Les éditions Delcourt publient Dans la boîte, de Lénaïc Vilain, un récit autobiographique à travers lequel on découvre les dessous du leader mondial de l’e-commerce, rebaptisé dans l’album zAmazon.
Côté pile, il y a l’hypermarché où tout est disponible à portée de clic, parfois à des prix défiant toute concurrence. Un mastodonte de l’e-commerce à la réussite insolente, astucieux et souvent à l’avant-garde technologique, dont le patron, Jeff Bezos, prend rang parmi les plus grandes fortunes de ce monde. Côté face, il y a les cadences éprouvantes, la précarité, les entrepôts s’étendant à perte de vue, la mort du petit commerce, voire le fameux Mechanical Turk à travers lequel des micro-travailleurs sont payés au lance-pierres pour développer des intelligences artificielles.
En pleine pandémie, Lénaïc Vilain a assuré un intérim chez Amazon, légèrement renommé dans l’album. Ce qu’il en retient et expose aux lecteurs est bien loin des images d’Épinal que la société américaine aimerait véhiculer. En trois couleurs (noir, blanc, orange), l’auteur et dessinateur parisien met en discussion les modes de consommation contemporains, le travail répétitif et déshumanisant, une entreprise logisticisée à tel point que toute spontanéité semble y être proscrite, un modèle de contrôle et de surveillance ne laissant aux travailleurs aucun répit. Chez zAmazon, on plie les cartons à la hâte (sauf en cas de problèmes sur la chaîne), dans le bon sens évidemment (sinon le logo « sourire » tire la tronche), on répond aux injonctions d’un ordinateur en collectant le bon produit au bon endroit, on prend soin de l’emballer au plus vite, tout en veillant à ne pas faire preuve de trop de largesse en ce qui concerne le papier à bulles (ce n’est pas bon pour la planète, mais ça coûte surtout de l’argent à la boîte).
« L’allée des gros nuls ». Parce qu’il n’a pas le rythme soutenu des travailleurs les plus aguerris, Lénaïc Vilain est cantonné à un poste de travail moins exigeant. Avec tout l’aspect vexatoire qui en découle. Son expérience chez zAmazon est extrêmement peu enrichissante : il scanne son badge à chaque déplacement ou presque, peine à s’y retrouver dans un entrepôt dédaléen, a l’interdiction formelle de s’approcher trop près de ses collègues (Covid oblige) et n’est finalement distrait que par les colis qu’on lui expédie sur le tibia « de l’autre côté du mur » ou par la société de consommation qui se met à nu sous ses yeux interloqués. Au bout du compte, l’associate – comme on les appelle selon la novlangue en vigueur chez zAmazon – va démissionner et partir à la recherche d’un travail « un petit peu valorisant ». Loin des Bip ! Bip ! qui le poursuivent jusque dans son sommeil et du turnover infernal induit par les contrats précaires.
Dans la boîte, Lénaïc Vilain
Delcourt, juin 2022, 128 pages