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« La Trilogie berlinoise : L’été de cristal » : enquête en Allemagne nazie

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Premier tome d’une Trilogie berlinoise, « L’été de cristal », adapté d’un roman de Philip Kerr, réunit le scénariste Pierre Boisserie et le dessinateur François Warzala le temps d’une enquête dans l’Allemagne nationale-socialiste.

« L’été de cristal » vaut autant pour son intrigue à tiroirs que pour le contexte politique qu’il portraiture. Le lecteur se voit en effet immergé dans le Berlin de 1936, au moment où le pouvoir national-socialiste organise les Jeux olympiques. Véritable vitrine pour le régime d’Adolf Hitler, la compétition sportive internationale et l’attention qu’elle suscite impliquent que l’on retire des rues les unes antisémites de l’hebdomadaire Strümer (page 5), que l’on érige partout des drapeaux nazis (page 16, 19, 44 ou 59), voire que l’on enguirlande comme un sapin de Noël la porte de Brandebourg (page 76). Il faut dire que les nazis accordent un soin particulier à la propagande, comme en témoignent les solennelles allocutions radiophoniques de Joseph Goebbels. Pierre Boisserie et François Warzala ne s’arrêtent évidemment pas en si bon chemin lorsqu’il s’agit de caractériser les tares du national-socialisme. Le père d’une jeune mariée avance ainsi : « Je crains que le gouvernement n’estime qu’une femme ne peut faire qu’un travail : celui qui dure neuf mois. » Quant aux principes démocratiques sous le joug des nazis, ils semblent plus que bafoués : « Si vous n’êtes pas avec eux, vous êtes contre eux. » La capitale, sur laquelle, on le sait, Adolf Hitler et son architecte Albert Speer projetèrent tous leurs fantasmes de grandeur, symbolise tous les travers d’un régime liberticide et criminel : « J’adorais cette ville autrefois, avant qu’elle ne tombe amoureuse de son propre reflet et se mette à porter les corsets rigides qui l’étouffaient peu à peu. » En 1936, l’Allemagne hitlérienne persécute déjà les Juifs et les homosexuels, tandis que la délation et la résignation s’y répandent comme une traînée de poudre.

Ancien membre de la police criminelle devenu enquêteur privé, Bernie Gunther n’ignore rien des agissements des nazis et de leurs suppôts – dont les Violettes de Mars, « ces gens qui adhèrent au parti par opportunisme, pour faire de l’argent ». Les disparitions inexpliquées au sein de la communauté juive lui valent d’ailleurs nombre de sollicitations. Satirisant volontiers le pouvoir en place, il va pourtant être amené à croiser la route du tristement célèbre Goering au cours d’une enquête au long cours. Tout commence lorsqu’un millionnaire de la sidérurgie, Hermann Six, achète ses services pour en apprendre davantage sur le meurtre de sa fille Grete et de son mari Paul Pfarr, avocat du barreau de Berlin doublé d’un SS fanatique. Un coffre vandalisé et le vol de documents compromettants, ainsi que de bijoux mirobolants, donnent à l’affaire un caractère à la fois politique et crapuleux. Partant, les fausses pistes, les apparences trompeuses, les protagonistes menant double jeu vont pulluler. En s’appuyant sur un roman substantiel de Philip Kerr, Pierre Boisserie et François Warzala couraient le risque de perdre le lecteur dans un écheveau de faits et d’événements ; leur adaptation de « L’été de cristal » s’avère pourtant parfaitement ciselée, accordant aux personnages la chair escomptée, au cadre politique ses attributs les plus glaçants et à l’intrigue policière, autant de rebondissements que de faux-semblants. La ligne claire de François Warzala se prête en outre parfaitement à cet exercice littéraire et testamentaire.

En dépit de la gravité de son contexte historique, ce premier tome de la Trilogie berlinoise ne manque pas d’humour. Bernie Gunther manie en clerc l’art de la formule, souvent fusante et sarcastique. Qu’il manipule la star de l’UFA Film Studio Ilse Rudel pour la mettre dans son lit ou qu’il ironise à propos de sa propre situation (souvent périlleuse), l’antihéros de Pierre Boisserie et François Warzala apporte au récit légèreté et irrévérence. Un autre intérêt de l’album consiste à ériger la ville de Berlin en personnage à part entière. De Potsdamer Platz au stade olympique en passant par la porte de Brandebourg ou le Kreuzberg, c’est une capitale pulsant au rythme du nazisme qui se fait jour. Le combat des nazis pour l’hygiène raciale et contre la corruption, les dissensions entre le régime hitlérien et le monde économique, les masques des uns et les tromperies des autres viennent eux aussi enrichir les textures humaine, politique et policière de l’album. Dans ces conditions, on attend la suite avec l’impatience habituellement réservée aux grands maîtres.

La Trilogie berlinoise : L’été de cristal, Philip Kerr, Pierre Boisserie et François Warzala
Les Arènes BD, novembre 2021, 144 pages

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