La section « Format Court » de Séries Mania 2018 propose une sélection d’œuvres courtes (surtout pour le web) qui compensent leurs moyens réduits par une certaine liberté artistique. Cette séance nous aura permis de découvrir Oslo Zoo (Norvège) sur un universitaire uberisé et Rabih TV (Liban), sorte de C’est arrivé près de chez vous venu du Moyen-Orient.
Oslo Zoo : Anthropologue à moteur
Une série norvégienne d’Oyvind Holtmon diffusée sur NRK, avec Amir Asgharnejad, Eline Grødal et Henrik Fladseth
Synopsis : Amir, 30 ans, vit avec Charlotte qui commence à se lasser d’avoir à lui prêter de l’argent tandis qu’il lutte pour trouver un travail épanouissant malgré tous ses diplômes. Pour sauver leur couple, il prétend avoir trouvé un poste prestigieux à l’université, alors qu’il essaye désespérément de gagner de l’argent en tant que chauffeur Uber.
Venue tout droit de Norvège, Oslo Zoo est, selon son créateur, très inspirée par les séries Master of None et Atlanta. Il est vrai que le héros, Amir, partage la même pilosité faciale que ces nouveaux personnages vaguement paumés des sitcoms d’auteur récentes. On y retrouve également ce regard décalé avec le réel qui rend les situations les plus inconfortables comiques.
Durant six épisodes de quinze minutes, Amir tente de joindre les deux bouts en conduisant diverses personnes au travers de la capitale norvégienne, tout en mentant à sa copine qui croit qu’il a enfin obtenu le travail de ses rêves à l’université. Les rencontres les plus farfelues s’enchaînent (une clientèle différente par épisode). Un enterrement de jeune fille foireux et un père et sa fille en conflits sont ceux que nous avons pu découvrir.
Dans la veine typique de l’humour scandinave froid (dont la récente palme d’Or The Square est l’un des représentants), les situations s’enchaînent avec un sens du timing comique assez efficace et une finesse d’écriture qui fait plaisir à voir (certains moments répondent directement à une réplique lancée plus tôt dans un contexte différent). Par exemple une ancienne connaissance passera le premier épisode à s’excuser d’avoir loupé l’enterrement du personnage, alors que celui-ci est bien vivant en face de lui. Les coutures craquent mais n’explosent jamais vraiment, laissant toujours le malaise en suspens.
On reprochera juste à la série de ne pas vraiment prendre acte de la fonction d’anthropologue du personnage principal (celui-ci ne cesse de répéter qu’il a un diplôme de sociologie). Amir subit les frasques de ses clients plus qu’il ne les analyse. Il en résulte des épisodes qui peinent parfois à se focaliser sur un sujet (la vie du héros ou l’absurdité du client). Comme son personnage, Oslo Zoo tente de joindre les deux bouts, avec quelques difficultés. Reste tout de même une écriture comique fine, donc au final une bonne surprise.
Rabih TV : C’est arrivé près de chez eux
Une série libnaise de Mohammed A. Berro diffusée sur LBC, avec Said Serhan, Mohamad Safa, Nour Maghoot, Nicolas Cardahi
Synopsis : À bord d’une BMW noire, Rabih et son équipe de tournage documentent la violence dans les rues de Beyrouth. Filmer pour dénoncer ou pour assouvir ses propres pulsions malsaines ? Celui qui tient la caméra a le pouvoir et, plus vite qu’ils ne le croient, les prétendus justiciers vont dépasser les limites de leur propre moralité.
Osons le dire, Rabih TV est probablement la première « claque » de ce festival. En tout cas la première série (toutes catégories confondues) qui semble vouloir véritablement sortir des sentiers battus. Le postulat, exposé dès le premier épisode, n’est pas sans rappeler le film culte C’est arrivé près de chez vous : pour le tournage d’un documentaire voulant dénoncer la violence des quartiers chauds de Beyrouth, un réalisateur et son équipe n’hésitent pas a créer de toute pièce un véritable tueur en série.
Mais la comparaison s’arrête finalement là. Dans C’est arrivé… le personnage de Benoît Poelvoorde dominait la caméra et entraînait une équipe de tournage un peu naïve dans son univers. Ici, on ne sait pas trop qui pousse l’autre. Le fameux Rabih a déjà des pulsions violentes, mais son ami réalisateur semble vouloir l’emmener plus loin. Les autres membres n’hésitent pas non plus à faire des suggestions sur la meilleure façon de tuer. Là réside l’ambiguïté : dans l’origine de la violence. Les autres personnages que croisera l’équipe ne seront pas des anges non plus, et l’on en vient à espérer qu’ils se fassent trucider à leur tour. L’effet de réel produit par les caméra épaule, les perches dans le champs, et les apartés de l’équipe auto-satisfaite en rajoute une couche dans le malaise.
Violente, cynique et profondément ironique, Rabih TV est la représentation de l’œuvre coup de poing qui ne peut laisser indifférent. Une série qui porte un regard cru sur la violence de son pays… mais aussi celle du monde entier, avec une imagerie punk et une philosophie nihiliste. Notre seul regret étant la provenance lointaine qui rend incertaine la diffusion de la suite chez nous.