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« Atlas de la Révolution française » : les embouchures de l’Histoire

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La Révolution française est loin d’être un événement isolé et autonome dans l’histoire humaine. Les professeurs en histoire moderne Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagalli, aidés par le cartographe Guillaume Balavoine, en resituent les phénomènes incubateurs mais aussi les prolongements naturels, des divisions politiques au bonapartisme.

Décentrer le regard. Tel semble être l’objectif premier de Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagalli. Les auteurs emploient plus de 120 cartes et infographies pour relater la formation et les conséquences d’une révolution qui a durablement marqué l’histoire du monde, et a fortiori de France. Dans cette troisième édition de l’Atlas de la Révolution française, on prend d’abord le pouls d’un contexte bien particulier, celui du XVIIIe siècle. L’expansion commerciale, démographique et productive des colonies françaises et britanniques travaillent en profondeur ces sociétés. La Révolution américaine, qui couve dès le début des années 1760, résulte de dissensions profondes entre les Treize colonies, avides d’indépendance et de démocratie, et l’Empire britannique, soucieux de préserver ses intérêts économiques. Parallèlement, en Europe, entre 1770 et 1780, on observe une série ininterrompue de troubles urbains et agraires : Glasgow, Lille, Genève, Lyon, Fribourg, Dublin et de nombreuses autres villes sont secouées par des tensions sociales, liées au prix des céréales, aux prélèvements fiscaux et seigneuriaux ou encore à l’accaparement des terres. En France, en 1788, les dépenses budgétaires dépassent de loin les revenus ordinaires. La dette se fait accablante. La situation économique du pays est alarmante, notamment en raison des conflits armés successifs, mais les élites sont les garantes des équilibres sociaux et, à ce titre, il est difficile pour la monarchie d’en réduire les privilèges. La société française est pourtant en train de changer profondément : la presse et le livre connaissent un essor sans précédent, tandis que la franc-maçonnerie, récemment implantée dans le pays et tolérée par le pouvoir après une période de rejet, habitue peu à peu ses membres au débat et au vote. Les mauvaises récoltes, les difficultés industrielles, une bourgeoisie craignant d’être déclassée, des émeutes de subsistance, une mendicité qui explose localement marquent les années 1780. On trouve parmi leurs victimes ceux qui formeront bientôt le mouvement sans-culotte.

Comme l’indiquent les auteurs, « la convocation des États généraux inaugure avec l’élection des députés des trois ordres et la rédaction des cahiers de doléances une ère nouvelle sans que les 28 millions de Français n’aient encore conscience de rompre avec l’Ancien régime ». La France connaît de grands bouleversements pendant la période révolutionnaire : le doublement des représentants du tiers état est acté, on dénombre pas moins de 45 000 cahiers de doléances, la Grande peur fait craindre à l’Assemblée réunie à Versailles un désordre généralisé, la Constituante crée 83 Départements en 1790, la Révolution de Saint-Domingue entraîne la fin de l’esclavage dans les colonies, la suppression des corporations provoque une incurie économique et une hausse des prix alimentaires… « La radicalisation révolutionnaire déchire les Français comme elle divise les historiens. » Certains groupes ayant obtenu une réponse satisfaisante à leurs doléances aimeraient que la situation s’apaise, tandis que d’autres, s’estimant pas ou peu entendus, s’échinent à souffler sur le feu révolutionnaire. À partir de 1792, l’histoire s’accélère : les forces austro-prussiennes assiègent Verdun, des centaines d’aristocrates et de prêtres réfractaires sont assassinés dans les prisons parisiennes, la crainte d’un complot contre-révolutionnaire agite l’Assemblée… Bientôt, les députés officialisent l’abolition de la monarchie et la France se divise entre girondins et montagnards, les premiers reposant sur un électorat provincial et se montrant plus favorables au Roi. Les fiches qui suivent dans cet Atlas de la Révolution française ne surprendront personne. Leur titre ? « La Terreur », « Les sans-culottes », « La déchristianisation », etc.

Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagalli étudient dans la dernière partie de l’ouvrage les conséquences directes et indirectes de la Révolution française. Les circuits du commerce transatlantique sont altérés par la révolte de Saint-Domingue, la nationalisation des biens du clergé permet de régler momentanément le problème de la dette, 12% des biens parisiens changent de propriétaires, l’espace allemand est reconfiguré au détriment notamment de la Pologne, Haïti proclame son indépendance en 1804, l’instruction publique est promue et l’alphabétisation progresse rapidement, les empires ibériques s’effondrent… Considérant ses 96 pages, cet Atlas de la Révolution française parvient habilement à inscrire la Révolution française dans le temps, en soulignant à quel point cet événement historique fut nourri par des réalités socio-économico-politiques interdépendantes et en interrogeant quelques-uns de ses legs majeurs.

Atlas de la Révolution française, Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagalli
Autrement, janvier 2021, 96 pages

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