Voilà un roman qui peut surprendre, avec un village islandais comme élément central plutôt qu’un ou plusieurs personnages. Et même si certains reviennent dans différentes situations, aucun ne ressort vraiment plus que les autres. Ce qui émerge finalement, c’est une ambiance ainsi que le ton adopté par la narration.
Cette narration, il faut bien en parler, car elle contribue énormément au charme de ce roman composé de huit parties (ou chapitres) de tailles comparables à l’exception de l’une d’elles qui se présente quasiment comme une parenthèse avant d’aborder les deux dernières. Non numérotées, ces parties comportent toutes un titre, un peu à la façon des contes. À propos de parenthèses, on remarque également que quasiment chaque partie est précédée de quelques pages (généralement quatre) avec du texte entre crochets. C’est inhabituel et puisque le roman commence ainsi, on se demande quelle est l’intention. Il s’agit en fait de commentaires par le narrateur. Au fil des chapitres, on se fait donc une idée de son identité. Comme elle ne sera jamais dévoilée, chaque lecteur (lectrice) peut laisser libre cours à son inspiration. Aucun doute, il s’agit d’un des habitants du village. On remarque d’ailleurs que ce narrateur sait bien des choses sur ses concitoyens. Or, on apprend rapidement qu’Ágústa la postière se montre si curieuse qu’elle ne se gêne pas pour ouvrir les courriers qui passent entre ses mains. Ceci dit, le fait étant connu, la simple décision d’envoyer un courrier qui passera entre ses mains dénote déjà l’intention de faire connaître à tous son contenu, puisqu’Ágústa ne se contente pas de recueillir les informations ; elle se fait un plaisir de les propager mine de rien. D’une certaine manière, cela simplifie la tâche de Benedikt (agriculteur solitaire) qui part en voyage en Angleterre sans avoir eu la présence d’esprit de prévenir Þuríður (qui, du fait de sa grande taille, a du mal à trouver chaussure à son pied), sa voisine qui aime venir lui rendre visite de manière inopinée. Le narrateur ne se contente pas d’être l’omniscient classique. Il utilise régulièrement le nous pour faire sentir qu’il se considère comme un des villageois, tout en s’amusant de notre curiosité puisqu’il va jusqu’à se permettre d’écrire « Vous vous souvenez évidemment » pour un fait qu’en réalité nous découvrons, un peu comme s’il voulait nous placer nous aussi comme habitants du village. Pas étonnant puisque, dans ses commentaires, il parle régulièrement du monde tel que nous le connaissons en 2020. Un monde que certains décrivent désormais comme un village planétaire, avec ses nouvelles qui y circulent de façon quasi instantanée, grâce à Internet notamment. D’ailleurs, ce narrateur ne se prive pas pour inclure des avis personnels sur l’état déplorable de la planète, citant quelques causes et conséquences. Ce qui permet à l’auteur de faire de son roman une œuvre (discrètement) engagée et bien de son temps.
Lubies et fantaisies diverses
En choisissant de s’intéresser à quelques anecdotes de ce village sans cimetière (avec ses avantages et inconvénients), Jón Kalman Stefánsson raconte ce qui l’intéresse et donne une image très vivante de ce que peut être l’Islande profonde (mais côtière). Au centre de ce village, une bâtisse imposante qui a abrité l’Atelier de tricot (un vrai atelier avec machines, pas un groupe de mamies tricotant des chaussettes ou autres pièces de layette), que son directeur abandonne suite à une sorte d’illumination (il reçoit par courrier des livres anciens) qui l’amène à emménager à l’écart pour se consacrer à des études de haut niveau (scientifiques et philosophiques) et devenir l’Astronome (et donner des conférences). Les machines évacuées et quelques employées au chômage, l’Atelier reste vide jusqu’au moment où Elísabet décide de le convertir en restaurant. Autre lieu stratégique, l’Entrepôt (dirigé d’une main de fer par Sigríður, alors que Kjartan et Davið y sont employés), qui fut construit sur les ruines d’un bâtiment au passé maudit, justifiant au passage une incursion du côté du fantastique, avec une petite énigme de disparition jamais résolue. Ce qui intéresse vraiment l’auteur, c’est l’ambiance générale, l’état d’esprit des habitants du village. Autant dire que de ce côté, c’est une vraie réussite. Pourtant, le style de l’auteur donne une impression bizarre, avec une ponctuation tellement fantaisiste qu’on est amené par moments à l’ignorer, pour lire comme si une ponctuation classique lui était substituée (exercice qui se fait dans la tête du lecteur – de la lectrice – difficile de mieux décrire cette expérience particulière). Quoi qu’il en soit, l’auteur s’arrange pour captiver avec un ton très personnel qui instaure facilement la connivence avec son lectorat. De plus, il ironise gentiment sur les pratiques et mentalités des uns et des autres. Il faut dire enfin qu’il ne se gêne pas pour faire sentir que leur vie sentimentale est ce qui compte le plus aux yeux des villageois. Des Islandais plutôt tranquilles, certains se contentant d’une vie solitaire ou bien rangée, mais capables à l’occasion de se révéler comme de gentils chauds lapins. Tout cela fonctionne parfaitement, car l’auteur maîtrise bien son art de la narration, commençant régulièrement chaque partie de manière assez tranquille pour faire grimper l’intérêt progressivement par des péripéties souvent inattendue et amusantes. Finalement, seule l’avant-dernière partie m’a déçu. Ce qui a largement été contrebalancé par la réussite de la suivante, malgré sa conclusion qui m’a serré le cœur.
Conclusion
Avec Lumières d’été, puis vient la nuit (titre qui illustre la particularité islandaise qui, du fait de sa latitude, voit des journées très longues en été et des nuits interminables en hiver), Jón Kalman Stefánsson confirme sa réputation de conteur hors pair.