[Critique] Le Bon Gros Géant (Roald Dahl’s The BFG)
Synopsis : Le Bon Gros Géant est a beau être un être de 7 m de haut, pas très malin, il est assez timide et tout à fait adorable puisqu’il préfère les schnockombres et la frambouille plutôt que dévorer des humains comme ses pairs. Il va sympathiser avec Sophie, une petite londonienne très curieuse. Le BGG emmène alors Sophie au Pays des Rêves, là où il recueille les rêves et les envoie aux enfants. Il va faire découvrir à Sophie la magie et le mystère des rêves. La présence de la petite Sophie au Pays des Géants va cependant attirer l’attention d’autres géants. Sophie et le BGG quittent alors le Pays des Géants pour aller à Londres pour avertir la Reine d’Angleterre du danger que représentent les géants…
Au festival de Cannes, dans la sélection hors-compétition, une petite fille et un géant sont venus occuper les écrans de cinéma. La gamine a pour nom Sophie, le géant est surnommé le Bon Gros Géant dans la version originale, le Big Friendly Giant ou BFG. À l’écran, au générique, on peut lire : « réalisé par Steven Spielberg ». Car si The BFG est une production Disney, il n’en reste pas moins un film Amblin Entertainment, et surtout, un film du maître Spielberg. Le film est un formidable jeu de regards, de perceptions, on peut penser aux séquences où le géant fuyant la ville de Londres utilise bien des astuces pour se fondre dans le décor urbain : cacher une lampe pour se fondre dans l’ombre, utiliser sa cape pour ressembler à un sapin, et cetera. Le Bon Gros Géant travaille, à l’image d’une grande partie des films de Spielberg, le regard. Que regarder ? Voyons-nous ou regardons-nous ? Après tout, les Géants sont là, autour de nous et nous ne les voyons pas. Car le regard ne tient pas de la vision, le regard implique une expérience, un individu, une concentration, une ouverture, un cœur, une pensée… Un être humain.
Dans E.T., les parents ne voyaient jamais la créature extra-terrestre même quand les enfants voulaient la présenter, jusqu’à l’amener sous leur nez. L’adulte voyait les choses, l’enfant regardait le monde. Idem dans L’Empire du Soleil, qui concluait sur le gamin survivant, véritablement incarné par un très jeune Christian Bale. Ce dernier nous apparaissait complètement perdu, vidé de sa vitalité, consumé par ce qu’il avait vu et donc vécu. Car qui dit regard, dit expérience. La petite Sophie répète au début du film plusieurs règles pour éviter d’être enlevé par Croque-Mitaine : ne pas sortir de sa couette, ne pas regarder par la fenêtre, ne pas écarter le rideau. Trois étapes pour trois éléments (la couette, la fenêtre, le rideau) et un seul but : fermer le regard, le distordre, le filtrer.
Sophie, aventurière et défiante, ne les respecte pas, et surprend alors le géant dans les rues de Londres. Parce qu’elle l’a découvert, le géant l’enlève, empêchant ainsi la gamine de causer de lui à travers la ville, ce qui provoquerait alors « une chasse au géant ». Ainsi, parce-qu’elle a regardé, l’aventure commence pour Sophie. Cela à l’image du spectateur du film, qui, parce qu’il est venu voir Le Bon Gros Géant, se lance dans une aventure cinématographique, un voyage coloré, poétique, émouvant, drôle, empli de rythme et de suspense, et qui prône l’ouverture à l’Autre.
Mais regarder les choses de trop près peut s’avérer très dangereux. La jeune héroïne, intrépide, maligne et au caractère bien trempé (telle Matilda de l’auteur du livre The BFG, Roald Dahl) découvrira des cauchemars, puissances obscures, ou encore la vérité de l’ancien petit compagnon, ex jeune ami du Bon Gros Géant, dévoré par les autres géants bien plus grands, sans que le gentil n’agisse véritablement pour le sauver. Le spectateur lui, découvre non pas le passé du film, mais sa genèse visuelle, ou la construction des images. Le Bon Gros Géant pose des questions sur sa finalisation, notamment au niveau visuel, tant l’hybridation des éléments numériques (les géants, leur contrée, et bien d’autres espaces de Londres) à ceux organiques (précisément Sophie) est déjà datée. En effet, la jeune héroïne se distinguera à bien des reprises très clairement des images numériques. Des faux raccords peuvent être notés : le jeu des regards ne sera pas correct, les deux conversent et se regardent, mais les regards ne convergent pas, on trouve ainsi un décalage.
Autre exemple, dans une des séquences finales du film : la gamine ne peut être visiblement dans l’espace de la contrée, avec toutes les créatures et les militaires autour d’elle, car elle se détache de l’image en raison d’un jeu de lumière sur elle, en mauvaise adéquation avec l’éclairage artificiel de l’animation numérique. Si les décors réels peuvent être remarqués, ils s’intègrent toutefois plutôt bien au numérique, la dissociation étant parfois impossible. Au final, notre regard est partagé, entre un très beau voyage enfantin qui offrira aux adultes la possibilité de revoir avec les yeux d’un enfant ainsi que son imagination, et un parcours troublé par une hybridation chaotique de méthodes cinématographiques. Le problème ne vient pas du principe de l’hybridation qui fonctionne sur le dernier Star Wars ou encore dans Avatar, mais probablement des choix de réalisation, notamment en termes de visuel. Le film aurait gagné à être complètement numérique, car les géants ne sont pas tous des baffes techniques de réalisme, à l’inverse de bien des décors. Justement, les créatures numériques tendraient à gagner leur place dans l’univers visuel du récent Tintin, aussi réalisé par Spielberg. Il manque au film une véritable homogénéité, une cohérence plutôt, du visuel et des images.
On pourrait toutefois répondre à cette critique en émettant une idée : les êtres numériques et espaces artificiels, tiennent du fantasme, de l’irréel, d’une projection de l’imaginaire, notamment de l’enfance, ici incarnée par Sophie, bien en chair et en os, tout comme la Reine d’Angleterre et certains de ses royaux espaces. Cependant, des décors londoniens ont été recréés numériquement, les hélicoptères envoyés par la Reine sont artificiels, que pure dématérialisation. Mais, au fond, ce problème d’hybridation des éléments orga-méca(monstrueux) ne serait-il pas la parfaite forme de la situation finale du film, soit l’impossibilité de Sophie et du Bon Gros Géant à vivre ensemble malgré un lien qui dépasse toute matière et qui fait des cœurs les relais, l’amour ?
Ainsi, sans être l’incroyable Spielberg attendu depuis le brillant Pont des Espions (2015), Le Bon Gros Géant (The BFG), produit tel quel à Cannes, manque de finition et laisse un arrière-goût ni amer, ni de déception. Car après l’avoir vu, le spectateur peut passer à autre chose sans toutefois l’oublier ou le jeter. The BFG n’est pas un produit consommable, c’est juste que le spectateur n’a pas passé un moment transcendant et inoubliable comme seul Spielberg en est capable. Il s’agira ainsi de découvrir en Août si le film projeté au festival n’était pas la version finalisée, mais une copie de travail. Aussi avons-nous hâte de découvrir le prochain film du maître.
Le Bon Gros Géant : Bande-annonce
Le Bon Gros Géant : Fiche technique
Titre original: The BFG
Réalisation : Steven Spielberg
Scénario : Melissa Mathison d’après l’oeuvre deRoald Dahl
Interprétation : Ruby Barnhill (Sophie), Mark Rylance (Le Bon Gros Géant), Rebecca Hall (Mary), Penelope Wilton (La Reine), Bill Hader (Le Géant Buveur de sang)…
Photographie : Janusz Kaminski
Montage : Michael Kahn
Musique : John Williams
Direction artistique : Chris Beach, Margot Ready
Production : Frank Marshall, Steven Spielberg, Sam Mercer
Sociétés de production : Amblin Entertainment, DreamWorks Pictures, Walt Disney Studios Motion Pictures…
Distributeur : Metropolitan
Durée : 115 minutes
Genre : Fantastique
Sortie : 20 juillet 2016
États-Unis – 2016