Avec ce onzième épisode de sa série Le Chat du rabbin, l’insatiable Joann Sfar se montre égal à lui-même. Une nouvelle fois, les aventures du chat lui permettent d’enfoncer le clou, avec ses réflexions sur la religion. Quelque chose de suffisamment sensible pour qu’il prévienne en exergue de l’album qu’il considère que toute religion digne de ce nom est un appel à la fraternité.
L’idée de base ici ne manque pas de piquant, puisque le chat trouve dans un livre de son maître, un papier indiquant « Numéro de téléphone de D… : Elysée 613 ». Suivant une certaine logique, le chat considère qu’il est tombé rien de moins que sur le moyen de joindre Dieu en ligne directe téléphonique. Évidemment, à force de voir et entendre son maître et son entourage disserter sur des questions religieuses, le chat considère qu’il est tombé sur un véritable trésor. Son caractère ressort : curiosité, dissimulation, flatterie. Finalement, c’est plus fort que lui, il faut qu’il tente le coup. Il compose donc le numéro et quand ça décroche à l’autre bout du fil, il demande : « Dieu !… Dieu, c’est toi ? »
Miracles et conséquences
Ce n’est que le début d’une série de péripéties, le chat et nous, lecteurs/lectrices, ne sommes pas au bout de nos surprises. Toujours aussi bavard (plus personne ne s’étonne qu’il parle et même qu’il lise), le chat ne se contente pas de chercher à satisfaire sa curiosité. Il y va de son interprétation des textes sacrés, ce qui lui vaut quelques déboires sous forme de taloches bien senties. L’album comporte donc quelques situations qui prêtent à sourire. Régulièrement, le chat se pose en interprète au premier degré de ces textes. Régulièrement, le rabbin le reprend, car lui sait qu’il ne faut pas se contenter de ce premier degré. Enfin, dans l’histoire, intervient non pas Dieu en personne, mais l’un de ses prophètes en la personne d’Élie (Eliiyahou… Elie yahoo ?). Nous avons d’abord droit à son histoire telle que les textes sacrés nous l’enseignent. Mais Élie intervient également dans les fantasmes du chat, enrichissant la fiction tout droit sortie de l’imaginaire de l’auteur. Finalement, le prophète s’immisce dans le monde du chat (pas vraiment situé dans le temps, il faut s’en rappeler). La principale question débattue est de savoir si la foi dépend ou non des miracles accomplis.
Dieu, où es-tu ?
Avec cet album, le dessinateur-scénariste se montre inépuisable dans son besoin d’évoquer des questions religieuses. Bien entendu, avec le chat, c’est lui-même qui interroge la religion de manière générale. Il part d’une idée provocatrice bien dans ses habitudes. Avec ce numéro de téléphone, il sous-entend que le locataire de l’Élysée se prendrait pour Dieu. Malheureusement, il se contente de ce sous-entendu, sans jamais chercher à l’exploiter. D’autre part, en mélangeant les réflexions par rapport à la Torah et à la Bible, il crée une confusion entre le judaïsme et le christianisme, deux religions certes cousines. C’est peut-être voulu, car il semble considérer que toutes les religions se valent tant qu’elles font de Dieu un être tout d’amour. Ce qui ne l’empêche pas, régulièrement, de mettre le doigt sur de multiples contradictions. Ainsi, avec la prière que Zlabya adresse à Dieu, pour lui demander d’assister la sœur de sa copine Knidelette, alors que Zlabya ne connaît même pas cette jeune femme enceinte, dont la grossesse se révèle difficile. Le chat ne comprend pas pourquoi Zlabya s’inquiète tant pour une femme qu’elle n’a jamais rencontrée.
Des couleurs qui donnent vie
Dans cet épisode, ce qui saute aux yeux, c’est le trait assez tremblé du dessinateur. Comme d’habitude, même le cadre de ses vignettes n’est pas droit, mais tracé à la va-vite. Plus gênant, c’est l’ensemble qui apparaît dessiné à la va-vite. Ainsi, tout ce qui est décors est bâclé en quelques traits et reste franchement vague, ce qui n’empêche pas l’histoire de fonctionner. Autant dire que l’album (73 planches) serait bien rébarbatif s’il n’était pas agrémenté par les couleurs de Brigitte Findakly qui, une fois encore, fait des merveilles.
Pas de douzième épisode annoncé
Bien qu’il soit relativement agréable dans l’ensemble et comporte quelques trouvailles, le positif de cet épisode est surtout à chercher du côté du scénario et donc essentiellement du côté des péripéties qui permettent à Joann Sfar de poursuivre son exploration des absurdités véhiculées par les religions. Du côté du dessin, l’ensemble est trop souvent bâclé. Et puis, mis à part le prophète, l’album ne propose pas de personnage marquant. Même du côté des péripéties, c’est moins inspiré que dans les meilleurs épisodes.