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Pouvoir et transformation dans « Un loup pour l’homme »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Dupuis publient Un loup pour l’homme, de Mathieu Reynès et Valérie Vernay. Le récit, prenant, met en scène des personnages complexes, aux motivations et fêlures vertigineuses.

Un loup pour l’homme prend pour cadre la France du début des années 1930. Mathieu Reynès et Valérie Vernay, respectivement scénariste et illustratrice, combinent des éléments réalistes et fantastiques, organisant habilement l’immixtion des seconds parmi les premiers. Ils nous transportent dans un monde paysan fortement hiérarchisé, où la lycanthropie n’est pas seulement une légende, mais une réalité qui peut être aussi terrifiante que libératrice.

L’album se déploie notamment autour du personnage du « Baron », un propriétaire terrien qui, après une tentative d’agression sexuelle sur l’une de ses employées, se retrouve infecté par la malédiction de la lycanthropie. Les auteurs dépeignent le « Baron » comme un personnage puissant, froid et calculateur, régentant son domaine agricole d’une main de fer.

Cela n’est pas sans répercussion. Son fils Eugène est aux prises avec un complexe d’infériorité, symbolisé par sa rivalité avec Markus. Ce dernier est un autre personnage-phare : jeune homme recueilli par la famille, il travaille depuis lors dans le domaine agricole en tant que mécanicien et est considéré, dans un premier temps, comme un fils de substitution par le « Baron ». C’est précisément ce que lui reproche Eugène : d’être mieux traité que lui que par son propre père.

Les interactions dynamiques et parfois dysfonctionnelles entre les différents personnages évoquent des thèmes tels que l’appartenance, la légitimité sociale ou l’amour. Ce dernier n’est pas amené de front, mais il sous-tend néanmoins les rapports entre Markus et Louison. La fille du « Baron » cherche du réconfort dans les bras du jeune mécanicien, elle peine à verbaliser ses sentiments envers lui et accueille avec circonspection ses rapports avec Maya, jeune fille rejetée par la société, qualifiée de « sauvageonne ». Elle vit parmi les loups dans la forêt voisine. Son personnage rappelle l’archétype du « wild child » présent dans de nombreux mythes et légendes, tels que Le Livre de la Jungle de Rudyard Kipling. Et son lien avec les lycanthropes offre une exploration subtile de la dualité de l’homme et de la bête. Maya n’est par ailleurs autre que la fille de cette employée retrouvée pendue à un arbre après s’être refusée au « Baron ».

Les dessins de Vernay, très réussis, disposent de tout l’espace nécessaire à leur expression. Car la mise en page et la disposition des cases favorisent une progression rythmée de l’intrigue, parfois avec peu de dialogues, ce qui renforce l’impact des images. De leur côté, les personnages s’avèrent bien développés, chacun évoluant avec ses propres motivations et vulnérabilités et offrant une psychologie nuancée qui enrichit le récit. Cela est bien illustré par Camille, un fidèle du « Baron » prêt à se sacrifier pour le bien des autres.

En tant que mécanisme de transformation, la lycanthropie n’est pas seulement utilisée comme un simple outil de terreur, mais aussi comme une métaphore de la libération (des pulsions, des conditions) et du pouvoir. Le personnage de Maya, dont l’existence est étroitement liée à celle des loups, offre une perspective intéressante sur la nature et la civilisation, avec une réflexion sous-jacente sur la sauvagerie, la liberté et l’isolement. On peut penser à Jean-Jacques Rousseau et à l’homme à l’état de nature en comparant son mode de vie à celui, corrupteur, en rupture avec l’environnement (la chasse, par exemple), du domaine « Baron ».

Mathieu Reynès et Valérie Vernay parviennent à un équilibre appréciable entre l’action et l’émotion, le réel et le fantastique, l’espoir et le désespoir. Ils portraiturent un milieu social sur lequel un seul homme, le « Baron », a su projeter une ombre menaçante. Quant à la proie…

Un loup pour l’homme, Mathieu Reynès et Valérie Vernay
Dupuis, mai 2023, 184 pages

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Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray