Docteure en neurobiologie, Adèle B. Combes publie aux éditions Autrement l’ouvrage Comment l’université broie les jeunes chercheurs, essentiellement basé sur le témoignage de trois doctorants. Par ce biais, mais aussi à l’aide des données issues d’une enquête qu’elle a menée auprès de 2000 étudiants (« Vies de thèse »), elle entend objectiver les souffrances résultant des écoles doctorales.
Chaque année en France, ce sont pas moins de 70 000 doctorants qui s’emploient à mener à bien leur thèse. Les deux tiers d’entre eux sont financés. Si cela semble attester d’une excellence à la française, une réalité plus douloureuse s’inscrit toutefois en pointillé : les jeunes chercheurs se trouvent placés sous le joug d’un directeur de thèse pas toujours bienveillant, ils sont soumis à une pression intense et peinent parfois à joindre les deux bouts, quand ils ne font pas les frais d’humiliations diverses, de harcèlement, voire de mépris. Pour s’enquérir d’un phénomène bien plus répandu qu’il n’y paraît, Adèle B. Combes a recueilli des données à travers l’enquête anonymisée « Vies de thèse ». 25% des répondants ont déclaré avoir subi une situation à connotation sexuelle ou sexiste au moins une fois durant leur doctorat. Un tiers des parents s’est vu reprocher le fait d’avoir un enfant. 38% des doctorants travaillent en étant en congé, 24% ont été harcelés durant leur doctorat (quand ils sont d’origine précaire), 19% ont déjà dépassé un temps de travail de 60 heures par semaine, 9% ont reçu des avertissements disciplinaires jugés infondés, 81% ont constaté durant leur thèse une dégradation de leur santé physique et 89% de leur santé mentale. Pourtant, l’omerta règne, malgré quelques timides brèches çà et là. Cette énonciation franche des travers du système universitaire français justifie probablement à lui seul la lecture de Comment l’université broie les jeunes chercheurs.
L’essentiel du texte se décompose en trois témoignages glaçants. Laurine, Baptiste et Sarah ont tous trois vécu des expériences traumatisantes. En verbalisant ce qu’ils ont traversé durant leur quotidien de thésard, ils permettent à Adèle B. Combes de donner un sens – et presque un visage – aux phénomènes qu’elle dénonce. La première, chercheuse en géologie, a subi caprices, irritabilité, humiliations et même attouchements sexuels. Michel, son directeur de thèse, n’a cessé de la décrédibiliser aux yeux de ses pairs, de la traiter comme une exécutante, de puiser dans ses fonds de mission, de la fliquer, de l’injurier. Il bénéficie toutefois d’une protection indexée à son aura scientifique. Il a lui-même composé le comité de suivi de thèse et a pu mettre sa capacité de nuisance en œuvre lorsqu’il s’est agi de retarder la publication des résultats de Laurine, laquelle a frôlé la dépression et s’est réfugiée dans le sport. Baptiste a subi la froideur de Louis, qui a financé sa thèse, parce qu’il était le stagiaire de deux collègues rivales. Il a essuyé des remarques déplacées liées à son homosexualité. Il a obtenu très peu de reconnaissance malgré la quantité impressionnante de travail abattu. Son directeur de thèse lui a reproché de prendre des vacances, a fait croire qu’il avait réécrit son travail, l’a peu soutenu dans le cadre de négociations pour breveter une molécule. Le doctorant a aussi dû faire face aux lourdeurs et vexations administratives. Une situation telle qu’il avoue avoir ressenti davantage de précarité à l’université que dans ses boulots d’appoint au fast-food. Enfin, à travers le témoignage de Sarah, doctorante en anthropologie, apparaissent les thématiques du suicide, du vol scientifique, des discriminations envers les doctorants non financés, de la difficulté de se faire une place en tant qu’handicapé…
Tout au long de son ouvrage, Adèle B. Combes dépasse les statistiques brutes pour y apporter la caractérisation et la chair permettant de les objectiver. Derrière les trois trajectoires radiographiées se cachent quelques-unes des meurtrissures les plus sourdes de l’université française. L’auteure en appelle non seulement à la réflexion, mais aussi à la réforme, en proposant quelques idées de nature à abonnir le statut et le travail de doctorant.
Comment l’université broie les jeunes chercheurs, Adèle B. Combes
Autrement, janvier 2022, 336 pages