Sortie ce mercredi 16 octobre des Funérailles des Roses en édition Blu-ray par Carlotta Films. Une autre vision de Tokyo à travers le parcours d’Eddie, une jeune drag-queen, pour un film qui s’avère être une expérience hélas plus discursive que cinématographique.
Synopsis : Tokyo, fin des années 1960. Eddie, jeune drag-queen, est la favorite de Gonda, propriétaire du bar Genet où elle travaille. Cette relation provoque la jalousie de la maîtresse de Gonda, Leda, drag-queen plus âgée et matrone du bar. Eddie et Gonda se demandent alors comment se débarrasser de cette dernière…
Le commentaire du sujet-objet avant leur récit
On veut bien croire qu’à sa sortie, Les Funérailles des Roses a dû émettre quelques parfums de scandale de par son sujet. Et encore, le film a-t-il été conçu et projeté afin d’être accessible au plus grand nombre, avec un langage cinématographique animé et des horaires de jour et de soirée ? Le film a notamment été produit et distribué par l’ATG (Art Theater Guild) qui, comme l’explique Stéphane du Mesnildot des Cahiers du Cinéma, distribuait des films européens de Godard, Bergman et Fellini avant d’être l’une des grandes sociétés derrière la « nouvelle vague » japonaise. Il faut savoir que les films produits par l’ATG étaient sélectionnés par un comité de critiques de cinéma et qu’il s’agissait de produire des films au plus bas budget possible, rendant impossible toute volonté de concevoir une réalité cinématographique complexe et cohérente pour les réalisateurs. Selon le critique Tadao Sato, cette contrainte budgétaire aurait impacté positivement les films en renforçant leur caractère intellectuel.
La Nouvelle Vague n’est pas loin. Soyons plus juste, Les Funérailles des Roses, réalisé en 1969, est marqué par la fin et l’après Nouvelle Vague française aux conceptions cinématographiques vampirisées par des volontés d’intellectualisme plus propres à poser avec évidence les questionnements sociaux et artistiques en dépit de la transparence cinématographique et de l’investissement émotionnel du spectateur qu’à les amener subtilement à travers les pores d’un récit. On peut penser bien fort à La Chinoise réalisé par J.-L. Godard en 1967. Sont alors attendus après deux minutes de film puis constatés tout au long du visionnage : cuts brutaux sans raccords, jump-cuts, faux raccords volontaires, plans interviews, exposition du tournage du film et donc du caractère artificiel du cinéma et de l’image audiovisuelle aussi explicitée par la captation de bugs télévisuels et l’exposition des changements de bobine. On remarque aussi l’ajout de musiques à caractère comique à certaines séquences visuellement amusantes afin d’en expliciter le caractère burlesque. La même bouffonnerie sonore est aussi liée à des scènes de sexe afin de créer une dissonance et proposer une réflexion autour des corps et des usages sexuels. Des intertitres viennent citer des poètes français tels que René Daumal et Charles Baudelaire. Bien sûr, toute séquence montée avec raccords ou cohérence sera systématiquement coupée, empêchant tout investissement émotionnel du spectateur dans le parcours d’Eddie. Matsumoto en bon élève des cercles cultivés de Tokyo, a lu ce bon vieux Brecht, et comme l’après Nouvelle Vague française, s’amuse à jouer avec la distanciation tel un gosse fier de dominer ses spectateurs fourmi, malmenant toute croyance narrative en leur tentant de leur faire croire que son film est plus malin qu’eux, que le récit et son sujet (les aléas et autres fragments de vie quotidienne d’Eddie, drag-queen de Tokyo), puisque ce dernier est en fait un objet à partir duquel il va leur montrer la réalité japonaise dans toute sa complexité, espérant alors nous faire gober que tout est lié grâce à des plans de travestis suivis par ceux d’une manifestation politique, ceux sexuels poursuivis par quelques plans sur des œuvres picturales réfléchissant le corps… Dans le « décryptage du film et de son contexte » proposé dans l’édition Blu-ray, Stéphane du Mesnildot confirme que le réalisateur voulait exposer tous les sujets de réflexion sociale, et qu’il était aussi intéressé par le sujet des gayboys, drag-queen et garçons-filles. Encore heureux, a-t-on envie d’écrire, même si ce sujet controversé tient aussi et surtout de la nature contre-culturelle du film et de la Nouvelle Vague japonaise. Et qu’il s’agit davantage d’un moyen de filmer le Japon, ses événements, ses questionnements, mais aussi les goûts culturels du cinéaste, en créant parfois une relation intellectuelle nulle avec son sujet en filmant le déplacement d’Eddie dans la ville, traversant par exemple une rue animée par événement politico-artistique. Ironiquement, Les Funérailles des Roses et son approche expérimentale navrante d’intellectualisme sirupeux a plus des allures d’un name-dropping filmiquement déclaré que de l’œuvre subversive et transgressive fantasmée par son réalisateur, l’ATG, ou encore Stéphane du Mesnildot, soit des fans enclins à porter aux nues le film pour son intellectualisme et les références culturelles citées et évoquées ici et là, cela sans même se poser la question de l’expérience cinématographique qui, si elle se veut artistique, du moins créative, entretient un rapport essentiel aux sensations et donc au sentiment.
De fait, les Funérailles des Roses passe à côté de son sujet qu’il se contente de capter, de questionner et de commenter avant même de l’avoir véritablement compris notamment en l’investissant émotionnellement dans le temps et dans l’espace. Malgré quelques fulgurances permises grâce à la formidable image du chef opérateur et à l’éblouissant/e acteur/actrice Peter, Les Funérailles des Roses appartient – comme le note le critique Guillaume Méral dans son article sur l’intelligence au travail consacré à Tony Scott – aux « grands films (comprendre ceux dont on parle avec le petit doigt levé) (qui) se remarqueraient par leur capacité à faire réfléchir ceux qui les regardent. Ce qui implique donc que le cinéma fait réfléchir le spectateur comme celui-ci est appelé à réfléchir sur le sujet du bac philo. Ce qui suppose donc que le cerveau humain ne s’active face à la grande toile que sous le coup d’une stimulation dite « intellectuelle », exogène au langage des images »* et donc au langage cinématographique qui demande plus que quelques usures du cut, de l’effet Koulechov et de pratique bête et studieuse de théorie de la distanciation, matrice d’un spectateur politisé…
Reformulons alors notre première question : le film a-t-il été conçu et projeté afin d’être accessible au plus grand nombre ? Ou n’était-il transgressif, fou, brillamment expérimental, singulièrement cinématographique que pour le public d’« érudits » conditionnés à le réceptionner comme tel ?
Les Funérailles des Roses : Blu-ray
Les Funérailles des Roses se présente dans une édition Blu-ray soignée. En effet, la galette HD se base sur un formidable master 4K . S’il n’y a rien à regretter tant au niveau visuel que sonore, on aurait pu espérer obtenir d’autres compléments avec des intervenants internes au film, des acteurs, producteurs, entre autres. On apprécie toutefois le retour sur le film par Pascal-Alex Vincent (cinéaste et enseignant) et Stéphane du Mesnildot même s’ils n’abordent pas vraiment les questions que posent la réalisation, l’écriture, la conception en somme, d’un tel film en termes de réception spectatorielle (dans l’expérience, au niveau des retours dans le temps, etcetera). La préface de Mandico est digne de nombreuses interventions de cinéastes dans les bonus, vantant (et donc vendant) le film qui l’a « tant marqué », un vrai trip découvert d’une telle manière que les conditions de visionnage l’ont autant marqué que l’œuvre en elle-même, et qui l’a évidemment inspiré lors de la conception de son premier long métrage. Soit, rien de neuf à l’horizon qu’un bon client. Malgré ces quelques soucis, Les Funérailles des Roses a retrouvé toute sa vitalité grâce au travail éditorial de Carlotta Films à (re)découvrir.
Bande-annonce – Les Funérailles des Roses
CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES Blu-ray
BD 50 – MASTER HAUTE DÉFINITION – 1080/23.98p – ENCODAGE AVC – Version Originale DTS-HD Master Audio 1.0 – Sous-titres français – Format 1.37 respecté – Noir & Blanc – Durée du Film : 105 mn
SUPPLÉMENTS (EN HD)
– PRÉFACE DE BERTRAND MANDICO
Auteur et réalisateur de nombreux courts-métrages remarqués et salués par la critique, Bertrand Mandico a sorti son premier long métrage Les Garçons sauvagesen 2018.
– EDDIE ROI(26 mn)
Décryptage du film et de son contexte, et retour sur les carrières du réalisateur Toshio Matsumoto et de l’acteur principal Peter. Un entretien avec Pascal-Alex Vincent (cinéaste et enseignant) et Stéphane du Mesnildot (critique aux Cahiers du cinémaet spécialiste du cinéma asiatique).
– Bande-annonce originale
– Bande-annonce Carlotta Films 2019
Sortie le 16 octobre 2019 – prix de lancement : 20€