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« Le Premier Dumas » : courage et engagement

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Glénat publient « Le Dragon noir », tome 1 du Premier Dumas. Salva Rubio et Rubén Del Rincon y narrent, en s’appuyant sur les révélations de son fils, la vie d’Alexandre Dumas, père du célèbre romancier français.

À la lecture du « Dragon noir », on peut identifier trois moments charnières dans la vie du jeune Alexandre Dumas, futur père de l’auteur homonyme de la trilogie des mousquetaires. Le premier d’entre eux intervient tôt, au moment où, à Saint-Domingue, il se voit arraché à sa famille et emmené de force, sur un bateau, vers la France, où il rejoint sans le savoir son père, un comte blanc qui lui révèle alors sa véritable situation. Quelques années plus tard, il observera d’un œil médusé les geôles où sont détenus, dans des conditions inhumaines, les Noirs tentant de pénétrer sur le territoire français. Enfin, en 1791, en tant que soldat, il se rangera du côté des protestataires, c’est-à-dire du peuple, contre un pouvoir réprimant dans le sang les mouvements sociaux.

Ces trois moments entrent intimement en résonance avec l’Histoire de France et font d’Alexandre Dumas le témoin (douloureusement) privilégié de son temps. Son enfance est d’abord affectée par le colonialisme. Son père est absent, sa terre natale investie par l’esclavagisme, sa mère réifiée et vendue avec le reste de sa famille tels des objets. Plus tard, c’est dans la France prétendument libre qu’il découvre les horreurs d’un régime statuant sur les individus sur base de leur couleur de peau. Ensuite, en tant que Dragon de la Reine, il va côtoyer les miséreux, ceux qui vivent dans leur chair les famines et l’impuissance des autorités. Il va alors s’opposer à La Fayette, le héros américain, symbole dévoyé de la liberté, qui tourne les canons vers le peuple. Comme il s’était opposé, quelques années auparavant, à Guillaume Poncet de La Grave, juriste et historien peu enclin à la diversité…

Alexandre Dumas est donc un personnage qui permet à Salva Rubio et Rubén Del Rincon de prendre langue avec l’Histoire de France. C’est aussi le détenteur d’un authentique souffle romanesque. Car au-delà de la Police des Noirs, de son statut de comte de la Pailleterie, de ses multiples talents – cultivé, sportif, artiste, etc. –, c’est un homme meurtri, en plein questionnement identitaire, déchiré entre les avantages dus à sa noblesse et un héritage familial, et même national, inconsolable. Porteur de blessures par procuration, il va renoncer à son titre et renier son nom, indexer son comportement sur les valeurs qui sont les siennes, s’épanouir au contact de Marie-Louise, la fille de l’homme blanc qui l’accueille chez lui alors qu’il est en mission.

Passionnante, cette bande dessinée se complète d’un dossier didactique foisonnant, revenant sur les différentes étapes de la vie d’Alexandre Dumas relatée dans le récit. Prudents, Salva Rubio et Rubén Del Rincon insistent sur le caractère potentiellement biaisé des informations tirées de Dumas fils et confessent quelques accommodements avec les faits afin de donner une portée plus grande à leur histoire. Cette dernière, dense et à fort relief psychologique, était en tout cas tout indiquée pour être portée – et de belle façon ! – en bande dessinée.

Le Premier Dumas : Le Dragon noir, Salva Rubio et Rubén Del Rincon
Glénat, septembre 2022, 72 pages

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