Jean-Claude Götting est un baroudeur de l’art graphique. Primé à Angoulême pour sa bande dessinée Crève-cœur, pionnier de l’expressionnisme en vignettes, illustrateur de presse, peintre, le Parisien a aussi dessiné les couvertures des traductions françaises des romans Harry Potter. Instants volés compile ses peintures les plus récentes.
On a connu Jean-Claude Götting en plasticien maître du noir et blanc. Crève-cœur était dépourvu de couleurs. Ses dessins exposés à la BRAFA 2015 à Bruxelles ou son exposition « Moments » à la galerie Huberty & Breyne fin 2018 comprenaient déjà des portraits de femmes d’un noir et blanc mélancolique et envoûtant. Instants volés se leste certes de couleurs, mais il conserve cette appétence universelle pour les silhouettes féminines, entourées d’un trait noir caractéristique de Götting, et portraiturées une nouvelle fois dans ces moments de flottement où le temps semble suspendu et le cours de l’existence entre parenthèses.
Ce beau-livre grand format s’ouvre sur un insert. Un œil vert alerte, intense et élégant. Un demi-regard. Page après page, le regard prend justement une dimension émotionnelle capitale. C’est celui qu’un homme pose sur une femme, celui qui traduit le vague à l’âme, celui qu’une femme porte sur elle-même (à travers un miroir) ou sur l’extérieur (d’un balcon), celui qui semble « perdu », symbole d’un moment d’apesanteur, ou qui interpelle, parce qu’il semble indiquer la réflexion, l’ennui, la fermeté ou la tristesse.
Qui sont les sujets de Jean-Claude Götting ? Des femmes modernes, nues ou apprêtées, peintes dans des intérieurs suggérant une certaine aisance – balcons, vues sur les montagnes, piano, décor de chambre d’hôtel, etc. Elles lisent, jouent de la musique, se reposent, réfléchissent, boivent un verre de vin, fument une cigarette, caressent un chat, vérifient leur maquillage, mettent leurs bijoux, regardent par la fenêtre, sortent du bain… Il ne faut pas attendre de l’illustrateur français des working girls en action, il préfère saisir avec poésie, dans des dessins à la fois mélancoliques et enchanteurs, des instants qui s’inscrivent en pointillé, presque inénarrables, à la fois vides d’événements mais emplis d’humanité.
En novembre 2018, Jean-Claude Götting expliquait au Figaro pourquoi il représentait essentiellement des personnages féminins : « Je trouve qu’il y a un côté plus universel que dans la figure masculine. Je dessine des femmes qui n’existent pas. C’est plus symbolique. C’est aussi pour moi le prétexte de créer des compositions stylisées, pas trop nourries, avec des masses colorées à l’intérieur. Et par-dessus tout, de faire de beaux dessins. Et puis, je me souviens aussi qu’il y a très longtemps, dans mon appartement, j’avais un poster, une toile de Kirchner, une femme avec un grand chapeau et je l’adorais. C’est peut-être ce qui m’a donné l’envie ? »
Le point de vue du peintre a cependant ceci de particulier qu’il semble s’attacher à extirper des situations les plus anodines le spleen féminin. À aucun moment, l’observateur ne peut percevoir une forme de plénitude. Ces femmes apparaissent désincarnées, presque éteintes – et parfois stricto sensu, comme lorsqu’elles sommeillent. Les dessins à l’acrylique de Jean-Claude Götting, en plus de jouer sur les perspectives, les lumières et les formes, comprennent des aplats de couleurs qu’on imaginerait a priori en opposition avec l’abattement qui se dégage de ses figures féminines : un jaune pétillant, du vert et de l’orange ici, un rouge vif et un jaune plus pâle là. Ces « instants volés » constituent en quelque sorte les respirations de l’être. Jean-Claude Götting les met en scène avec un charme désabusé.
Instants volés, Jean-Claude Götting
Champaka Brussels, novembre 2020, 120 pages