Mike Costa et Nate Bellegarde publient aux éditions Delcourt un comics dont le sujet principal est le vieillissement d’un super-héros. Devenu sénile et incontrôlable, Furtif est désormais une menace pour ses proches et lui-même…
« Je viens de découvrir que mon père sénile est l’un des justiciers détenteurs de super-pouvoirs les plus redoutés d’Amérique, et il est tout à fait possible que son costume magique tombé de nulle part soit la cause de sa démence. » Tony Barber a beau être reporter, jusque-là il n’avait jamais soupçonné son père, ancien pompier, de mener une double vie super-héroïque. Au moment où il prend conscience de l’identité secrète de son paternel, ce dernier est atteint d’Alzheimer et paraît particulièrement confus. Partant, Furtif va se déployer selon une double modalité : il s’agira pour Mike Costa et Nate Bellegarde de sonder les liens filiaux, mais aussi de montrer en quoi la vieillisse peut altérer la mission d’un super-héros.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, l’album s’ouvre par une présentation particulièrement sombre de Detroit. À travers les mots de Tony, la ville est décrite comme ségrégationnée, éclatée entre des quartiers gentrifiés par les artistes ou les jeunes entrepreneurs et un Eastside délabré, où 80% des logements demeurent vacants et les hautes herbes reprennent leurs droits sur le bitume. Les écoliers y sont « entassés et sous-équipés » et « les trois quarts d’entre eux ne termineront pas le lycée ». Dans le récit de Mike Costa, la métropole américaine est érigée en personnage à part entière. C’est elle, corrompue et sépulcrale, qui a poussé le père de Tony et son frère Éric, ancien policier, à travailler de concert pour lutter contre le crime. C’est elle qui fournit à l’histoire son cadre, à Tony ses préoccupations sociopolitiques, à Furtif ses planques et ses combats.
Pour densifier son récit, Furtif prend appui sur d’autres thèmes. On citera parmi eux les réductions de personnel dans la presse, les rivalités entre gangs ou les bonds spatiotemporels. Solide et efficace, le scénario distille en outre une réflexion sur les bienfaits supposés des super-héros : « Donnez-leur quelqu’un qui les aide et ils marcheront vers la destruction en parade triomphale. » Ainsi, l’existence de Furtif est perçue comme un moyen de dévoyer Detroit, de la détruire de l’intérieur. Les révélations finales, dont on conservera bien entendu le secret, s’avèrent édifiantes à ce propos. Une nouvelle fois, les super-héros viennent suppléer des institutions défaillantes (police, justice) et créent une série de problèmes corollaires.
Si Nate Bellegarde apporte satisfaction sur le plan graphique, avec une mise en images respectant le cahier des charges du genre (spectacle, iconisation), Furtif vaut surtout pour sa représentation désabusée du super-héros, pensé comme un emplâtre sur une jambe de bois. Mike Costa en pointe les nombreuses limites, en termes d’éthique et de résultats. Il a aussi le bon goût d’y adosser un méchant charismatique, ainsi qu’un complot à tiroirs. Le récit possède ainsi une dimension nolanesque évidente : par sa noirceur, par une certaine parenté entre son super-vilain et Double-Face, par ses effusions spatiotemporelles ou encore par sa volonté de faire de la famille sa pierre angulaire. L’ensemble fonctionne plutôt bien, même si on aurait apprécié y voir un peu plus de folie.
Aperçu : Furtif (Delcourt)
Furtif, Mike Costa et Nate Bellegarde
Delcourt, juin 2021, 144 pages