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Miracle en Alabama, Premier Contact par Arthur Penn en Blu Ray

Le temps est décidément le meilleur allié de l’art. Particulièrement dans un domaine comme le cinéma, dont la nature industrielle tend à l’emporter sur toute autre considération à court-terme. Ce qui ne s’est pas révélé préjudiciable pour Miracle Alabama, le film d’Arthur Penn ayant connu la consécration publique et critique dès sa sortie. Pourtant, les 57 ans qui séparent sa conception de sa réédition en blu-ray chez Rimini Editions ajoutent à l’importance d’une œuvre dont l’aura était appelée à prospérer.

Adieu au langage

Adaptation par Penn  de sa propre pièce de théâtre qui lui valut un triomphe à Broadway, Miracle en Alabama suit l’histoire d’Helen Keller, adolescente devenue aveugle et muette peu après sa naissance. Ne réussissant plus à composer avec le handicap de leur fille, ses parents font appel à Anne Sullivan, une éducatrice spécialisée elle-même mal voyante, qui va s’ingénier à apprendre le langage à sa nouvelle élève. Quitte à payer de sa personne…

On imagine la gageure consistant à réaliser sur la communication avec un personnage sourd et aveugle. Or, non seulement Arthur Penn ne contourne pas l’obstacle en se réfugiant derrière la sécurité de codes narratifs éculés, mais en plus l’érige t-il en boussole de ses partis-pris. Sur le postulat d’une héroïne privée des sens de la vue et de l’ouïe, Penn puise dans les propriétés de son médium pour réaliser un film sur le toucher, et traduire l’expérience de ses personnages en termes audiovisuels au spectateur.

Concrètement, cela se traduit par un récit résolument doloriste, à mille lieues du mélodrame érigeant des remparts de bons sentiments entre le spectateur et les aspects les plus déplaisants de son sujet. Difficile de ne pas penser à Lorenzo de George Miller, autre (très) grand film sur la souffrance s’interdisant de placer tout filtre entre le public et l’enfant à l’agonie. De fait, Penn filme des personnages qui vont « au contact » l’un de l’autre et se rentrent dedans pour se faire comprendre.

Boxer avec les images

Le dialogue des corps vire au pugilat des volontés dans ce clash de  personnalités obtuses. Un combat qui culmine dans cet incroyable affrontement de 9 minutes suspendant la narration à celle des deux qui soumettra l’autre la première. Recadrages synchronisés, raccord dans l’axe accompagnant le mouvement, chorégraphie de l’espace : Miracle en Alabama n’est pas un drama familial, c’est un film d’action. Une œuvre physique au sens premier du terme, un duel de buffles où les bovins sont déguisés en femmes faisant feu de tout bois pour marquer leur point. Jean-Pierre Améris saura s’en souvenir pour son courageux Marie-Heurtin, long-métrage aux intentions similaires mais aux fondations malheureusement trop bancales pour supporter la radicalité de ses partis-pris.

A l’inverse, Arthur Penn a toujours maîtrisé la dialectique de la confrontation. Son cinéma ainsi s’est longtemps fait l’antenne d’une génération qui s’est définie dans sa lutte avec les institutions. Qu’il s’agisse du passage à tabac de Marlon Brando dans La poursuite impitoyable (qui renvoie directement à la scène décrite ci-dessus) ou la fin de Bonnie and Clyde, l’envie d’en découdre a toujours accompagné l’expression cinématographique du réalisateur. Cette volonté qui n’a sans doute jamais été aussi manifeste que dans Miracle en Alabama. Le réalisateur ne cède rien à la périphérie du point de vue de ses personnages, quitte à aller au clash avec les habitudes du public d’alors.

Nouvelle école

Ainsi, s’il affirme sa maîtrise des codes du cinéma classique (notamment dans cette ouverture traumatisante, qui rappelle en quoi la durée d’un plan peut en changer la nature), c’est pour mieux les malmener par la suite. On se souviendra longtemps des flash-backs sur l’enfance du personnage d’Anne Bancroft (oscar de la meilleure actrice pour sa prestation, de même que Patty Duke qui obtint celui du meilleur second rôle), véritables visions d’horreurs s’animant dans l’expressionnisme flou de l’image.

La violence de l’échange « physique » constitue un préambule nécessaire au langage chez Penn. Miracle en Alabama est un film sur une famille qui se soustrait à ce contact nécessaire en se réfugiant derrière les conventions. Tout l’inverse du réalisateur donc, qui convoque cette femme qui va au contact comme catalyseur du changement. Ce n’est pas un hasard si le climax du film réside dans ce moment où les Keller prennent leur fille dans leurs bras pour la première fois. Comme s’ils sortaient enfin de leur réserve pour exprimer physiquement l’amour qu’ils portaient à leur fille. On le comprend, l’histoire du film est aussi celle de sa conception et du challenge qui l’articule. C’est peut-être la contribution majeure d’Arthur Penn dans le cinéma américain : le sens du contact.

Miracle en Alabama en Blu-Ray

Plutôt chiche en bonus, cette édition mettra néanmoins entre les mains de l’heureux acheteur un livret de 34 signé Christophe Chavdia. Intitulée  « Un miracle à Hollywood« , l’autre supplément du disque donne la  parole à Frédéric Mercier, critique à Transfuge. 36 minutes pendant lesquelles Mercier revient sur la conception du film, son impact dans le Hollywood de l’époque et sa place dans la carrière d’Arthur Penn. Pour le reste, la qualité de la restauration justifie à elle seule l’achat d’un film  indispensable.

Retrouvez le blog de Guillaume Méral ici: https://critiquetamere.com

FICHE TECHNIQUE :

  • Titre original : The Miracle Workermiracle-en-alabama-blu-ray-rimini
  • Titre français : Miracle en Alabama
  • Réalisation : Arthur Penn, assisté d’Ulu Grosbard (non crédité)
  • Scénario : William Gibson d’après sa pièce, inspirée de Sourde, muette, aveugle : histoire de ma vie (The Story of My Life) par Helen Keller
  • Interprétation: Anne Bancroft (Anne Sullivan), Patty Duke (Helen Keller), Victor Jory (capitaine Keller), Inga Swenson (Kate Keller), Andrew Prine (James Keller)
  • Production : Fred Coe
  • Société de production : Playfilm Productions
  • Société de distribution : United Artists
  • Musique : Laurence Rosenthal
  • Photographie : Ernesto Caparrós
  • Montage : Aram Avakian
  • Direction artistique : George Jenkins

 

 

 

Rédacteur LeMagduCiné