Onze ans après avoir présenté Marie-Antoinette, Sofia Coppola retrouve la compétition cannoise avec Les Proies, moins un remake du film de Don Siegel qu’une réadaptation stylisée du roman éponyme de Thomas Cullinan.
Synopsis : En pleine guerre de Sécession, dans le Sud profond, les pensionnaires d’un internat de jeunes filles recueillent un soldat blessé du camp adverse. Alors qu’elles lui offrent refuge et pansent ses plaies, l’atmosphère se charge de tensions sexuelles et de dangereuses rivalités éclatent. Jusqu’à ce que des événements inattendus ne fassent voler en éclats interdits et tabous.
En 2013, Sofia Coppola vient présenter The Bling Ring dans la section Un Certain Regard. Elle reste sur le prestige et la consécration internationale de son dernier film Somewhere qui lui a valu un Lion d’Or à Venise. Pourtant, la fille du double palmé Francis Ford Coppola reçoit un accueil tiède et le machine Coppola semble alors tourner à vide. Mais lorsqu’en janvier dernier, Thierry Frémaux annonce que le nouveau film de Sofia Coppola sera présenté en compétition officielle, il est permis de croire que la cinéaste ait retrouvé la grâce et le génie de ses précédents films, Virgin Suicide et Lost in Translation en tête. Cependant, c’est le doute qui prévaut et les journalistes s’interrogent sur la présence en compétition du remake du célèbre film réalisé par Don Siegel en 1971. Le délégué général du Festival de Cannes doit donc justifier son choix en expliquant que Les Proies est davantage une relecture « fidèle » du roman de Thomas Cullinan (1966) qu’un remake du film porté par Clint Eastwood. Et en ce sens, il a parfaitement raison puisque Sofia Coppola délaisse toute la tension malsaine de la première adaptation cinématographique pour se focaliser sur le regard féminin troublé par la présence impromptue d’un caporal nordiste au sein d’un orphelinat de jeunes filles.
Pamphlet féministe revendiqué dès les premières scènes, Les Proies prend donc le point de vue de ces femmes tourmentées par cet homme, très vite devenu l’objet de tous les désirs. On comprend rapidement que l’isolement dans cet orphelinat, loin de la Guerre de Sécession, est une torture pour ces femmes (et celles en devenir) dont les hormones se font de plus en plus insistantes. Sofia Coppola ne se prive d’ailleurs pas de filmer à plusieurs reprises les barreaux, les portails et les serrures fermés, appuyant autant l’idée d’enfermement que de refuge face aux mauvaises intentions de l’extérieur (et donc des hommes). Pourtant, c’est bien le grand méchant loup qui se fera inviter dans l’orphelinat à travers ce soldat blessé recueilli et soigné par les habitantes de l’établissement, dont la maîtresse des lieux est le personnage incarné par Nicole Kidman. Très vite donc, et malgré leurs préceptes catholiques, elles deviennent rapidement tentées par le diable qui agit ici comme un beau parleur. Mais au fond, qui est la proie dans ce film ? Le sexe féminin face à la tentation masculine ? Ou ce soldat mal intentionné face à ces femmes castratrices ? Un peu des deux semble-t-on comprendre à l’issue du film, d’où le titre français écrit au pluriel. Chacun des protagonistes du film aura recours à l’instrumentalisation pour tenter de prendre l’ascendant sur l’autre, et dont l’arme la plus évidente reste le désir. On retrouve ici avec grand plaisir Kirsten Dunst et Elle Fanning (vues respectivement dans Virgin Suicide et Marie-Antoinette pour l’une, Somewhere pour l’autre) qui sont rejointes par Nicole Kidman et Colin Farrell (déjà vu ensemble plus tôt dans la compétition avec Mise à Mort du Cerf Sacré). Une distribution en or qui convainc à tous les niveaux, grâce à des personnages forts qui accentuent sans lourdeur la dimension guerre des sexes. Il faut connaître la filmographie de Sofia Coppola sur le bout des doigts pour comprendre que Les Proies n’est pas qu’une relecture linéaire au propos douteux du roman éponyme, c’est avant tout une ode à la sororité de la part de la cinéaste. On retrouve ainsi les liens forts, la pureté de ces femmes, leurs longs cheveux blonds et leurs robes virginales, points communs des films de la réalisatrice. Avec Les Proies, Sofia Coppola semble offrir une opportunité de vengeance aux sœurs Lisbon de Virgin Suicide. Ici c’est la solidarité féminine qui permettra à leurs protagonistes de s’émanciper de celui qui souhaite imposer sa loi. Mais même lorsque la communauté sera à nouveau soudée, ce retour à la normale ne sera finalement que le retour à une mécanique de frustrations et de statisme, sans possibilité de libération, comme en témoigne l’ultime et somptueux plan du film.
Les Proies est un thriller historique et psychologique de grande classe dont l’efficacité repose sur une précision visuelle remarquable et une ironie qu’on ne connaissait pas chez la cinéaste. Ceux qui s’interrogeront sur la sélection en compétition de ce film déjà taxé d’académisme devraient donc porter un regard plus attentif sur la mise en scène, les décors et la lumière qui ont bénéficié d’un soin tout particulier. Bien qu’un peu vain pour qui ne connaît pas ses précédents films, Les Proies nous rappelle que le cinéma repose aussi sur une maîtrise technique que Sofia Coppola a bien compris. On la voit bien quitter la Croisette avec un Prix de la Mise en Scène.
[COMPÉTITION OFFICIELLE] Les Proies (The Beguiled)
Un film de Sofia Coppola
Avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning
Distributeur : Universal Pictures
Durée : 1h31
Genre : Thriller, drame, historique
Date de sortie : 23 août 2017
Etats-Unis – 2017
Les Proies : Bande-annonce
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