Parfois, le passé semble un continent lointain et l’avenir une énigme. Boomers, de Bartolomé Segui, se présente comme une exploration introspective et profonde de la crise existentielle qui peut parfois accompagner l’entrée dans la soixantaine. Ce roman graphique, riche en réflexions sur le temps, la mémoire et le décalage générationnel, nous invite à partager le voyage intérieur d’Ernesto, un homme vieillissant confronté à la réalité d’un monde qui semble lui échapper.
Ernesto, personnage central de Boomers, incarne la figure du sexagénaire en quête de sens à un moment charnière de sa vie. Sa décision de s’isoler en Irlande, pour se ressourcer, ouvre la porte à une méditation sur la fugacité du temps et la pérennité des lieux, mais surtout sur le besoin de faire le point quand on se sent en décalage avec son environnement. À travers les interactions, les pensées et les souvenirs de son protagoniste, Bartolomé Segui dessine un portrait émouvant d’une génération confrontée à l’érosion de ses certitudes et à la redéfinition de ses aspirations.
L’album explore avec acuité la crise de la soixantaine, période de remise en question profonde où l’individu mesure le chemin parcouru et anticipe celui qu’il lui reste à parcourir. La confrontation d’Ernesto avec la grandeur de la nature, l’irrémédiabilité du temps qui passe et ses propres interrogations existentielles révèle une quête universelle de sens dans un monde en perpétuelle mutation. Cette introspection est renforcée par les dialogues avec sa femme et ses amis, qui agissent comme des miroirs reflétant les multiples facettes de cette quête d’identité. Chacun avance avec ses craintes, ses désirs, ses besoins et cherche à appréhender au mieux un monde qui, chemin faisant, apparaît toujours plus insaisissable – qu’il s’agisse des questions de genre, des politiques menées ou de ses propres déficiences.
Boomers engage également un dialogue critique avec les évolutions sociétales contemporaines. Les discussions autour de la fenêtre d’Overton (dont le déplacement légitimerait la droite et ostraciserait la gauche) et du rôle des médias dans la formation de l’opinion publique mettent en lumière les tensions et les clivages qui préoccupent ces Espagnols sexagénaires. Le regard que porte Ernesto sur sa ville, conditionnée voire transformée par le tourisme, symbolise le sentiment de déracinement et de perte d’identité face à un monde globalisé.
Au fil des pages et des saynètes, Ernesto parvient progressivement, parfois, à une forme de réconciliation avec le temps. Cette acceptation passe par exemple par la reconnaissance de l’influence de ses parents sur sa propre vie. Ailleurs, inévitablement, ce sont les réflexions sur la retraite et la mortalité qui transparaissent, mais aussi par des moments de légèreté et d’humour partagés avec des technologies modernes (dont les plateformes de streaming). L’album renoue avec des personnages anciens de Bartolomé Segui, Ernesto et sa femme Lola, pour esquisser une philosophie de vie où la sagesse et l’acceptation devraient remplacer le regret et la nostalgie.
Boomers gratte le vernis au-delà de la crise de la soixantaine, interpelle sur le sens de l’existence dans un monde en perpétuel changement. À travers le périple introspectif d’Ernesto, l’album sonde les plans émotionnels et physiques indissociables au troisième âge. Que l’on regrette l’évolution des choses, le jeunisme ou les propres contraintes qui pèsent sur nos corps – migraines, douleurs articulaires, etc. –, le vieillissement engendre son lot de questionnements, que l’auteur restitue avec habileté ici.
Boomers, Bartolomé Segui
La Boîte à bulles, mars 2024, 96 pages