Second épisode de la série Chez Adolf , « 1939 » nous mène dans l’immédiat avant-guerre. Le professeur Karl Stieg y prend doucement conscience des menaces qui pèsent sur la démocratie allemande.
Le premier tome de la série Chez Adolf prenait pour cadre l’Allemagne de l’année 1933, alors en voie de nazification. On y suivait les bouleversements induits dans la vie quotidienne des habitants d’un immeuble par l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir. Et on s’intéressait plus particulièrement à un personnage : le professeur Karl Stieg. Ce second volume repose sur des principes similaires, à ceci près qu’il intervient après une ellipse de six années durant laquelle l’Allemagne, sur le pied de guerre, a gagné 120 000 km² de superficie, sans toutefois tirer le moindre coup de feu. Réunis dans le bistrot qui donne son titre à la série, plusieurs résidents sont occupés à discuter et louer les mérites du Führer. Tous ont en mémoire les traumatismes de la Première guerre mondiale et veulent croire que le régime national-socialiste ne réitérera pas les erreurs du passé en s’engageant dans une voie belliqueuse. L’heure est encore à la naïveté.
Karl Stieg a adhéré au parti nazi. Sans y croire, presque par commodité. Il reste mesuré dans ses commentaires sur le Führer, mais on sent que quelque chose le gêne aux entournures. Il l’avouera lui-même : « J’admire les gens qui ont des convictions, des certitudes. Moi, je suis un perpétuel hésitant… Je doute de tout, à commencer par moi-même… » En attendant, il a mieux à faire que sonder l’âme des hitlériens : se morfondre sur son sort. Rosa, dont il s’est éloigné, a trouvé refuge dans les bras d’un autre. « 45 ans, célibataire, début de calvitie, petit salaire… », il y a effectivement de quoi déprimer. Et c’est précisément le moment choisi par son ami Hugo, le dernier qu’il avait, pour décéder des suites d’un accident de la circulation. La Gestapo est présente lors de la cérémonie funéraire pour interroger le professeur. Les agents évoquent la possibilité d’un assassinat. Les projets d’attentat sont apparemment nombreux ces derniers temps.
Le dessinateur espagnol Ramón Marcos, toujours aussi talentueux, n’a pas besoin de déployer mille effets pour restituer la paranoïa qui règne dans l’Allemagne de la fin des années 1930. Il lui suffit de placer une silhouette inquiétante devant une maison allemande typée pour que Karl Stieg se sente épié sous ses fenêtres. Des exercices de défense passive ou les intrigues du pasteur Wirtz complèteront au besoin ce drôle de climat en pleine drôle de guerre (ou presque). Le premier tome faisait état de l’incendie du Reichstag, confortant les nazis dans leur hégémonie, celui-ci met en scène celui d’une synagogue, témoignage d’une haine montante vis-à-vis des Juifs. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les Albo, qui résident dans l’immeuble de Stieg depuis plus de treize ans, plient bagage : en vertu d’une directive interdisant aux Juifs d’habiter les mêmes logements que des Aryens, ils n’ont d’autre choix que trouver un nouveau domicile. « Si vous saviez toutes les brimades, toutes les humiliations… », confessera M. Albo au professeur Stieg lors de son départ. Ce dernier s’attirera en retour quelques regards défiants pour avoir embrassé un voisin qu’il tenait en estime et qu’il ne verra peut-être plus jamais.
Ainsi, Rodolphe continue de dépeindre l’Allemagne nazie en clerc. Sous prétexte d’un rendez-vous au Palace, il rappelle par exemple sur quoi était basée la propagande hitlérienne : « l’armée la plus puissante du monde » ou « le fameux Stuka, spécialiste du bombardement en piqué ». Un pacte vient en outre d’être signé avec les Italiens, ce qui témoigne de la grandeur recouvrée du pays… Pendant ce temps, Karl Stieg multiplie les aventures… mais aussi les mésaventures, puisqu’il tire sur un inconnu qui cherchait manifestement à violer Hilde, l’une de ses maîtresses. Il fait la connaissance du nouveau directeur d’école, Pol Kurtzman, qui le convie à des réunions confidentielles sous prétexte qu’ils sont tous deux affiliés au parti nazi. Et enfin, le révérend Wirtz lui remet des photos des camps de concentration, ainsi que des carnets de notes, afin que Stieg en fasse la publicité auprès des ambassades étrangères. Cette fois, sur fond d’invasion de la Pologne, la vérité lui saute aux yeux : non seulement « les gardiens ont droit de vie et de mort sur les prisonniers », mais « les SS adorent pisser » sur eux.
La réponse que donnera le professeur à ces révélations formera probablement l’étoffe du prochain tome. On peut en tout cas gager que Rodolphe et Ramón Marcos continueront de dépeindre avec à-propos les excroissances du régime nazi dans le quotidien des Allemands ordinaires. Chose que les deux premiers épisodes de Chez Adolf ont réalisé avec une certaine maestria.
Aperçu : Chez Adolf – 2. 1939
Chez Adolf – 2. 1939, Rodolphe et Ramón Marcos
Delcourt, janvier 2021, 56 pages