Séries Mania : Table ronde sur la place des réalisateurs dans les séries avec Bobby Roth, Cathy Verney, Per-Olav Sorensen, Ulrika Bengts, et Rodolphe Tissot.
Le vendredi 22 avril 2016 au festival Séries Mania, CineSériesMag s’est rendu à la table ronde intitulée Quelle place pour les réalisateurs dans les séries ?, animée par Marianne Behart avec Cathy Verney, journaliste et créatrice de Hard, réalisatrice sur la saison 6 de Fais pas ci fais pas ça, Per-Olav Sorensen, créateur et réalisateur de Nobel ; Ulrika Bengts créatrice et réalisatrice de Lola Upside Down, Rodolphe Tissot, un des 4 co-créateurs et réalisateur sur la série sur Arte Ainsi soit-il ; Bobby Roth, réalisateur Prison Break, Lost ou encore Numbers.
En quoi consiste mettre des images sur une œuvre non créée ? Quelle est la place d’un réalisateur guest ?
C. Verney : « Normalement je suis scénariste, créatrice… Pour la première fois, sur Fais pas ci fais pas ça, j’ai pas écrit du tout… C’est un exercice complètement différent, les acteurs sont déjà choisis… Le ton a déjà été établi et confirmé au fur et à mesure des saisons… Il faut prendre en compte les histoires et intrigues développées. Il faut respecter les règles de la série. Par exemple, pour Fais pas ci fais pas ça, il faut garder l’équilibre des familles… Et respecter le texte écrit par d’autres auteurs. Ça s’est très bien passé car les auteurs avaient envie de partager avec moi. Il y a des réécritures de séquences ensemble, j’ai fait des propositions… Il y avait un échange. Ensuite tout ce qui est décor, costume, ça existe depuis le début, il faut le respecter mais on peut y mettre sa touche. Et finalement ceux qui tiennent la série ce sont les acteurs, ce sont ceux qui la connaissent le mieux. Et les garants sont les producteurs et les acteurs. Le secret pour un réalisateur c’est d’arriver en amont et de pouvoir avoir le temps d’échanger et mettre l’ensemble en place. »
B. Roth : « Je pense que vous devez trouver le show… Quand vous venez sur un show après son début, comme pour Lost, (…) le truc est d’être un chef et un invité. Sur Numbers, la façon dont ils tournaient le show, la façon dont ils s’habillaient, ça n’était pas mon goût personnel… Sur Lost oui, je suis revenu.
U. Bengts : « Je n’ai jamais été un réalisateur invité. (…) Je pense que j’ai le même rôle que lorsque je crée. Quand j’entre sur un projet, je prends toutes les responsabilités, je travaille toujours avec mes monteurs. Je travaille toujours sur un projet depuis son début. »
Accepteriez-vous de rentrer sur un épisode ou deux ?
U. Bengts : « Je devrais dire oui, je pense que ça devrait être très intéressant, je ne sais pas comment ça marcherait, mais je pense que ça serait assez intéressant… Oui, juste engagez-moi et on verra ».
R. Tissot : « Avant Ainsi soit il j’avais déjà réalisé pour France 3. Je n’avais pas la direction artistique on va dire du projet. J’étais un réalisateur qui devais suivre des lignes. Sur Ainsi soit il, j’étais directeur artistique et j’ai eu des réalisateurs qui devaient suivre ma ligne. (…) dans les deux cas, des choses se recoupent. La place du réalisateur-invité dépend de celle qu’on lui donne et varie à chaque projet. Si on a des réalisateurs invités, ce n’est pas juste pour le plaisir de les faire venir. Les créateurs n’ont pas le temps de tout réaliser. Ils font le lien des gens, mais il reste toujours un espace de liberté. Peut-être que ça va être sur le décor, peut-être que ça va être sur le casting… Là où on nous dit rien, on la prend, la place. Souvent sur le découpage, il y a une ligne générale un peu à tenir, mais on n’a jamais storyboardé pour dire : « on tourne ça ». (…) Dans l’ensemble on a quand même un petit espace de liberté. Dans un cas comme dans l’autre, le plus délicat est le montage. (…) C’est vrai que là, quand le film prend forme, soit quand on a la direction artistique et qu’on a des réalisateurs qui respectent ce qu’on veut c’est compliqué, soit on doit suivre des lignes et on prend des libertés… »
P-O. Sorensen : « Je ne sais pas, je suis toujours investi du début du projet à la fin. Je dirais oui (…) car c’est le job. Si je ne l’écris pas, je dois rentrer dans la tête du réalisateur. (…) Je dois connaître tous les petits détails, tous les enjeux. Nous n’avons pas le budget américain, c’est donc très compliqué de construire ça… »
Sur le rôle de l’auteur total : comment vit-on le conflit interne entre le soi scénariste et le soi réalisateur qui sont des fois traversés par des défis contradictoires ?
C. Verney : « je ne sais pas si c’est un conflit… De savoir que c’est moi qui va être sur le plateau pour diriger les acteurs aller où je veux. Je sais tellement ce que je veux obtenir donc j’ai une plume qui est plus libre. (…) Je suis rassurée car je sais que je le dirai avec mes mots aux acteurs, au chef op à toute l’équipe, du coup je suis plus libre. Je suis rassurée de ça, je m’autorise plus de trucs, à être un peu débile, osée, je me freine moins, je me regarde moins, plus comme un enfant qui n’a pas les parents derrière… Je me dis que je l’expliquerai au producteur, à tout le monde et j’y vais. »
Avec Hard, vous avez connu une contrainte budgétaire très forte ? À la télévision française de manière générale, on connait d’importantes contraintes budgétaires ?
C. Verney : « J’essaie de ne pas penser à l’argent trop vite, je pense d’abord à l’histoire, puis je me rends compte que c’est trop long, trop… C’est de la cuisine… Je ne me le mets pas dans la tête tout de suite, je le fais en général dans un deuxième temps. Et je trouve ça plus facile sachant que derrière je vais réaliser et c’est moi qui choisis les priorités. (…) J’ai le sens des priorités pour mon récit. Si ce n’est pas moi la réalisatrice, je sais très bien que cette scène là sera retournée en une heure. Une scène gratuite peut être essentielle, et inversement (…) »
Sur les compétences ? Déjà arrivé de réaliser ce qu’il a déjà écrit ?
B. Roth : « J’ai démarré scénariste/réalisateur. Je pense que c’est un travail différent de réaliser ce qu’on n’a pas écrit. A la télévision nous devons travailler de manière très efficace. Les scénaristes imaginent l’image, ils l’ont dans la tête et ça peut être un problème. Je pense que c’est deux jobs différents que de réaliser ses propres scripts et de tourner ceux d’autres.»
U. Bengts : « Je ne suis pas seulement en train d’écrire, je créé les acteurs, j’imagine les décors, ce qui sera la photographie… C’est beaucoup de temps, c’est un long processus. Mais ça m’aide en tant que réalisateur, quand j’arrive sur le plateau, je la connais par cœur, je l’ai dans la peau. Mais quand vous lisez un script, vous l’imaginez, puis quand vous arrivez sur le plateau qu’il pleut, que vous avez tous ces problèmes c’est très bien d’avoir une équipe qui (…) élève vos pensées. Le réalisateur pourrait penser que la scénariste est la déesse, mais on travaille ensemble, on le fait ensemble. Sinon ça pourrait impacter le projet. »
R. Tissot : « J’ai adoré réaliser quelque chose que je n’avais pas écrit. (…) Avec les (autres réalisateurs-créateurs), on voulait la même chose. (…) Je connaissais les textes comme si je les avais écrits moi-même. Peut-être qu’il y a quelque chose de plus intime, de soi (…) c’est normal, mais j’ai l’impression d’avoir le même plaisir. »
P-O. Sorensen : « Le projet a besoin de se réaliser de différentes façons. L’histoire a besoin de différentes touches, goûts. (…) Le réalisateur ouvre la porte pour tels acteurs, il peut anticiper, les guider. Il faut être aussi pragmatique que possible. (…) Donc pour moi c’est trois jobs, donc je dois essayer de rester aussi concentré que je le peux pour (…) l’histoire. »
Le scénario la partie la plus compliquée du travail ?
C. Verney : « Oui je pense que c’est plus compliqué d’écrire une bonne série que de la réaliser. (…) il faut des co-auteurs, mais il faut une vision. (…) Et il faut essayer de la garder sur le plateau. (…) plus une histoire viendra d’un désir très fort, (et non d’un groupe) plus elle touchera la personne. (…) Je crois beaucoup au collectif pour une seule vision. »
B. Roth : « Oui je dois dira ça, quand vous restez avec un script blanc, c’est la merde. (…) Je pense les scénaristes ont ce don, ils doivent avoir la capacité de toucher les gens. »
Donc pour résumer, les scénaristes doivent donner le meilleur de soi pour toucher les gens.
C. Verney : « L’écriture est difficile, (alors que) sur un plateau, tout se règle ».
U. Bengts : « Écrire c’est l’enfer. (…) Mais la bonne chose dans l’écriture, c’est que vous avez le temps (…) Une journée de tournage est comme un festival, j’adore être sur le plateau, c’est la meilleure partie pour moi. Je n’aime pas la pré-production, c’est marcher… se demander : « aurai-je le job ou non ? »…
R. Tissot : « Je conçois que c’est une étape la plus douloureuse (…) je sais que c’est une étape compliquée, douloureuse, et incertaine. (…) J’ai eu une expérience différente sur Ainsi Soit-il, il n’y a jamais eu personne pour porter une vision. Le producteur nous mettait en garde, d’effroi quand qu’on s’éloignait d’une certaine vision. Il y avait un couple d’auteurs, (…) et il y avait moi qui arrivais comme vision. (…) C’est pour ça qu’on décrit notre expérience de showrunning à quatre têtes. (…) C’est l’addition de nos visions intimes sur nos séries ».
Sur cette longue souffrance de l’auteur qui marche dans la lande, qui a envie de jeter son ordi…
P-O. Sorensen : « C’est là, mais ce n’est pas là, on doit le filmer, différents réalisateurs le feraient de manière différente, ça coûterait autrement… Les réalisateurs sont différents. (…) Je pense vraiment que le talent a besoin d’être là. (…) ça doit faire partie de votre machinerie, de votre respiration, ça a besoin de faire partie de vous, car le plateau est grand, et vous avez quatre cents questions par jour et c’est difficile. Si vous n’avez pas d’ambition (…), c’est terminé. Donc je suis là, je ne réalise pas juste
B. Roth : « Quand vous êtes sur le plateau et que plein de choses se passent, vous n’êtes pas dans la writer’s room, tout se passe vite, je pense que vous écrivez en réalisant… Le directeur de la photographie, les acteurs, le réalisateur doivent avoir une certaine intensité. (…) Je suis sûr que certains (…) pensent pouvoir réaliser, mais ils n’en sont pas capables. »
P-O. Sorensen : « C’est un travail (…) c’est amusant, mais c’est un travail, et tout va très vite. »
R. Tissot : « je crois aussi à la solitude du réalisateur (…) par exemple sur Ainsi soit-il j’avais des messes à filmer… On peut s’apercevoir au tournage qu’une scène écrite ne fonctionne pas, qu’une scène ne décolle pas. Si vous avez choisi un comédien qui vous pourrit le dialogue, c’est vous le responsable. (…) il y a une question d’écriture créative et tout le monde vous regarde. »
Une génération a appris à écrire en regardant la télévision, est-ce qu’on apprend à réaliser en regardant la télévision ?
C. Verney : « La réalisation c’est une deuxième écriture, et le montage une troisième. (…) Le réalisateur est une espèce de guide d’acteurs. (…) Je crois beaucoup à la magie du moment, et celles que j’ai préférées ce n’était pas celles écrites. (…) Non, je pense qu’on n’apprend pas en regardant mais en faisant. J’ai appris à réaliser au théâtre. (…) Après il y a le découpage, rendre ça en image, ça oui on l’apprend plus en regardant des films, mais la mise en scène de l’acteur, j’ai appris ça au théâtre (…) »
B. Roth : « Tout ce que vous voulez, les intrigues… Il y a une vision. Il y a tellement de façons de filmer… Tout revient à vos choix, c’est une mentalité. (…) si vous tentez de surdigérer les acteurs, ça n’ira pas, l’idée est d’avoir confiance en les autres… »
Qu’avez-vous appris depuis le début ?
B. Roth : « Tout. Tous les shows que j’ai faits (…) j’ai appris quelque chose, vous travaillez aussi avec d’autres personnes qui vous apprennent (…) J’ai aussi appris à écouter.. Vous devez vous ouvrir et écouter (…) Si vous avez trop en tête, vous foutez en l’air le show. (…) Je veux être capable d’amener tous les gens ensemble et de travailler avec. »
P-O. Sorensen : « Amen »
R. Tissot : « Oui bien sûr… On apprend en faisant. Je pense qu’on a à apprendre de choses en regardant des séries. (…) Ça peut nous aider sur le plateau (…) Ce que j’ai appris en regardant les séries et en en aimant (…), ce que j’ai découvert, c’est à quel point finalement, le plus important, 90/100, ça va être le personnage et point barre. (…) Si on rate ça, la série sera ratée, même avec tout le talent de réalisateur qu’on peut avoir. (…) Ce que j’ai appris c’est que tout se jouait là dessus et ce que j’essaye d’avoir en tête quand je réalise. »
P-O. Sorensen : « N’y allez pas en sécurité, n’y allez pas confiant (…) (Puis les Soprano sont venus, avant ça n’était pas ça mais) Je pense que beaucoup étaient courageux. (…) Aujourd’hui c’est une place différente de ce qu’il y avait il y a dix ans maintenant ».
Puis il y eut une intervention de Charlotte Blum pour présenter sa série documentaire sur les showrunners des séries américaines. Il sera construit en six portraits. Elle a choisi des réalisateurs, des réalisateurs producteurs, ou encore des personnes « au service de ». Son film présentera leurs outils de travail, leurs parcours professionnel mais aussi de vie. . S’en est suivie la projection du teaser de The Art of Télévision : les réalisateurs de Série, série documentaire qui sera diffusée sur OCS l’année prochaine. La séance a ensuite repris son cours avec cinq questions du public.
Réaliser un long métrage est-ce bien différent ? On sait que le temps est déjà une sacrée différence.
C. Verney : « C’est différent de réaliser un long métrage. » (Elle explique le temps : Cinéma 1 min par jour ; télévision : 4 min par jour) « On n’a pas du tout le même temps »
B. Roth : « Je pense que quand on fait un film on met l’équipe tous ensemble, on choisit le directeur de la photo, le casting… à la télé, ils sont déjà castés avant moi. Le temps est presque le même, quand on fait un film indépendant, c’est le même temps. Mais pour moi, mettre l’équipe tous ensemble (…), c’est une sacrée différence. »
C. Verney : « on créé une série on peut choisir tout le monde »
P-O. Sorensen : « je choisis toujours mon équipe (…) ce sont les mêmes gens (…) je suis tellement chanceux d’être en Norvège où je choisis mon équipe tout le temps. »
R. Tissot : « J’ai pas fait de long métrage pour le cinéma mais j’ai fait unitaire pour Arte (…) j’ai plutôt l’impression de l’avoir fait comme un film de cinéma fauché. Je ne sens pas une vraie différence (…) Après il y a effectivement deux petites différences, j’en vois deux (…) vous n’avez pas fondamentalement besoin qu’un spectateur s’attache à un personnage sur les 1h30 à l’inverse d’une série et il y a une autre différence : le réalisateur de cinéma ne peut pas tout faire sur une série. Donc c’est vraie que la série est un travail collaboratif, ne serait-ce que pour cette raison de temps. »
Cette nouveauté de voir des grands cinéastes démarrer une série et lancer une marque, pouvez-vous en parler ?
Quand on est réalisateur-invité, est-ce qu’il y a d’autres personnes qui peuvent bouger ?
B. Roth : « Souvent vous êtes le seul qui vient d’arriver. (…) J’ai le même montage depuis 18 films. (…) J’aime vraiment le fait d’aller d’un show à un autre. (…) Quand vous arrivez sur un show, vous devez le comprendre, l’apprendre, rien que retenir les noms des gens ! (…) Vous avez sept jours pour tourner et apprendre qui sont les gens. Si vous ne faites que vos propres shows, vous serez limités, (…) parce-que vous ne vous exposez pas ».
C. Verney : « Pour la question de Scorcese, (…) c’est bien, car il a imprimé sa vision et les autres arrivent et se fondent dans sa empreinte. »
Sur la monstration de scènes, refus des réalisateurs ?
Cathy Verney a déjà refusé de filmer un accouchement live : « Je ne l’ai pas pris en traître, je l’ai prévenu, mais je refusais de filmer ça. »
P-O. Sorensen : « Ce n’est pas à propos de goûts ou de ce que les gens ont du mal à voir, c’est hors de propos, il faut le montrer, c’est ce qu’est le monde. »
Ce fut alors la fin de la table ronde.