arras-film-festival-j5-jean-pierre-bacri-michel-leclerc-vie-tres-privee-de-monsieur-sim

Arras Film Festival: Interview avec Jean-Pierre Bacri et Michel Leclerc

Rencontres avec Jean-Pierre Bacri et Michel Leclerc pour le film La vie très privée de Monsieur Sim 

Pour cette cinquième journée du festival, un programme à nouveau intéressant et riche : un film La Vie très privée de Monsieur Sim, la rencontre avec son équipe : l’acteur Jean-Pierre Bacri et le réalisateur Michel Leclerc (respectivement à gauche et à droite sur la photographie de couverture), et l’interview d’Éric Miot, délégué général du Arras Film Festival.

11h15 – Entre histoire et Histoire :

La vie très privée de Monsieur Sim, de Michel Leclerc, avec Jean-Pierre Bacri, Mathieu Amalric, Valeria Golino, Isabelle Gélinas, Félix Moati & Vincent Lacoste, sortie le 16 Décembre 2015.

5/5

Synopsis : Monsieur Sim n’a aucun intérêt. C’est du moins ce qu’il pense de lui-même. Sa femme l’a quitté, son boulot l’a quitté et lorsqu’il part voir son père au fin fond de l’Italie, celui-ci ne prend même pas le temps de déjeuner avec lui. C’est alors qu’il reçoit une proposition inattendue : traverser la France pour vendre des brosses à dents qui vont « révolutionner l’hygiène bucco-dentaire ». Il en profite pour revoir les visages de son enfance, son premier amour, ainsi que sa fille et faire d’étonnantes découvertes qui vont le révéler à lui-même.

On peut voir le film comme un Road Movie. En effet, le personnage, de par son travail, voyage. Un road trip géographique accompagné d’un voyage spirituel et historique. Car il s’agit pour Monsieur Sim de se retrouver, de se « révéler à lui-même » comme le dit très bien le synopsis. Michel Leclerc, à travers ces trois « voyages, reconstruit devant nos yeux ébahis par la beauté des images, ou encore par la prestation de Jean-Pierre Bacri, l’identité de Monsieur Sim, homme décomposé.

Cette reconstruction se fait notamment par la mise en place d’histoires personnelles, familiales, et d’autres collectives, qui vont être liées par le réalisateur. D’un côté, Sim réveille des souvenirs personnels, liés à l’histoire de son père qu’il découvre véritablement à plus de cinquante ans. À ces histoires est rapprochée l’Histoire, c’est-à-dire la « grande histoire », collective, celle du marin solitaire Donald Crowhurst. Ce dernier, marin du dimanche, s’est engagé dans une course perdue d’avance. Vendu par son agent de communication comme futur gagnant et l’un des meilleurs navigateurs au monde, Crowhurst perdra la tête et se jettera en mer. Son navire sera retrouvé, son corps, jamais. Il aura tenu un journal vidéo et écrit, que Michel Leclerc a repris dans son film. Ainsi les images d’archive côtoient celles du Sim. L’histoire collective permet à Sim de comprendre la sienne.

Et justement, à l’inverse de Crowhurst, Sim n’abandonne pas; après avoir accepté toutes ces vérités, avoir accepté la réalité, il est plus fort que jamais, et est prêt à vivre véritablement le reste de sa vie. Cette construction est double, en effet : Michel Leclerc construit une histoire universelle dans laquelle tous peuvent se retrouver de part et d’autre, de la solitude extrême dans une société hyper-connectée, de la famille décomposée à celle rongée par les secrets, de l’emprisonnement de l’individu dans son travail à sa libération d’autres cadres.

L’originalité de ce road-movie tient de la réussite de ces entrecroisement d’histoires et d’Histoire, permise grâce à la réalisation de Michel Leclerc, à Jean-Pierre Bacri – brillant dans son personnage triste, absurde, parfois drôle, perdu, un peu fou, essayant de se raccrocher à n’importe quoi –, et au reste du casting extrêmement bien conçu : on reconnaît directement les personnages à n’importe lequel de leur âge, on a clairement l’impression de voir un acteur dans sa jeunesse et sa vieillesse. On peut penser à Valeria Golino, toujours aussi belle et douée, et l’actrice choisie pour incarner le personnage dans sa jeunesse, aux ressemblances de physique et de jeu frappantes. Autre acteur essentiel au casting et pourtant physiquement peu présent pendant le film : le génial Mathieu Amalric à la voix si passionnante et enivrante, et au personnage humain, aimant véritablement les autres, sans méchanceté, et sincère : il avouera son obsession pour Crowhurst à François Sim très vite par exemple.

La vie très privée de Monsieur Sim l’est à la fin beaucoup moins et se révèle ainsi comme une histoire universelle – adressée à tous – et collective – constituée avec d’autres et ouverte aux autres. En cela, Michel Leclerc a réalisé un vrai film de cinéma, art populaire, art du partage, art du collectif et de l’individu.

13h40 – INTERVIEW d’Éric Miot, délégué général du Arras Film FestivalDisponible ICI

arrasfestival2015-Jean-Pierre-Bacri-Michel-Leclerc18h30 – Rencontre avec Jean-Pierre Bacri et Michel Leclerc pour La vie très privée de Monsieur Sim

Sur le choix de cette histoire, que le réalisateur a trouvé dans le roman éponyme

« Ça fait du bien de rentrer dans une autre histoire. », explique Michel Leclerc. Le roman l’a bouleversé. Et il a essayé de faire un film qui lui ressemble tout en allant ailleurs.

Il avait aussi ces obsessions sur le paradoxe de l’existence de nombreux moyens de communications et de la grande solitude de nos vies. De plus, il s’agissait pour lui de travailler un personnage qui a une forme de dépression altruiste. Et c’est un film qui parle des secrets de famille, des névroses qui habitent une famille.

Sur l’écriture du film et le choix de Jean-Pierre Bacri

Le réalisateur explique s’être forcé à ne pas se fixer sur quelqu’un, pour avoir une rencontre avec l’acteur. Il a très vite pensé à J-P Bacri, mais n’était pas sûr que le comédien réponde positivement.

Dans le personnage, il y a une forme de candeur, d’enfance, une absence de cynisme, remarque une collègue.

Au début, il y a une comédie puis vient une certaine mélancolie

Michel Leclerc explique ça lui plaisait de faire une comédie sociale dont on n’arrive plus à cerner la suite, « on ne sait plus où on va ». Un film allant vers une dimension métaphysique.

Concernant la construction du personnage

Il ne croit pas beaucoup en ça, explique Bacri, ni sur l’idée d’avoir du mal à sortir du personnage. Il travaille, lit beaucoup, puis ajoute sa musique personnelle. Même il s’intéresse à la scène seulement trois à quatre jours avant, il n’improvise pas, l’acteur n’aime pas ça. L’idée est que lui et le réalisateur connaissent toutes les étapes. Michel Leclerc lui rappelait les points importants, l’état du personnage. Il explique aussi qu’il travaille beaucoup la continuité, la logique de la psyché du personnage.

« Je veux une cohérence d’ensemble » ajoute le réalisateur, mais dans une même scène, l’acteur peut changer d’état bien sûr.

Sur le rôle de François

Ce qui a attiré Jean-Pierre Bacri, c’est le fait que ce personnage soit changeant, ait plusieurs teintes, à l’inverse des rôles qu’il a interprété, où il n’avait que deux ou trois teintes.

Sur notre société hyper-technologique

L’acteur explique ne pas avoir « le syndrome Finkielkraut », c’était mieux avant », non : «c’est toujours mieux aujourd’hui ». « Par contre, aujourd’hui, on est suivi (…) il n’y a quasiment plus d’endroits où on n’est pas suivi à la trace » poursuit le réalisateur.

Sur l’écriture du scénario avec sa femme, Baya Kasmi.

Le réalisateur a d’abord fait seul un débroussaillage du roman, pour voir ce qui l’intéressait notamment. Puis il s’est mis au travail avec sa femme.

Sur la rencontre avec Jonathan Coe, comment il l’a convaincu de le laisser adapter son roman, et sur la fin très différente

Michel Leclerc n’a pas gardé la fin du roman qui est une mise en abîme de l’écrivain qui aurait tout imaginé. Il ne comprenait pas cette fin. Puis le réalisateur a eu la chance de rencontrer l’auteur, avec qui il a « bu des coups », et montré ses films. Alors l’auteur lui a accordé le droit d’adapter son roman. De plus, il était présent aux étapes du film, au tournage, au montage. La relation a été très facile.

A l’inverse du roman qui fait déplacer le personnage en Angleterre, Michel Leclerc le fait notamment voyager en Auvergne, à cause du côté angoissant du lieu, de la solitude qu’il inspire. « C’est très français » a dit l’auteur après avoir vu le film. Un commentaire qui a plus au réalisateur mais il ne savait pas si c’était un compliment, explique-t-il, amusé.

Jean-Pierre Bacri n’a pas lu le roman, étant scénariste, il n’aurait pu éviter de comparer le film au livre.

Sur la difficulté de porter un film

L’acteur est en effet sur quasiment tous les plans. Est-ce difficile à porter ? Non répond celui-ci, il ne se regarde pas, car il se trouve mauvais; quand les gens disent qu’il est bon, il les « croit sur parole ».

Sur le fait de travailler avec un seul acteur, et pas un groupe

Cela dépend de la relation entretenue avec l’acteur, explique Michel Leclerc. Bacri continue en expliquant qu’on quitte les acteurs trop tôt, en effet ces derniers finissaient leur travail rapidement et partaient, alors qu’il aime tourner avec d’autres personnes.

Sur le choix du casting, notamment vocal

Les voix doivent marquer, explique Michel Leclerc : le personnage de Samuel, porté Mathieu Amalric a touché l’importance de la scène rien qu’avec sa voix.

Éviter les clichés, comment fait-on ?

Le « scénario contourne des scènes qu’on a beaucoup vues dans beaucoup de films » accorde Bacri. Michel Leclerc, amusé, enchérit en expliquant qu’on lui avait dit : « il vaut mieux partir d’un cliché que d’y revenir ».

« Michel Leclerc, votre film est un road movie, et comme dans ce genre de films, le personnage fait un parcours multiple, un voyage physique, historique et spirituel… Plus il avance, plus il se trouve, plus il reconstruit l’identité, car c’est aussi de ça qu’il s’agit dans le film, de la reconstruction d’une identité… Pourriez-vous nous en dire plus ? »

En effet, il s’agit d’un voyage en trois dimensions : spatial (d’ailleurs il parcourt peu de road au final, il tourne beaucoup sur lui-même), dans sa propre vie (via son histoire, ses récits), et aux confins de sa propre raison. En se perdant géographiquement, le personnage va se retrouver. A la fin du film, il est au soleil, il prend le bras de son père, et il est prêt à affronter la suite de sa vie, me répond-il.

« Vous avez utilisé la voix extraordinaire de Mathieu Amalric qu’on entend en off lorsque Jean-Pierre Bacri lit, il me semble qu’il y a quelque chose d’ambigu derrière, qui annonce la fin. »

Il faut rappeler que c’est le personnage de Mathieu Amalric qui lui a donné le livre, me répond-il, mais en effet, en lisant, le personnage de Bacri doit penser inconsciemment au personnage de Samuel qui l’a « initié » plus que François ne le croit.

Sur la rencontre des spectateurs à Arras

C’est un vrai plaisir, c’est super, « la rencontre avec les gens qui voient le film est essentielle (…) quel que soit leur avis, leur pensée. ».

« Quand on voit tous ces allers-retours entre présent et passé(s), on ne peut qu’être étonné du travail de continuité que vous assurez entre les acteurs, leur physique, leur jeu… Jean-Pierre Bacri, avez-vous échangé avec les versions plus jeunes de vos personnages ? »

« Non on ne s’est pas rencontré pour travailler, mais on s’est vu oui. » me dit l’acteur. Le jeune acteur qui l’incarne adolescent, Daniel Di Grazia, a travaillé pour tenter de jouer comme l’aurait fait Bacri à son âge. « Il a potassé son Bacri » continue le réalisateur, rieur.

Pour la continuité, c’est très effrayant explique-t-il, car il faut réussir à tout mettre en place afin que le spectateur arrive à reconnaître tel personnage jeune ou plus âgé, à reconnaître l’acteur aux différents âges de sa vie.

Cependant, il y a eu un très bon casting ici, poursuit Jean-Pierre Bacri. La fille qui incarne le personnage de Valeria Golino jeune, Lucile Krier, est très forte, dans ses gestes, ou encore avec sa ressemblance physique, la continuité est très forte, expliquent l’acteur et le réalisateur.

Puis il s’agit aussi de quelques phrases, d’attitudes de personnages qu’on retrouve aux différents âges de leur vie.

Enfin, quelques mots face caméra pour inviter le public à se rendre au Arras Film Festival de l’année 2016

Après quelques hésitations humoristiques, des questions telles que : « À la caméra ? Pour 2016 ? Les spectateurs de 2015 ? », sortirent les deux grandes dernières répliques de cette fin de journée :

Michel Leclerc – « Les films de 2016 seront meilleurs que de ceux de 2015. »

Jean-Pierre Bacri – « Oui, revenez plutôt en 2016 ! »