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Portrait : The Year Of Riz Ahmed

Eté 2016. The Night Of, une mini-série HBO, secoue le petit écran et déclenche une avalanche de critiques dithyrambiques. Avec sa mise en scène sombre et sans concession, sa critique sévère de la machine judiciaire et sa description âpre d’un univers carcéral oppressant, le programme marque les esprits, tout comme le regard intense et pénétrant de son interprète, Riz Ahmed. Zoom sur un acteur caméléon au multiculturalisme revendiqué, déjà consacré parmi les hommes de l’année par le magazine GQ.

Rizwan « Riz » Ahmed, 34 ans, est un acteur-rappeur britannique d’origine pakistanaise également connu sous le pseudo de Riz MC, son nom de scène. Véritable électron libre, leader né, cette personnalité engagée utilise le cinéma comme vecteur d’expression privilégié pour faire bouger les lignes, éveiller les consciences, questionner les préjugés et faire évoluer les mentalités. Celui qui s’impose malgré lui comme un pur produit post-11 septembre affiche une carrière complexe qui oscille entre humour dérisoire et gravité farouche depuis bientôt dix ans, alternant entre comédies caustiques, thrillers politiques et blockbusters éclairés. Encore inconnu au bataillon sur le territoire américain il y a quelques mois, le trublion anglais pourrait bien laisser sa marque à Hollywood grâce à ses prestations remarquées dans Jason Bourne et The Night Of. Focus sur l’une des futures têtes d’affiche de Rogue One – A Star Wars Story.

« Le multiculturalisme n’est pas juste un terme sur lequel on débat pour faire le buzz, c’est réel. Je suis le multiculturalisme ». Riz Ahmed pour The Guardian 

Citoyen anglais à part entière, Riz Ahmed revendique pourtant ses racines pakistanaises, fier de son héritage. Ses parents, qui ont quitté Karachi au milieu des années 70, se sont ensuite installés à Wembley, une banlieue de Londres très cosmopolite dont Ahmed garde un souvenir mitigé, comme il le précise lors d’un entretien pour Skin Deep : « Il régnait dans ce quartier un sens aigu de la communauté, notamment au sein de certaines familles pakistanaises. Mais lorsque j’étais enfant, je me souviens tout de même avoir souffert de racisme, de la part des blancs bien sûr, mais pas seulement. Il existait aussi une sorte de guerre des gangs entre les diverses ethnies asiatiques ». Confronté à la violence et à la xénophobie dès son plus jeune âge, Riz Ahmed ne trouve pas vraiment sa place dans la société, sentiment d’étrangeté qui va contribuer de manière décisive à lui forger un caractère de meneur qui fera de lui le porte-voix des minorités raciales au cinéma, même s’il se défend de tout choix idéologique lorsqu’il évoque sa carrière.

De Wembley à Oxford

Bon élève en dépit de quelques coups d’éclat et d’une légère indiscipline qui lui ont parfois valu des punitions, Riz Ahmed poursuit sa scolarité dans des écoles privées où il exprime déjà son leadership en mobilisant les étudiants afin de les inciter à voter pour un délégué de couleur, dans un établissement où la majorité de ses camarades étaient caucasiens. Après quoi, il décroche une bourse pour intégrer la prestigieuse université d’Oxford, expérience qui lui a laissé un goût amer : « Oxford fut un énorme choc culturel pour moi. Pendant le premier trimestre, j’ai sombré dans la dépression et je me suis isolé, je n’arrivais pas à créer de lien avec les autres. J’ai pensé à laisser tomber ». C’est à cette époque qu’il crée, pour se remonter le moral, la Hit and Run Night, sorte de soirée de ralliement pour les étudiants et les habitants du coin dont il explique le but en ces termes : « Je suppose que c’est devenu un point de rencontre pour beaucoup de gens partageant la même mentalité, unis par ce sentiment de non-appartenance, cette impression de ne pas être assimilé à la culture dominante, qui est très élitiste, blanche, guindée, collet monté ». Véritable succès, la Hit and Run Night permet à Riz Ahmed de sortir la tête de l’eau, et son initiative connaît un essor inattendu puisqu’elle s’est désormais déplacée à Manchester et est aujourd’hui considérée comme un événement majeur de la scène musicale underground locale.

Son diplôme de Philosophie, Politique et Economie en poche, Riz Ahmed décide ensuite de s’orienter vers des études d’art dramatique à la Royal Central School of Speech & Drama. Attiré par le métier d’acteur depuis son plus jeune âge, sa passion est née au lycée, mais il n’a pas suivi cette voix immédiatement, en partie car il n’osait pas s’imposer dans un milieu qu’il trouvait là encore trop codifié et nanti. A Oxford, où il se sent exclu et à l’écart, Ahmed sympathise avec un groupe de « dissidents » et commence à monter des pièces de théâtre en marge, avec des acteurs d’origine étrangère. C’est là qu’il découvre réellement sa vocation et fait ses armes pour la suite. Selon lui, ses parcours scolaire et universitaire ont été formateurs en bien des points : « J’imagine que l’école et la fac se sont avérées être des préparations idéales pour l’industrie du cinéma, où l’on retrouve les mêmes problèmes concernant la représentation de la diversité, le monopole des puissants, etc. Donc le fait de m’être senti comme un outsider pendant mes études m’a permis de mieux appréhender ce genre de situations, d’en saisir les tenants et les aboutissants ». (Skin Deep). Alors âgé de 23 ans, Riz Ahmed est prêt à plonger dans le grand bain du showbiz britannique, où il fait une entrée fracassante au cinéma mais aussi dans la sphère du rap anglais.

Post 9/11 Blues

2006. Riz Ahmed fait ses débuts sur grand écran dans Sur la route de Guatanamo, un film de Michael Winterbottom, docudrama inspiré de l’histoire vraie des Tipton Three, trois amis britanniques d’origine pakistanaise ayant été arrêtés en Afghanistan peu après les attentats du World Trade Center avant d’être extradés à Cuba et retenus prisonniers à Guatanamo par le gouvernement américain sur soupçons de terrorisme. Ironie du sort, l’acteur, après avoir présenté son film au festival de Berlin, est retenu à l’aéroport de Luton où il subit une fouille approfondie. Il avouera plus tard sur le plateau de Steven Colbert rencontrer le même style de soucis sur le sol américain : « Le fait est que j’ai pas mal de problèmes quand je prends l’avion. Je dois me plier à des fouilles secondaires à chaque fois que je viens aux Etats-Unis ». Il revient d’ailleurs sur ces expériences déplaisantes dans une chanson intitulée Terminal 5.

« Si vous me dîtes que mon travail est symptomatique d’un syndrome post 11 septembre, j’ai envie de vous répondre que c’est normal, que c’est naturel que la société veuille raconter des histoires qui traitent de ce sujet car c’est un traumatisme collectif sur lequel nous faisons une fixation, à raison. Alors oui, je suis fier d’avoir contribué à raconter ces histoires tout y ayant ajouté de la nuance et de la complexité ». Riz Ahmed pour The Guardian

Lorsqu’on l’interroge sur ses choix et ses orientations de carrière, Ahmed se défend de toute obsession, de tout militantisme. Pourtant, force est de constater que sa filmographie témoigne du contraire. Très touché par les attentats et le basculement de la condition des musulmans après cette tragédie, l’acteur s’est rapidement emparé des faits au cinéma. S’il joue des victimes du système judiciaire et de l’opinion publique dans Sur la Route de Guatanamo, L’intégriste malgré lui ou The Night Of, il adopte parfois un positionnement plus ambigu en montrant le malaise d’une société toute entière face à une incompréhension et une hostilité galopante envers les minorités asiatiques. Il figure par exemple au générique de la mini série The Path to 9/11, qui revenait sur les attentats de New-York en 1993 et sur les événements ayant mené au 11 septembre ; et joue dans Britz, une série anglaise qui explorait le malaise et les difficultés d’intégration chez les jeunes anglais d’origine pakistanaise qui se retournent contre le Royaume-Uni en perpétrant des attentats (bombardements de Londres en 2005, etc).

Sa première chanson, « The Post 9/11 blues » sortie en 2006 et d’abord censurée sur les radios britanniques, parle également du 11 septembre et de son impact sur les populations et les mentalités, sur un ton acerbe et caustique. A son sujet, Riz MC déclare : « C’est une satire qui témoigne d’un constat et qui dénonce le cirque quasi-irréel que le climat de peur démesuré a engendré à l’époque. C’est un texte générationnel ». C’est d’ailleurs grâce à ce titre politiquement incorrect qu’il est repéré par Chris Morris, le réalisateur de We Are Four Lions, film parodique dans lequel il campe un terroriste loser gaffeur. Le comédien semble satisfait du résultat -hautement comique- puisqu’il affirme : « En réalité, j’aimerais bien faire davantage de comédies. Cela s’accorde bien avec mon goût personnel. On va plus directement au but, on peut plus facilement prendre des risques, car il y a quelque chose de très désarmant dans le rire, qui permet de faire passer des messages de fond plus aisément ». (Skin Deep)

Clip vidéo de The Post 9/11 Blues

Si le Septième Art offre la possibilité à Riz Ahmed de s’ériger contre un état des lieux qu’il déplore, il utilise surtout la chanson comme moyen de dédramatiser et d’analyser avec une distance amusée et une grande liberté de ton le climat de paranoïa latent qui s’est immiscé dans les mentalités depuis les attentats. En mai 2016, il signe l’album Englistan, travail très personnel sur lequel on peut entendre son père chanter, et dans lequel il revendique une fois de plus ses origines tout en mettant en avant son appartenance au Royaume-Uni, en prônant le mélange des cultures, l’acceptation et la tolérance. Dans son combat, il peut s’appuyer sur d’autres figures de la scène musicale engagée comme ses amis Redinho ou Heems, avec qui il a fondé le groupe de rap Swet Shop Boys, ou encore Ben Drew AKA Plan B, un chanteur acteur réalisateur anglais avec qui Ahmed collabore très souvent. On peut le voir apparaître, aux côtés de Tom Hardy et bien d’autres, dans le clip Sour Times, où Riz MC se désole de voir sa religion stigmatisée et diabolisée dans une Angleterre au climat délétère.

On l’aura compris, Riz Ahmed est un citoyen du monde qui n’a pas peur de s’insurger, de montrer la voix et d’exprimer son opinion en toutes occasions sur de multiples sujets. Très actif sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter), il exerce une parole non-muselée et parle sans tabou du Brexit, du mouvement Occupy, de la récente élection de Trump ou même des écoutes globalisées orchestrées par la CIA, problème qu’il pointe du doigt grâce à son rôle dans Jason Bourne : « Je soutiens vraiment la démarche militante d’Edward Snowden et Gleen Greenwald. L’écoute de masse, c’est la construction d’un outil de totalitarisme social qui peut paraître terrifiant » (The Guardian). Mais cet activisme enragé ne l’empêche pas de mener sa carrière de comédien avec éclectisme, puisque celui qui jouait il n’y a encore pas longtemps des petits dealers de rue dans des productions indépendantes comme Shifty ou Ill Manors gravit désormais les échelons d’Hollywood avec assurance et panache.

« Finally you get to stage three »

Si Riz Ahmed jouit déjà d’une notoriété solide dans son pays, où il a été nommé trois fois dans la catégorie meilleur acteur aux British Independant Film Awards, il était encore parfaitement inconnu aux Etats-Unis il y a quelques années. C’est avec son rôle très remarqué dans le thriller Night Call que l’acteur commence à se faire un nom en dehors des frontières britanniques : dans ce film, il campe un jeune journaliste fauché confronté à d’importants problèmes éthiques dans un Los Angeles glaçant et crépusculaire, prestation pénétrante qui lui vaut de remporter le Shooting Star Award lors de la 62ème Berlinale en 2012. Pour Ahmed, cette première grande incursion dans l’industrie hollywoodienne marque le début d’une belle ascension que l’acteur compte poursuivre, d’autant que selon lui, l’Amérique offre bien plus d’opportunités aux comédiens étrangers. Il explique en effet, lors d’une interview accordée à la chaîne de radio anglaise 1Xtra, comment il cherche à lutter contre le « type-cast », pratique qui consiste à mettre les acteurs dans des cases en fonction des stéréotypes inhérents à leur appartenance ethnique : « Selon moi, cette lutte se mène en trois étapes. Phase un : on accepte le stéréotype. Par exemple, si on est comme moi, originaire d’Asie orientale, on joue un épicier, un chauffeur de taxi terroriste, etc. Ok. Mais on part de là pour basculer vers la phase deux : on retourne le cliché, on le renverse. On commence à raconter l’histoire du point de vue du prétendu terroriste, on change d’optique, on incite à la remise en question des clichés. Et puis enfin, phase ultime, la phase trois : on devient juste un mec ordinaire, peu importe la couleur de notre peau. Et pour être honnête, j’ai le sentiment que les Etats-Unis sont bien plus préparés à embrasser ce changement que le Royaume-Uni. Mais ce n’est pas grave, je vais aller en Amérique, je vais faire des films, et puis je reviendrai ici ».

Alors oui, Riz Ahmed a traversé l’Atlantique, et si par le passé, il a méticuleusement mis en pratique sa phase deux en prêtant ses traits à des personnages éduqués et instruits pour se battre contre les idées reçues liées à la population pakistanaise et arabe en général (un étudiant en médecine et futur agent du MI5 dans Britz, un homme d’affaires dans Trishna, un trader talentueux dans L’intégriste malgré lui, un ingénieur philanthrope dans Jason Bourne, un étudiant brillant dans The Night Of ), il semblerait qu’Ahmed soit en passe de mettre le turbo pour atteindre la phase trois avec son personnage de Bodhi Rook dans Rogue-One : A Star Wars Story.

« C’est différent des autres Star Wars. C’est très immersif, c’est un film très ancré sur le terrain, presque guerrier. Parfois, on tournait des scènes très intenses sans prendre de pause, et on recommençait,encore, encore et encore, sans s’arrêter. On n’avait même pas le temps d’aller aux toilettes entre les prises! » (Riz Ahmed dans le Late Show de Steven Colbert)

Nouvelle coqueluche des plateaux télé américains, celui qui se fait surnommer « Naz » dans la rue depuis son rôle dans The Night Of revient sur la façon dont il s’est préparé pour participer à ce projet  hors du commun qui lui a ouvert les portes du succès mondial. Et s’il s’amuse à dire qu’il n’avait presque jamais entendu parler du network HBO avant de recevoir le script de la mini-série de Richard Price et Steven Zaillian, Riz Ahmed a en réalité pris son travail très à coeur en s’identifiant un maximum au héros, ce qui n’a parfois pas été très difficile puisque Nasir Khan est persécuté par un système qui le désigne comme le coupable idéal, sentiment que l’acteur connaît bien. Autre détail important : l’accent. Le comédien a tenu à gommer le sien pour prendre celui de son personnage pendant toute la durée du tournage, à tel point que certains membres de l’équipe ignoraient qu’il était anglais ! Véritable caméléon et très malléable, celui qui se targue d’avoir un grand sens de l’observation entretient un rapport étrange aux accents, comme il l’explique à Steven Colbert : « J’ai une façon bizarre de gérer les accents. Dès que je commence un nouveau job, que je mets le pied dans la ville où je vais travailler, je prends l’accent du coin. Et je le garde pendant toute la durée du tournage ». Si le langage et la manière de s’exprimer sont des paramètres très importants dans le travail de vraisemblance et de crédibilité que s’évertue à effectuer Riz Ahmed, d’autres détails cruciaux sont à prendre en compte, comme l’aspect physique. Là encore, l’interprète affirme s’être adapté aux mutations morphologiques de son personnage : « Lorsque Naz était en prison, j’ai fait de la musculation sans relâche pour m’épaissir ; et lorsqu’il a commencé à fumer de l’héroïne, je me suis affamé pour avoir l’air décharné ». (GQ)

L’acteur, qui fait l’objet d’une attention grandissante aux Etats-Unis, ne se considère pas pour autant comme une star et s’amuse de son nouveau statut de vedette en déclarant : « Comme on dit chez nous, on attend le bus une heure puis il y en a trois d’affilée qui arrivent ! J’imagine qu’on pourrait appliquer ce proverbe à ma carrière, mais au fond, je ne le ressens pas ainsi. Je travaille sur des projets indépendants depuis des années, donc pour moi, c’est n’est pas comme si c’était arrivé du jour au lendemain ». Toujours est-il que celui qui fait désormais la une des tabloïds un peu partout risque de voir sa côte de popularité grimper en flèche avec la sortie imminente de Rogue One, blockbuster éclairé auquel il est très fier d’avoir participé, comme il l’explique lors de la cérémonie des BAFTA : « Je trouve ça vraiment cool que Star Wars ouvre la voix en matière de diversité, honnêtement. Entre John Boyega, Oscar Isaac, Diego Luna ou même Felicity Jones qui a un rôle féminin de grande envergure, les lignes bougent, les standards évoluent et se claquent sur la société dans laquelle on vit ».

Pour conclure, Riz Ahmed, trublion du rap et acteur polymorphe, se distingue avant tout par son engagement politique et social farouche qui s’exprime à travers ses choix cinématographiques, ses chansons, mais aussi ses apparitions publiques et ses prises de position sur les réseaux sociaux. Reste à savoir si cette star naissante, qui porte en elle tous les stigmates post-11 septembre, va enfin parvenir à se détacher de ce trauma collectif pour se forger une carrière à la mesure de ses ambitions cosmopolites et éclectiques.

Bande-annonce de The Night Of

Redactrice LeMagduCiné