Les pérégrinations d’un reporter au FEFFS 2015 : Au programme des films en compétitions Der Bunker, Crumbs et le Midnight Movies Ava’s Possession.
Après avoir malheureusement loupé la prestigieuse Zombie Walk de Strasbourg, sans compter une Masterclass cinq étoiles avec Joe Dante, cinéaste visionnaire du cinéma fantastique et invité d’honneur au Festival Fantastique de Strasbourg 2015, je pose enfin le pied sur cette bonne et si chaleureuse terre strasbourgeoise. Certes, la pluie rend cette première journée plus que morose, mais je compte bien me ressourcer en visionnant quelques films qui font le bonheur des festivals et spectateurs du cinéma de genre depuis quelques mois. Et puis, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, il ne fallait surtout pas rater la tant-attendue séance en plein air qui verra les Gremlins être projeté sur la Place de la Cathédrale. Ô joie ! Le temps d’avaler une salade, un café, de récupérer mes badges d’accréditations par une bénévole plus que sympathique (déjà croisée l’an passé) et c’est parti pour la huitième édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg !
[EN COMPÉTITION] Emelie
Réalisé par Michael Thelin (Etats-Unis, 2015). Date de sortie prochainement annoncée.
Synopsis : Le soir de leur treizième anniversaire de mariage, Dan et Joyce attendent la baby-sitter supposée garder leurs trois enfants. Une autre jeune fille vient la remplacer. Mais sous des airs angéliques, Emelie s’avère dangereusement perverse.
Depuis Neuchâtel et Deauville, Emelie se trimbale une réputation catastrophique. Les retours sont unanimement mauvais sur ce qui devait être le renouveau du « Baby sitter movie ». Pourtant tout commençait avec les meilleurs intentions, et un plan nous rappelait même le terrifiant It Follows sorti en début d’année. La scène d’enlèvement est haletante, silencieuse, la caméra tourne sur elle-même et donne déjà toutes les intentions d’un film qui n’entend pas jouer la carte du mystère. On se met à croire au potentiel de ce film jusqu’à ce que la tâche de baby-sitting entre enfin en ligne de compte. La mise en scène devient dès lors paresseuse n’offrant que quelques rares plans corrects, du moins ne se contentant pas de ressembler à une sitcom des années 90. Entre classicisme digne d’une série télévisée et néo-réalisme, on se demande où veut bien en venir Michael Thelin. Et c’est dommage, car à côté de ça, les acteurs sont passables (hormis les parents) et le potentiel des enfants est exploité à fond. On croit à leur fratrie et ça tendrait presque à nous rassurer sur le dénouement du film. L’immersion est là, la tension s’avère excitante par moment, mais jamais le réalisateur ne nous saisira complètement. Car Emelie s’avère extrêmement inabouti sur la forme narrative, le réalisateur ne sachant jamais sur quel pied danser. Laisser une part de mystère ou dévoiler toutes les intentions de l’antagoniste principale ? Il choisira la pire option, faisant appel à quelques flashbacks déplacés et honteux. C’est aussi ça le problème d’Emelie, le manque de développement de ses personnages. On nous suspend, par le biais d’une séquence surprenante, à l’adultère du père de famille, mais jamais plus le réalisateur n’y reviendra. Quel est donc l’intérêt d’une telle scène si c’est seulement pour l’effleurer ? Pire l’antagoniste se révélera extrêmement fade, ne proposant qu’une pâle caricature d’une mère revancharde et déçue de la vie. Tristesse. C’est sans compter les scènes d’action extrêmement mal branlées (passez-moi l’expression) dont on ne croit pas une seule seconde et qui manquent cruellement de rythme. A croire que tout a été tourné en une prise. Je me permets même de vous spoiler la fin tant je ne vous le recommande pas. Car le réalisateur a la prétention de croire qu’il est en train d’écrire un film majeur, nous offrant une conclusion ouverte et dispensable, laissant (dés)espérer une ou plusieurs suites au film. C’est grotesque, incohérent, complètement raté et hautement prétentieux. Tout ce qu’il faut éviter dans le cinéma. Comme les deux précédents festivals cités, on s’interroge sur le pourquoi d’une sélection en compétition. J’irais jusqu’à parier qu’il y a des pots de vin derrière tout ça. Quoiqu’il en soit, j’espère juste que le baby-sitting n’est pas autant une corvée que ce film ne l’a été.
Note de la rédaction : ★★☆☆☆
[EN COMPÉTITION] Der Bunker
Réalisé par Nikias Chryssos (Allemagne, 2015). Date de sortie prochainement annoncée.
Synopsis : Un étudiant ambitieux recherche le calme et la solitude pour se focaliser sur son travail. Il se retrouve dans une résidence ressemblant à un bunker, habité par un couple qui scolarise leur fils Klaus à la maison. Le couple lui demande alors de s’occuper de l’éducation de Klaus qui se révèle avoir de grosses difficultés pour assimiler les leçons qui lui sont dispensées dans ce cadre familial plutôt déstabilisant.
A l’inverse du précédent film visionné, Der Bunker a été particulièrement remarqué dans les récents festivals fantastiques, où il a notamment reçu le Prix du Jury et celui de la Critique au Festival Mauvais Genre. De quoi susciter toute ma curiosité, le film offre une affiche toute particulière avec une ambiance et un univers qui ne pourront que me bousculer. C’est le premier long-métrage du grecquo-germanique Nikia Chryssos et force est de reconnaître qu’il fait preuve d’une maîtrise visuelle imparable. Chaque cadre est travaillé avec une telle géométrie et des couleurs vives et acidulées. Budget modeste, mais des décors joyeusement singuliers, de par la profusion d’accessoires, renvoyant à une époque des Trente Glorieuses désormais révolue. Une mini-société a vu le jour dans ce bunker, une société manquant néanmoins d’éducation et c’est là tout le sujet du film. Avant même d’évoquer le récit, on est bluffé par l’épate visuelle, mais toujours modeste de sa mise en scène. Dans Der Bunker, le réalisateur se réapproprie le mythe de Faust en enfermant ses protagonistes dans un cadre clos et unique, car rares sont les plans hors du bunker. Il n’y a qu’un pas pour nous renvoyer à l’idée d’un pacte avec Hitler (Point Godwin !!!) dans une société germanique, dont les maux de la seconde guerre mondiale ne cessent de tirailler les mentalités. Der Bunker démarre comme une comédie décalée sur des personnages atypiques et un choc des cultures intemporel. Le fantastique surgira très rapidement avant d’aboutir à un drame haletant. Un mélange des genres qui fonctionnent bien, même si la dernière partie s’avère contre-productive, car trop étirée. Irrévérencieux, minimaliste et lynchien jusqu’au-boutiste, Der Bunker nous renvoie à l’étrange et tout aussi envoûtant Der Samurai, présenté l’an passé dans ce même festival. Comble de la chose, l’interprète principal du film Pit Bukowski (extrêmement convaincant) était l’antagoniste de Der Samurai. De quoi suspecter un acteur allemand prometteur ? C’est encore tôt pour le dire, mais c’est tout ce qu’on lui souhaite. On pense également à l’absurdité symptomatique de nos sociétés, souvent maltraitées par Yorgos Lanthimos (Canine, The Lobster). Aussi décalé que déstabilisant et glauque, Der Bunker s’achève d’une bien belle manière et agit comme une morale classique, mais bienveillante. C’est totalement fou et souvent jouissif. Le contrat est réussi pour Nikia Chryssos et on peut espérer pour lui qu’il reparte avec un trophée à l’issue du festival.
Note de la rédaction : ★★★★☆
Après cette réjouissante projection, il est temps pour moi de m’accorder une pause café méritée et surtout d’aller à la rencontre de mon hôte Couch Surfing. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une pratique en ligne qui vise à l’hébergement par hospitalité. Une chouette fille m’accueille et m’héberge pour la semaine, me laissant ses clés. A peine le temps de boire un verre et de (dé)régler une connexion internet, qu’on décide de retourner dans le centre-ville pour une nouvelle projection, mais la pluie s’est mêlée à nos plans. En fin de compte, et malgré avoir fait mon fier dans l’introduction concernant mon intention d’aller voir les Gremlins au pied de la Cathédrale, il faut dire qu’il a sacrément plu et que mon courage m’a vite lâché. NOUS a vite lâché! Alors, c’est avec beaucoup de regrets que j’ai zappé cette séance unique, en compagnie du réalisateur Joe Dante pour ce qui s’annonçait comme l’événement du festival. Malheureux concours de circonstance donc. Et même si la séance s’est malgré tout tenue au pied de la Cathédrale et ce malgré les averses, c’est en compagnie de mon hôte que nous nous sommes tournés vers une salle obscure bien chauffée où était projeté un certain film ethiopien en compétition, considéré comme un OFNI directement venu d’Ethiopie. Et pour ajouter une plus-value, le réalisateur est présent et répondra à nos questions après la projections. Très bien, alors visionnons mes bons !.
[EN COMPÉTITION] Crumbs
Réalisé par Miguel Llanso (Espagne-Ethiopie, 2015). Date de sortie prochainement annoncée.
Synopsis : Candy, qui pense avoir des origines extraterrestres, est las de ramasser les miettes d’une civilisation révolue. Le réveil d’un vaisseau spatial endormi nourrit son rêve de rentrer chez lui.
Comment évoquer Crumbs sans tomber tout de suite dans le WTF ? Dans un monde post-apocalyptique, l’histoire suit un éthiopien nain profondément amoureux d’une belle jeune femme, mais souhaitant retourner sur sa planète, observant avec tristesse le vaisseau flottant dans les airs. Il décide de parcourir les terres africaines à la recherche de son destin. Il croisera sur sa route un soldat nazi, une sorcière ou le Père Noël. C’est raté pour ne pas tomber dans le WTF. On n’a jamais dit que la sobriété était de rigueur dans le milieu du cinéma. Plaisanterie à part, Crumbs est un film au potentiel incroyable, envoûtant et maîtrisé visuellement. Les décors sont tous extraordinaires et on sent que le réalisateur s’est impliqué dans un colossal travail de repérage. Dans ce monde post-apocalyptique, on célèbre des symboles et des babioles d’une société de consommation révolue comme une figurine Tortue Ninja, une épée Carrefour ou un vinyle de Michael Jackson. On prie les grands hommes, comme Michael Jordan, Stephen Hawking III, Paul McCartney ou Justin Bieber VI. Au-delà de Picasso, à travers une épée forgée à 490 000 exemplaires, Carrefour est considéré comme le dernier artiste de l’univers. Miguel Llanso ne lésine donc pas sur l’ironie de la situation et de la manière dont les hommes s’approprient les reliques du passé. Crumbs est un bel objet cinématographique, expérimental et profond. L’absurdité provoque quelque fois le rire et cela en devient envoûtant, notamment par l’utilisation de longs plans mutiques s’achevant sur des fondus au noir. Crumbs joue davantage sur la perception sensorielle de l’oeuvre plutôt que sur une logique narrative. De fait, tout le monde s’est retrouvé déconcerté par cette fin abrupte qui arrive après seulement 68 minutes de projection. Extrême lenteur d’un film pourtant si court. Le surréalisme touche à l’onirisme par moments, Miguel Llanso effleurant de larges notions comme l’amour, l’espoir, la religion, l’humanité et la vie. Mais il faut reconnaître que le fond du film, ou du moins la linéarité éclatée de son récit, rebutera même les cinéphiles les plus assidus. Cela n’empêche pas Crumbs de regorger d’idées remarquables et d’une succession de plans de toute beauté, mais on restera sur la réserve d’un film qui a trop vouloir explorer de vastes notions se perd dans d’interminables séquences dont on ne connait pas la direction. Certain percevront le film comme une oeuvre extrêmement profonde, d’autres comme une oeuvre vaine et irrégulière. C’est peut-être la force de ce film qui -plus que jamais- joue sur l’entière perception de son spectateur.
Note de la rédaction : ★★★☆☆
Le réalisateur espagnol Miguel Llanso -au demeurant très sympathique- nous fait l’honneur de sa présence à Strasbourg. La joie et la fierté d’avoir fait ce film se lisent sur son visage et se boivent dans ses paroles. Il détaille la genèse du film, évoquant quelques difficultés de tournages, notamment lorsque son équipe et lui se sont retrouvés entre deux bandes rivales, prêtes à se battre pour faire payer à l’équipe le droit de tourner leur film. Puis, il s’amuse du fait qu’il ne parlait pas un mot d’éthiopien et qu’il se contentait de faire confiance à son producteur. Il rit grassement en s’imaginant les dialogues du film insensés. Il se rappelle de conditions particulières de tournage avec des acteurs locaux, dont un certain chef de gare qui devait réciter un long monologue et qui n’arrivait pas à prononcer un mot face caméra. Fait amusant, ce chef de gare dans le film est finalement devenu mutique, ajoutant un degré de plus à l’ambiance pesante et perchée du film. Il revient sur les décors extraordinaires du film, évoquant avec humour une anecdote. Lors d’un festival, il a été récompensé d’un prix concernant la Production Design (meilleurs décors) par le chef décorateur du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Miguel Llanso expliquera qu’il n’a absolument rien touché sur ces décors et que tout était déjà là, offert par les terres éthiopiennes et qu’il s’amuse d’avoir reçu un tel prix des mains d’un homme qui a travaillé des années sur la conception des décors du Seigneur des Anneaux. Sur la fin de cette session question/réponse, Miguel Llanso devient très nihiliste, évoquant son film comme une métaphore de la société contemporaine avec une Apocalypse ayant déjà eu lieu par le biais du capitalisme qui a pourri la société, les hommes et le monde. Il n’hésite pas à revendiquer qu’il trouve « de la merde » partout autour de lui. Un propos qui laisse peser un certain malaise, mais rattrapé par la sympathie généreuse de ce cinéaste qui nous a fait vivre une expérience singulière, classique des festivals de genre. On va suivre de près ce cinéaste, intéressant mais qui devra davantage s’appliquer sur le récit de son prochain projet, que l’on attend fébrilement, mais néanmoins avec une certaine curiosité.
Cet éprouvant, mais fascinant long métrage nous aura donné faim ET SOIF. C’est donc d’un commun accord que l’on décide d’aller ingurgiter une bonne bière locale ainsi qu’un savoureux bol de soupe (jamais vous n’aurez autant appris sur mes repas que lors de ces chroniques). La fatigue gagne mon hôte, mais je reste déterminé à vivre (subir?) cette séance de minuit qui peut s’avérer intéressante. Je rejoins quelques membres rencontrés sur le réseau social culturel SensCritique avec lesquels on avait convenu de voir certains films ensemble. Des gens passionnés, follement amoureux du cinéma de genre et prêt à bouffer du film à foison pendant dix jours. L’un expliquera fièrement qu’il a vu SIX films, la veille. Respect, mon pote. On échange quelques recommandations et ce qui revient souvent, c’est le jubilatoire Deathgasm, considéré comme une excellente et jouissive séance de minuit génial. Le temps d’acheter un dernier café et on fonce s’installer dans une salle à moitié vide pour un film que personne n’attendait vraiment. A raison ?.
[MIDNIGHT MOVIES] Ava’s Possession
Réalisé par Jordan Galland (Etats-Unis, 2015). Date de sortie prochainement annoncée.
Synopsis : Après avoir subi un exorcisme, Ava Dopkins essaie de vivre une vie normale. Ayant tout oublié du mois précédent, elle est obligée d’intégrer un groupe anonyme pour les personnes possédées. Elle tente de se rapprocher de ses amis, de retrouver un boulot, mais surtout, de savoir d’où viennent toutes ces taches dans son appartement.
Nombreux sont les films d’exorcisme à s’achever sur la réussite ou non de l’exorcisme final sans aller plus loin. Ava’s Possession part donc d’un postulat très intéressant : Qu’est-ce-qu’il se passe après un exorcisme pour un exorcisé ? Après un intéressant prologue sur un exorcisme vécu à la première personne, le récit suit le retour au monde normal d’une récente exorcisée. Il est amusant de voir que la Justice souhaite trainer en justice ces personnes autrefois possédées pour des actes qu’elles n’ont pas commis d’elle-même. De même qu’il existe un collectif d’Exorcisés Anonymes. A partir de là, le film redevient très classique et suit l’interprète principale dans sa quête pour comprendre ce qui s’est passé durant sa possession et se débarrasser définitivement du démon en elle qui agit en silence. Mise en scène digne d’une série télévisée cheap, personnages peu convaincants au service d’un scénario grotesque, Ava’s Possession ne marquera pas les esprits malgré quelques applaudissements de fin. On est déçu qu’un tel sujet -encore jamais évoqué- soit aussi mal traité. Tout le film manque d’humour et de sérieux, à plus grand regret, et la relation entre les personnages sonne régulièrement fausse. Il y avait matière à davantage de développement, de travail sur la forme (même si quelques plans s’avèrent hypnotiques) et de tension. On regrettera des effets spéciaux un peu datés, mais on aurait su lui pardonner cet élément si le film proposait une crédibilité narrative. La fin vire au n’importe-quoi, entre retour de démons, amour non réciproque, culpabilité de la famille… Le rythme ne suit plus et nous non plus d’ailleurs. On subit les ultimes minutes avant le générique final. Déçu par Ava’s Possession et cette séance de minuit!
Note de la rédaction : ★★☆☆☆
Ah, quelle joie de voir que la pluie est toujours au beau temps (joli oxymore) à la sortie du cinéma. Il nous reste plus qu’à rentrer, maugréant autour de cette dernière séance de la journée qui nous aura laissé un fort goût d’amertume. Qu’à cela ne tienne, on a hâte d’y retourner demain. Certains vont se faire plaisir en allant voir le très-attendue The Lobster tandis que moi je vais privilégier du documentaire et du court métrage. Rendez-vous demain pour tout savoir sur cette seconde journée au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. Bye les démons !
Zombie Walk de Strasbourg en images