Le Tombeau des lucioles (Hotaru no Hana) : une cruauté poétique

Le Tombeau des lucioles : du livre de Akiyuki Nosaka (1967) à son adaptation d’Isao Takahata (1988). Comment mêler tragédie et poésie : montrer la guerre au Japon en 1945 par deux enfants. Une dénonciation des adultes dans le sort tragique des enfants sacrifiés.

Le Tombeau des lucioles : du livre à l’adaptation cinématographique. Une présentation de la Seconde Guerre mondiale extrêmement dure mêlée à une poésie. Un monde de l’enfance et de l’innocence sacrifié à la cruauté et à la mort.

À propos du livre :  La Tombe des lucioles de Akiyuki Nosaka (1967)

La Tombe des lucioles est une nouvelle semi-autobiographique publiée par  l’écrivain japonais Akiyuki Nosaka  (1930-2015) en 1967. Ce récit aurait été écrit en quelques heures dans un café par l’auteur. Il revient sur sa propre histoire et culpabilité d’avoir laissé mourir sa petite sœur de dénutrition. Nosaka, par sentiment de culpabilité personnelle (et en se projetant en Seita), décide que Seita doit aussi mourir.

La forme littéraire choisie par Nosaka est une variante du « double suicide amoureux » : le shinjumono, puisqu’il s’agit ici d’un frère et de sa sœur. Il a reçu en 1968 le Prix Naoki, prix littéraire prestigieux remis deux fois par an et qui récompense des jeunes auteurs prometteurs. Le prix consiste en une montre et une bourse d’un million de yens. C’est l’un des prix littéraires les plus convoités au Japon.

Dans la nouvelle, le lecteur n’apprend la mort de Seita qu’aux toutes dernières lignes du texte : «Dans l’après-midi du 22 septembre 1945, Seita, crevé comme un chien dans l’enceinte de la gare de Sannomiya, fut incinéré avec vingt ou trente cadavres d’autres petits vagabonds dans un monastère au-dessus de Ninobiki, et ses ossements furent ensuite déposés au columbarium, comme les restes d’un mort inconnu. »

Nosaka utilise cette date bien précise, le 21 septembre 1945, avec une ironie mordante puisqu’elle a un sens bien particulier. Seita décède « le lendemain du jour où fut décrété le « Plan général pour la protection des orphelins de guerre » ». Il meurt de faim comme sa petite sœur, Setsuko, décédée un mois avant lui : « ces os blancs […] morte le 22 août au fond de la tranchée d’un abri antiaérien[…] d’une inflammation aiguë des intestins, du moins dans la version officielle, car en réalité percluse de tous ses membres a l’âge de quatre ans, c’était comme dans un profond sommeil qu’elle avait quitté ce monde, de la même manière que son frère, en somme : dépérissement dû à la dénutrition. »

L’auteur souligne que les sacrifiés sont les plus vulnérables et accuse aussi le comportement des adultes qui aideront rarement les enfants et les entraîneront dans la mort.

Un film sur la Seconde Guerre mondiale et le Japon : un projet qui a eu du mal à voir le jour

En 1987, après avoir été producteur de 2 films du Studio Ghibli, Isao Takahata désire revenir au métier de metteur en scène et adapter un roman semi-autobiographique d’après-guerre, très connu au Japon, La Tombe des lucioles (1967). Il soumet son projet à Tokuma. Parallèlement, Miyazaki a l’idée de réaliser Mon Voisin Totoro.

Ce projet sera très complexe pour finalement pouvoir aboutir. En effet, le sujet du Tombeau des lucioles est très triste : les deux enfants protagonistes meurent et cela se passe dans une atmosphère très réaliste de la Seconde Guerre mondiale au Japon. Heureusement, le projet a reçu le soutien d’un des membres du comité de production du Château dans le ciel : Toshio Suzuki. Ce dernier a proposé, pour que le film soit accepté, de coupler les deux films : Le Tombeau des lucioles et Mon Voisin Totoro. Le premier étant un drame historique aurait un but pédagogique et serait vu par des classes. Seulement, pour produire deux films en même temps, il faut deux producteurs.

Le grand éditeur japonais Schinchôsha porte un grand intérêt à ce projet et accepte le financement de l’adaptation. Les deux projets simultanés peuvent être réalisés par le Studio Ghibli. Cependant ces deux productions simultanées amènent des problèmes techniques et des effectifs insuffisants. Le Studio s’est donc tourné vers Tôru Hara (ancien de la Tôei, président du Studio Toperaft) pour son expérience dans la gestion et la production. Hara fut donc le producteur sur les deux films.

Dans les deux films se trouve une thématique analogue : une mère malade, absente et les enfants qui s’inquiètent pour sa santé. La grande différence c’est que dans Le Tombeau des lucioles, cela se passe pendant la guerre et les situations sont dramatiques, le film est d’un réalisme très cru alors que Mon Voisin Totoro est plus ouvert et plus optimiste. C’est cette vision du monde ancrée dans un réalisme proche des films européens qui a fait la frilosité des producteurs pendant la lancée du film Le Tombeau des lucioles.

A leur sortie les films remportent un succès d’estime avec près de 800 000 entrées. Le film sera salué par les professionnels de la profession. Le Tombeau des lucioles ne sera projeté en France qu’en 1992, au Festival de Corbeil puis en 1994 au Festival de Paris. Il est alors remarqué par Jacques Varret, responsable des Films du Paradoxe. Il négocie pendant un an avec Ucore (qui représente en France Tokuma et le Studio Ghibli).
Le film ne possède alors alors qu’un très modeste budget de sortie, Le Tombeau des lucioles ne sort que dans deux salles d’art et essai le 19 juin 1996.

Malheureusement à cette date sort Porco Rosso, et Le Tombeau des lucioles restera encore dans un anonymat certain malgré sa qualité. Heureusement, les relations entretenues entre Les Films du Paradoxe et les salles d’art et essai vont permettre de connaître une diffusion durable du film malgré l’absence de copie française. Les 4000 entrées de l’époque en France sont considérées comme un résultat très honorable. Puis le 26 mai 1999 Canal + diffuse le film. En janvier 2000, le film obtient sa VHS. Puis en juin une diffusion télévisée sur Arte puis une sortie en DVD.

En Corée, Le Tombeau des lucioles n’est jamais sorti, le gouvernement le voyant comme une des raisons qui expliqueraient l’entrée en guerre du Japon.

Le Tombeau des lucioles : un film personnel d’Isao Takahata (1935-2018)

Le tombeau des lucioles est sans doute le plus cruel, le plus cru, le plus réaliste parmi tous les films des Studio Ghibli. Isao Takahata ayant vécu aussi cette période personnellement, il a inséré des éléments autobiographiques dans l’histoire.

Takahata travaille avec Nizô Yamamoto qui retranscrit dans ses détails les plus infimes et minutieux la vie pendant cette période des deux protagonistes et son monde clos. Il s’inspire des films européens tels ceux de Rossellini, réalisés après-guerre tels Rome, ville ouverte ou Allemagne année zéro, qui appartiennent au néo-réalisme. Takahata est très attaché à ce mouvement cinématographique, né durant la guerre qui montre la société dans son quotidien et toutes l’évolution socio-économiques, ses répercussions des civils en temps de guerre ( scènes de repas, scènes de bombardements, de famille…)

Comme on le sait il sait fortement inspiré aussi du film de René Clément : Jeux interdits (1952). On ne peut pas oublier la fameuse scène où Setsuko enterre les lucioles , séquence qui peut que nous faire penser à la séquence de Jeux interdits lorsque Paulette et Michel s’amusent à enterrer  des animaux morts.

Une adaptation littéraire minutieuse et en binôme

Le Tombeau des lucioles de Takahata a reproduit exactement l’ambiance et l’atmosphère du livre. Takahata a aussi travaillé conjointement avec l’écrivain. La douceur des traits du dessin animé et sa magie permettent d’atténuer l’écriture très « réaliste » de l’auteur et assez violente dans les descriptions (l’agonie de la mère, par exemple).

Nosaka Akiyuki avait refusé toutes les adaptations en film jusqu’à l’adaptation de Takahata. Comme dans le roman, les deux personnages principaux meurent mais dans le film de Takahata, ils se trouvent réunis lors du prologue et à la fin du film, ensemble. On garde le côté très fort du lien qui unit les deux enfants jusque dans la mort. Il avait peur néanmoins du rendu, surtout de Seitsuko et de la représentation de Kobé. Dans son perfectionnisme, Takahata a demandé à travailler avec le dessinateur Yoshifumi Kondô qui était alors chez Nippon Animation. Comme il manquait un dessinateur dans le groupe du Tombeau des lucioles, Hara a convaincu le dessinateur d’intégrer le groupe des Studio Ghibli.

Cette nouvelle recrue sera cruciale dans la réalisation du film. En effet, Kondô a joué un rôle central dans la genèse graphique du film tantôt au niveau de la création et design des personnages qu’au niveau de l’animation. Il est arrivé à restituer les expressions des visages. On raconte que pour tout ce qui est de l’expression de Seitsuko, il se serait inspiré de Brigitte Fossey dans Jeux interdits.

Un film sur le deuil et la mort

Comme nous le constatons, le film est sans doute le plus dur de tous les films Ghibli. Même s’il s’agit d’un dessin animé, l’atmosphère, les lieux sont empreints de réalisme. Les plus petits détails de la vie de tous les jours sont montrés au spectateur. N’oublions pas que le film commence par l’agonie de Seita, mourant de faim à la fin de la guerre. Aussi nous dit-il : « Le 21 septembre 1945, je suis mort ». Il murmure le nom de Setsuko, et meurt. Nous voyons le fantôme de Seita regarder la scène. Un employé de la gare trouve sur lui une boîte à bonbons qu’on lui suggère de jeter par précaution, ce qu’il fait. Une fois jetée, la boîte s’ouvre, on y voit des petits ossements et une flopée de lucioles en sortir. Apparaît alors Setsuko s’amusant avec elles.

Seita, narrateur du Tombeau des Lucioles, pourrait faire penser au personnage de l’oiseau, narrateur aussi dans Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert (1980), mais aussi acteur dans l’histoire qui va être racontée. Nous savons donc, nous spectateur, que cette histoire est une tragédie. On ne sait pas encore quelle dimension elle va prendre.

Nous assistons à la maladie qui est déjà présente au début de l’histoire et qui ne cesse de progresser et d’empirer. La maladie progresse tant que l’eau de mer ne la soulage même plus. Seita est si inquiet pour sa sœur qu’il va l’amener consulter un docteur. Il indique à Seita que sa sœur est anémiée et qu’elle a besoin de manger. Cela révolte Seita, impuissant, qui lui demande comment il peut trouver de la nourriture. Nous assisterons à la lente agonie de Setsuko sous le regard impuissant de son frère.

Seita lui fait un enterrement de fortune et une crémation. Les fantômes des deux enfants se retrouvent au prologue et à l’épilogue de l’histoire. La mort est aussi suggérée par la pluie de cendres que les enfants surpris reçoivent au début de l’histoire lors du bombardement. Ce moment terrible et tragique fait forcément écho à un autre moment, lui, magique, plein de poésie et de beauté avec les lucioles qui s’envolent et entourent les enfants.

La figure maternelle

Si Seita n’arrive pas à avancer comme il faudrait, c’est-à-dire à travailler, se projeter en tant qu' »homme de la famille » c’est sans doute parce qu’il lui est déjà impossible de faire son deuil de sa mère.

En effet, on voit quelques minutes la mère des enfants au début de l’histoire ; elle est le seul référent maternel et protecteur, avant qu’elle ne soit tuée. Elle est plutôt douce et bienveillante et ses enfants le sont aussi avec elle. Quelques minutes plus tard, Seita retrouve sa mère dans un hôpital de fortune, gravement mutilée lors d’un bombardement. Elle est semblable à une momie suintante, avec des bandelettes sur tout son corps rongé par des asticots. Symboliquement, il n’a pas pu dire au revoir à sa mère et la transmission n’a pas pu avoir lieu entre la mère et ses enfants.

Seita entre alors dans une mélancolie certaine, n’ayant aucun référent adulte vers qui se tourner et devant se comporter comme un adulte. Aussi le fait d’aller chez cette tante, même éloignée, lui permet d’avoir l’espoir d’un futur meilleur. Malheureusement rien ne se passe comme Seita l’imaginait : la tante les accepte car elle ne peut pas faire autrement, mais n’est que blessante et dévalorisante auprès des enfants. Elle va leur demander de vendre les kimonos de leur mère, lorsqu’ils manquent de nourriture. Peu après, la tante décide, comme Seita ne participe pas à l’effort de guerre en ne travaillant pas, de ne plus les nourrir. Elle considère Seita comme un paresseux qui ne fait rien de la journée. Ils devront dorénavant trouver eux-mêmes leur propre nourriture. Se sentant de trop et indésirables, Seita décide de partir de chez elle et de s’établir dans une grotte avec sa sœur. La tante ne fera rien pour les retenir.

La figure de la tante peut-être vue comme une sorte de marâtre, l’autre versant de la mère bonne, mais décédée : « au fantasme de la méchante marâtre, non seulement laisse intacte la gentille maman, mais empêche également l’enfant de se sentir coupable lorsqu’il est en colère contre elle » (Bettelheim, 1976). Cette figure autoritaire et rude est surtout dure pour Setsuko. La méchanceté de cette femme ira jusqu’à révéler à l’enfant le véritable état de sa mère. On s’imagine que c’est encore sans délicatesse qu’elle lui a annoncé cette nouvelle tragique.

Bien entendu l’image de la tante très autoritaire et très dure avec les enfants contrebalance la mère douce et aimante. Seulement, il faut se replonger dans le contexte de l’époque, et les personnages comme ceux de la tante étaient très courants. Pourtant la tante n’est pas complètement dans son tort, seulement elle s’y prend extrêmement mal avec les enfants. Si certes l’époque est dure aussi pour elle, elle pourrait au moins essayer de comprendre les enfants qui ont perdu leur mère (dans des circonstances atroces) et n’ont aucune nouvelle de leur père. Et il s’agit d’une enfant de 4 ans et d’un adolescent de 14 ans. Si elle avait été un peu moins rude et un peu plus maternelle, peut-être que Seita aurait bien voulu plier. Mais la figure de la tante est le double de celui de Seita, inflexible.

Il y aurait une analogie à faire avec le comportement de l’Empereur du Japon qui, parce qu’il n’a cédé sur aucun point, a perdu la guerre. C’est d’une certaine façon ce qui va arriver à Seita : en restant sur ses positions et en voulant son indépendance, il ira à la perte de sa sœur puis à la sienne. Sa tante, pourtant adulte, et qui devrait être un modèle pour l’enfant, ne va rien faire pour le retenir ou lui demander si partir est véritablement judicieux. En cela, elle est coupable de ce qui adviendra des enfants qui lui ont demandé de l’aide et qui appartiennent à sa famille.

La figure masculine

Durant tout le film, Seita espère le retour de son père qui les vengera. Aussi, le père étant dans la flotte navale japonaise, Seita est le seul à devenir le responsable de sa petite sœur, malade de surcroît. Seita désire lui ressembler, c’est pourquoi lorsqu’il apprend la défaite du Japon, il sait que son père est alors mort.

Pour Seita l’avenir devient de plus en plus sombre, car il ne sait pas comment faire pour vivre seul avec sa sœur malade, et ne fait que de voler pour assouvir leur faim. Il est battu violemment car pris sur le fait, et on le menace. Seul le policier est gentil avec lui en le laissant tranquille. Mais aucune figure masculine ne va œuvrer véritablement pour faire en sorte d’aider Seita.

Un autre référent est moins évident : c’est la figure de l’Empereur Hiro Hito, inflexible dans ses décisions – et c’est ce qui provoquera la chute de l’Empire. Seita possède aussi ce caractère-là. C’est ce qui conduira le jeune garçon à la mort de sa petite sœur puis à la sienne. Il y a un véritable culte pour l’Empereur, les militaires sont prêts à se suicider pour leur patrie. Mais Seita n’est pas considéré comme responsable de la mort de sa sœur dans le film alors que comme on l’a vu dans le livre, l’auteur se rend responsable de la mort de sa sœur. Les adultes sont coupables de n’avoir rien fait pour les aider et d’avoir ainsi entraîné leur mort.

La symbolique du titre

Dans le titre Hotaru no haka, le terme hotaru (luciole) est symbolisé par deux kanji, au lieu de l’unique symbole habituellement utilisé pour cet insecte. Le premier (hi) symbolise le feu et le second (tareru) symbolise la chute. Ce choix peut s’expliquer par la crémation d’un personnage principal : Seitsuko qui disparaît en fumée ; mais aussi pour montrer le côté éphémère des lucioles qui seraient représentées comme des gouttes de lumière. La quantité n’étant pas symbolisée, on ne connaît pas le nombre de lucioles mais cela évoque la vie précaire en période de guerre et la profusion de lumière que les insectes fournissent aux enfants dans la grotte.

Les lucioles sont un symbole important dans la société japonaise. En effet, la croyance veut que « leurs queues illuminées renferment les âmes des soldats morts sur le champ de bataille ». L’image est recouverte d’un filtre rouge comme si elle était teintée par la lueur d’un feu, cela évoque les flammes des bombes incendiaires lancées en grand nombre sur le Japon. Cela évoque aussi la couleur des temples shintos qui servent à vénérer les dieux kamis, qui sont souvent à l’origine des personnes décédées. Le procédé de coloration permet de faire le pont entre les éléments de la guerre et ceux de la religion.

Le titre du film fait quant à lui référence au passage pendant lequel les deux enfant trouvent abris dans une grotte, après être partis de chez leur tante, indésirables. Les enfants emprisonnent des lucioles pour s’éclairer. Setsuko les retrouvera mortes le lendemain. Elle leur confectionne alors une tombe et avoue à son frère que sa tante lui a révélé la vérité sur leur mère.

Un univers poétique et proustien

Malgré la dureté du récit et des images, la poésie et l’émerveillement sont toujours présents. De la boîte à bonbons « sort » Setsuko et les lucioles. Le personnage de Setsuko incarne les lucioles (sa lumière et la brièveté de sa vie) mais aussi la douceur, l’enfance, représentées par les bonbons. Le film Takahata montre le lien très fort qui se noue entre Setsuko et les insectes lumineux, et qui est déjà très présent dans le livre. Dès les premières images, lorsque la boîte à bonbons tombe et que les lucioles s’en évadent, apparaît l’âme, le fantôme de Setsuko.

Jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, la religion officielle du Japon est le shintoïsme, qui vise l’exaltation de l’empereur et du peuple japonais. Elle se caractérise par une croyance selon laquelle les objets auraient une âme. Il est intéressant de noter que lorsque l’adolescent murmure le prénom de sa petite sœur juste avant d’expirer, la fameuse boîte à bonbons de Setsuko tombe des mains de son frère. Et c’est bien de la fameuse boîte à bonbons, à laquelle tenait particulièrement Setsuko, que son âme et les lucioles s’échappent lorsqu’elle se renverse avec le trépas de Seita. C’est dans cette boîte qu’elle va mettre la bague qui appartient à sa mère et que Seita lui confie.

Aussi, un autre passage est très nostalgique et poignant : c’est lorsque la tante demande aux enfants qu’ils vendent les kimonos de leur mère en échange de riz. Les enfants ne veulent pas au départ, parce que pour eux le kimono se rattache à un moment spécifiquement heureux de leur existence, où ils sont tous en famille, leur mère portant avec élégance un somptueux kimono. Ce moment est d’une véritable nostalgie puisque la famille est au complet, très bien habillée. Tout est calme et serein et les cerisiers derrière eux sont en fleurs : « la fleur de sakura est un symbole de pureté, et c’est la raison pour laquelle elle est l’emblème […] de l’idéal chevaleresque (Chevalier et Gheerbrant, Le dictionnaire des symboles, 1982). Dans la culture japonaise, « la floraison des cerisiers préfigurerait […] celle du riz » (Chevalier et Gheerbrant, Le dictionnaire des symboles, 1983). Dans le film, l’image du pétale de cerisier vient se surimposer sur celle du grain de riz et annonce le retour à la réalité : la tante verse à Seita sa part de riz obtenue grâce à la vente de la tunique. Par ce procédé cinématographique, cela a permis un saut temporel d’une photo de famille heureuse mais aussi de faire la connexion symbolique entre le cerisier et le riz et montrer que l’idéal militaire est remplacé par une valeur marchande.

Aussi, lorsque les enfants se retrouvent à la mer, quel moment symbolique aussi puisque métaphoriquement les enfants se retrouvent alors dans « leur mère ». Nous voyons la connivence des deux enfants, lorsque l’un est triste l’autre essaye de le faire rire. Ils sont complices à chaque instant.

Takahata était admiratif de l’œuvre de Prévert et de Grimault, notamment de La Bergère et le Ramoneur puis du Roi et l’Oiseau. C’est en voyant ces films qu’il a voulu faire des dessins animés : raconter des histoires poignantes et bouleversantes, bien dessinées pour les enfants mais qui pourraient aussi être vues par toute la famille. Le Tombeau des lucioles se veut être une œuvre antimilitariste mais aussi universelle. Cette œuvre qui a failli ne pas se faire, est dorénavant considérée comme un véritable chef-d’œuvre, comme le chef-d’œuvre de Takahata. On ne peut pas le voir sans frissonner de bonheur, de terreur, de joie et de tristesse. C’est un pur délice.