imposer comme une réussite. Il est la définition parfaite de ce que l’on appelle un film malade. Coincé entre les impératifs du studio et la vision excentrique, radicale et personnelle d’un cinéaste, il est tout aussi prodigieux par son aspect mystique, symbolique et visuel que décevant sur sa narration bancale et son montage désastreux. Pourtant, malgré la faiblesse de son écriture, notamment sur les dialogues, et le fait qu’il ne parvienne pas à être une base solide pour l’univers DC, c’est une oeuvre qui est admirable par sa capacité à faire des choix, et qui prend le risque de ne pas faire les plus évidents. Il aurait pu céder à la facilité, faire une oeuvre fun et totalement épique pour contenter le fan qui attendait cet affrontement depuis longtemps mais il préfère avant tout imprégner sa vision, l’imposer même pour être une véritable proposition de cinéma. Donc, il se montre in fine moins divertissant et solide que les productions Marvel et il va s’attirer bien plus de détracteurs, mais il est plus fulgurant, plus beau et imparfaitement plus fascinant. Pour la première fois, on se retrouve devant un film qui arrive à s’éloigner des comics tout en en gardant l’esprit, et qui parvient à en faire une oeuvre actuelle et politique sans prendre son sujet de haut et préférer jouer la carte de la dérision décomplexée. Et on reste impressionné de voir un film de producteur devant amener des suites, qu’on est curieux de voir car de belles promesses sont faites ici, être autant dénué de cynisme et portant un regard respectueux et passionné sur ce qu’il adapte.
Batman v Superman : L’Aube de la Justice : Bande annonce
Batman v Superman : L’Aube de la Justice : Fiche technique
Titre original: Batman v Superman: Dawn of Justice
Réalisateur : Zack Snyder
Scénario : David S. Goyer et Chris Terrio, d’après une histoire de David S. Goyer et Zack Snyder d’après des personnages créés par Bill Finger, Bob Kane, Jerry Siegel et Joe Shuster
Interprétation: Ben Affleck (Bruce Wayne/Batman), Henry Cavill (Clark Kent/Superman), Amy Adams (Lois Lane), Jesse Eisenberg (Lex Luthor), Jeremy Irons (Alfred Pennyworth), Gal Gadot (Diana Prince/Wonder Woman), …
Image: Larry Fong
Montage: David Brenner
Musique: Hans Zimmer et Junkie XL
Costumes : Michael Wilkinson
Décor : Patrick Tatopoulos
Producteur : Christopher Nolan, Emma Thomas, Wesley Coller, Geoff Johns, David S. Goyer, Jim Rowe, Gregor Wilson, Curtis Kanemoto, Charles Roven et Deborah Snyder
Société de production :Dune Entertainment, DC Entertainment, Cruel and Unusual Films, Atlas Entertainment et Warner Bros
Distributeur : Warner Bros
Durée : 151 minutes
Genre: Super-héros
Date de sortie : 23 mars 2016
Etats-Unis – 2016