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« Le Blanc des cartes » : ce qu’il révèle

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les blancs des cartes ont toujours suscité l’imagination, ouvrant la porte aux spéculations sur les secrets qu’ils peuvent cacher. Dans Le Blanc des cartes, les auteurs Sylvain Genevois et Matthieu Noucher, accompagnés du cartographe Xemartin Laborde, explorent la richesse polysémique de ces zones vides, révélant comment l’absence apparente d’information cartographique peut en dire long sur les politiques, les cultures et les omissions volontaires. Grâce à une quarantaine de cartes, ils révèlent un nouveau monde où ces « silences » cartographiques parlent haut et fort.

Les blancs sur les cartes peuvent représenter le vide, l’absence de données ou même des valeurs inconnues ou aberrantes. Cependant, ils sont loin d’être neutres et reflètent souvent des intentions politiques, des biais culturels, une vérité sous-jacente qui doit se deviner plus qu’elle ne se révèle. Dans un monde saturé de données, ils soulignent aussi les limites de la géonumérisation et, parfois, les lacunes de nos connaissances. Les auteurs questionnent ces zones blanches qui font office d’anomalies, d’espaces non dévoilés et de reflets d’un impensé.

L’exemple de Google Street View illustre très bien comment le monde apparaît fragmenté sur certaines cartes. Les réglementations en Allemagne ont longtemps empêché l’entreprise américaine de cartographier certains espaces publics. De vastes zones en Afrique et en Asie restent non photographiées, tandis que la couverture est bien plus dense et exhaustive en Amérique du Nord et en Europe occidentale (à l’exception notable, donc, de l’Allemagne). Ces absences révèlent les disparités de collecte des données, pour des raisons différentes.

Les auteurs soulignent plus loin que de nombreux pays refusent de diffuser des données sur des sujets sensibles. Par exemple, certaines nations sont incapables ou réticentes à publier des informations sur le travail domestique non rémunéré des femmes. Les auteurs s’interrogent également sur l’invisibilité de territoires comme la Guyane. Et ils emploient ailleurs une carte inversée de la France pour montrer les 33 communes qui n’ont donné aucune voix à Emmanuel Macron lors des élections, soulignant ainsi les disparités politiques à travers une perspective peu usuelle.

Il existe des cartes pour toute chose, ou presque. Certaines mettent en lumière le vide démographique, comme cette carte de France révélant les zones où aucun logement n’a été construit depuis 1945. Une autre s’intéresse aux espaces dépourvus de couverture numérique : elle fait état d’une vaste zone blanche à la frontière de la Virginie, de la Virginie-Occidentale et du Maryland, créée pour éviter de saturer les amplificateurs des télescopes, interdisant de ce fait les téléphones portables et le Wi-Fi. Ces zones blanches cartographiques offrent en sus un refuge aux personnes électro-sensibles.

L’Ukraine et le brouillard de la guerre, l’Île de la Réunion et ses données superposées, l’encampement moderne… Le Blanc des cartes propose une exploration fascinante de la manière dont la cartographie, y compris dans son absence de données, peut révéler certaines informations importantes. Les zones vides sont loin d’être insignifiantes ; elles révèlent au contraire des vérités profondes sur notre monde et les biais inhérents à notre représentation de celui-ci.

Le Blanc des cartes, Sylvain Genevois, Matthieu Noucher et Xemartin Laborde 
Autrement, mai 2024, 128 pages

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