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Second tome de « La Déchéance d’un homme »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient dans leur collection « Tonkam » le second tome de La Déchéance d’un homme. Adaptée d’un roman d’Osamu Dazaï, cette série dresse le portrait d’un mangaka au bord du précipice…

Le premier tome de La Déchéance d’un homme sondait l’incommunicabilité d’un jeune garçon feignant la pitrerie pour se protéger du regard des autres. L’album dérivait ensuite de ses douleurs intérieures vers leur expression concrète – et cruelle : Yôzo Ôba se montre coupable du suicide de l’un de ses camarades, avant de provoquer, désormais adulte, la mort de l’une de ses maîtresses. Junji Ito s’appuyait sur un roman d’Osamu Dazaï, proche de l’autofiction, pour portraiturer, d’un trait précis et élégant, le parcours d’un bouffon de façade doublé d’une âme meurtrie. Le second tome de la série continue plus avant l’exploration de la psyché du personnage, mais se déleste toutefois de certains éléments horrifiques qui émaillaient son prédécesseur.

« La difficulté de comprendre le monde, c’est la difficulté de comprendre les individus… » Dès le début du second tome de La Déchéance d’un homme, Yôzo Ôba est conforté dans une position de rupture avec son environnement. Dessinateur désargenté, compagnon volage, il va épouser la jeune et virginale Yoshiko, longtemps sourde à ses écarts de conduite. Cette jeune femme sculpturale et dévouée le remet un temps dans le droit chemin, avant que l’ivresse et la lubricité ne reprennent le dessus. À cet égard, le caractère itératif du manga de Junji Ito peut froisser : l’antihéros mangaka ne cesse de tomber dans les mêmes travers, sans que rien paraisse en mesure de l’en préserver. Même quand le grand et respectable journal Maiasa vient frapper à sa porte, cela se conclut par un désaveu amer. Cet épisode précis est révélateur d’un passé qui s’agrippe fermement à Yôzo Ôba. L’arrivée intempestive de son père en est d’ailleurs une autre démonstration.

Yôzo Ôba confie : « Je ne suis capable de représenter que des monstres. » Cette phrase entre en résonance avec une autre, distancée de quelques vignettes : « L’œuvre d’art supérieure reflète puissamment l’univers intérieur propre à son créateur. » Pour Junji Ito, il s’agit là d’une manière de réaffirmer ce qui fait l’étoffe de son personnage : des douleurs et traumatismes ineffables (dont les viols qu’il a subis), l’usage de l’art à des fins cathartiques et expiatoires. Mais cela n’empêche pas le mangaka de sombrer dans la paranoïa. En perdition constante, continuellement rattrapé par son passé, il peine à faire face à ses vulnérabilités. Le personnage d’Horiki, à la fois camarade et adversaire, réapparaît plusieurs fois au cours du récit, éclairant à chacune de ces occasions les fêlures et médiocrités de Yôzo Ôba.

Dans une dernière partie très onirique, Junji Ito convoque les fantômes issus du passé qui continuent de hanter Yôzo Ôba. Coutumier des tentatives de suicide, jamais en paix avec lui-même, le mangaka maudit constitue un « déshonneur » pour sa famille, une source de souffrance pour les femmes qu’il côtoie et une promesse infondée pour le monde de l’art. C’est la conjonction de tous ces facteurs qui, au même titre que sa marginalité auto-entretenue, va provoquer sa déchéance. Le grand intérêt de ce second tome est précisément de sonder les reliefs psychologiques et existentiels d’un protagoniste meurtri, auquel la plénitude se refuse obstinément.

La Déchéance d’un homme (T.02), Junji Ito et Osamu Dazaï
Delcourt/Tonkam, septembre 2021, 208 pages

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