Marie Heurtin, un film de Jean-Pierre Améris : critique

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Critique – Marie Heurtin

Synopsis : Née sourde et aveugle, Marie Heurtin, âgée de 14 ans, est incapable de communiquer avec le reste du monde. Son père, modeste artisan, ne peut se résoudre à la faire interner dans un asile comme le lui conseille un médecin qui la juge « débile ». En désespoir de cause, il se rend à l’institut de Larnay, près de Poitiers, où des religieuses prennent en charge des jeunes filles sourdes. Malgré le scepticisme de la Mère supérieure, une jeune religieuse, Sœur Marguerite, se fait fort de s’occuper du « petit animal sauvage » qu’est Marie et de tout faire pour la sortir de sa nuit…

Bonjour au langage

Jean-Pierre Améris a choisi de diffuser son film en version adaptée pour les sourds et malentendants ainsi que pour les aveugles. C’est que son film, qui raconte l’histoire vraie d’une jeune sourde et aveugle rendue au langage par le toucher au 19e siècle, est avant tout un acte de communication, d’ouverture au monde. Au-delà, il dit que le cinéma est un langage, fragile harmonie entre des mots et des images, entre des corps et des voix. Les plans du réalisateur sont une succession de séquences aériennes, tournées tantôt vers les arbres, tantôt vers le ciel, ou de moments palpables, tangibles où les mains de Marie et de Sœur Marguerite découvrent « un monde où tout ce qui est vivant palpite sous les doigts ». Cette femme-là est, à elle seule, un éloge de la patience, de la persévérance. Le film évite, en s’élevant ainsi de l’infime à la cime des choses, des êtres, ne tombe (presque) jamais dans les bons sentiments faciles. Bien sûr, on sait ce qui finira par advenir … la réussite. Mais ce qui compte ce n’est pas tant cette histoire que le chemin pour l’accomplir. C’est d’abord une longue route dans la nuit, dans le noir où une religieuse persuadée d’avoir rencontré « une âme » s’arme de patience pour tenter d’apprivoiser celle que l’on voit comme « une enfant sauvage ». Leur lutte se passe au corps à corps, avec comme seul moment d’apaisement, ce petit couteau, premier mot signé, que Marie caresse et sent sans relâche. Dans ces instants-là, Marie doit apprendre à vivre avec les autres. C’est là la première étape, pleine de combats que nous donne à voir le réalisateur. Là, sa confrontation avec ce monde religieux, sans être dogmatique, où la parole divine, retranscrite en signes, compte bien moins que l’éveil au langage de chacune des jeunes filles sourdes admises là.

 

Si ce film ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma, il est un moment d’une beauté indéfinissable. Il prend le temps, à l’heure où tout bousille, d’observer, écouter, sentir, tout ce qui nous entoure, de s’en enivrer. Le film est simple, doux mais aussi animal par moment. Les deux actrices principales, dont Isabelle Carré qu’on retrouve avec plaisir films après films, ont une alchimie certaine. Quand leurs mains se croisent, se touchent, s’effleurent et se disent en silence tout ce qu’il y a à ressentir. Quand elle s’apprivoisent doucement, l’émotion, jamais trop facile, est palpable. C’est que Jean-Pierre Améris, même quand ses héroïnes parlent de mort et de Dieu, privilégie le physique au spirituel. Marie éprouve le monde et apprend à faire, à partager. Dès qu’elle a appris cela, c’est enfin à Sœur Marguerite d’accepter sa destinée à elle : quitter le monde. Voilà qu’elle devra elle aussi accepter de lâcher prise, de faire confiance à autre chose. Quand Marie regarde le ciel, c’est presque trop appuyé mais c’est à l’image de ce film où la neige qui tombe est un émerveillement : plein d’une sensibilité qui réchauffe, avec ces cadrages serrés sur les doigts de Marie qui lui servent à signer « au toucher ». Le visage de Marie s’illumine au fur et à mesure que le film avance, et, dès lors, sa condition n’est pas misérabiliste car c’est un chemin vers le meilleur, vers le langage et l’odeur des fleurs que l’on sent l’été sur un chemin, comme celles que l’on dépose sur la tombe de ceux qu’on a aimé dans la vie, auxquels ont rend hommage dans la mort… La beauté est là, partout, dans chaque essence, dans chaque détail, qu’on croit ou non qu’ils sont habités par un Dieu ou par quoi que ce soit, c’est là, sous nos doigts… Une parenthèse qui dit la foi en l’autre, à une époque où l’on en a vraiment bien besoin… Et sans miracle : la vie, la mort ,tout simplement.

Bon à savoir : 

L’histoire d’Helen Keller, sourde muette contemporaine de Marie Heurtin, qui a appris cette même langue des signes dans sa main avec l’aide de sa gouvernante, a fait l’objet d’un film en 2002 :  » Miracle en Alabama » (d’Arthur Penn) qui valut un Oscar à ces deux interprètes. Jean-Pierre Améris voulait parler d’Helen Keller, mais les droits pour adapter son histoire étant trop élevés, il s’est renseigné sur les sourds et aveugles jusqu’à tomber sur l’histoire de Marie Heurtin. Son film est est donc inspiré d’un livre qui raconte l’histoire de Marie Heutrin et de Sœur Marguerite. Jean-Pierre Améris dit avoir cherché, et toujours chercher, à faire un film intemporel, et qui transcrive ce qui fait l’objet de tous ses films : « comment réussir à sortir de soi pour aller vers les autres et communiquer »*

* Interview complète ici

Miracle en Alabama d'Arthur Penn
Miracle en Alabama d’Arthur Penn

Marie Heurtin – Bande-annonce

Fiche Technique: Marie Heurtin 

France – 2014
Date de sortie : 12 novembre 2014
Réalisateur : Jean-Pierre Améris
Interprètes : Isabelle Carré (Sœur Marguerite), Ariana Rivoire (Marie), Brigitte Catillon (Mère Supérieure), Noémie Churlet (Sœur Raphaëlle), Gilles Treton (le père de Marie Heurtin), Laure Duthilleul (la mère de Marie Heurtin)
Scénario : Jean-Pierre Améris et  et Philippe Blasband
Photographie : Virginie Saint-Martin
Décors : Franck Schwarz
Sociétés de production : Escazal Films ; France 3 Cinéma et Rhône-Alpes Cinéma (coproductions)

Reporter LeMagduCiné